Destiné à remplacer le Grand Palais actuellement en cours de rénovation, ce bâtiment conçu pour être à la fois pérenne et démontable, s’élève sur le Champ-de-Mars à Paris. Là où se sont déroulés jadis les grandes Expositions Universelles du XIXe et du début du XXe siècle, se dresse désormais un bâtiment en croix magnifié par une charpente courbe en double voûte – dessinées par l’agence de Jean-Michel Wilmotte : 16 mètres de hauteur, 10 000 m2 de superficie – identique à celle de la Nef du Grand Palais -, l’édifice s’articule autour de voûtes croisées, dont la plus grande fait 145 mètres de longueur et 140 mètres de largeur.
Construit dans l’alignement de l’Ecole militaire et de la tour Eiffel, le Grand Palais Ephémère – entièrement composé de bois d’épicéa – ressemble pour Louis Lafargue, l’un des architectes de Wilmotte & associés, à « un coussin posé dans la végétation ». Après son démontage, il ne restera rien de ce Grand Palais Éphémère, hormis les ancrages de béton coulés dans le sol. D’ici là, le maréchal Joffre, dont la statue trône dans le hall d’accueil, accueillera donc les grands événements culturels et sportifs jusqu’en 2024, année des Jeux Olympiques et Paralympiques.
Un tour d’Europe en 134 galeries
Si, bravant la crise sanitaire, six des 140 galeries participant à la 23e édition d’art Paris sont venues de Bogota, Séoul, Toronto, Guatemala, Montevideo et Grand Bassam, toutes les autres sont européennes. Parmi elles, se distingue la Londonienne Rebecca Hossack, qui depuis 1988, défend avec ardeur les artistes aborigènes auprès de collectionneurs aussi célèbres que le styliste Sir Paul Smith, l’acteur Griff Rhys Jones ou la compositrice PJ Harvey.
C’est l’occasion de (re)découvrir le travail de Ningura Napurulla (1938-2013) dont les tableaux, faits d’innombrables points posés méticuleusement, composent des cercles concentriques, des carrés à l’intérieur d’autres carrés. Noirs et blanc ou striés de rouge, couleur qui évoque la terre, l’énergie et le sang, ils sont inspirés par les rêves, les mythes ancestraux et les activités des femmes du désert. Autant de caractéristiques du style Tingari qui valurent à Ningura Napurulla d’être invitée à décorer l’un des plafonds du musée du quai Branly en 2006 : cette fresque aussi monumentale qu’inestimable est toujours visible depuis la rue de l’Université.
Des expositions monographiques
L’embarras du choix ! 27 solo-shows ponctent la Foire, de A comme le street-artiste L’Atlas à W pour Andy Warhol. Dans cette sélection éclectique, un trio se singularise : Gaël Davriche, Gonçalo Mabunda et Georges Jeanclos. Issus de générations et de pays différents, ces artistes travaillent tous trois sur la mémoire.
Le premier, né en 1971 à Saint-Mandé, réinterprète les chefs-d’œuvres de l’histoire de l’art, des Epoux Arnolfini, peint par le primitif flamand Jan van Eyck à la Dame à l’Hermine de Léonard de Vinci en 1489. Extraits d’une série intitulé « Les Revisités », ces tableaux permettent à Gaël Davrinche de désacraliser les classiques, d’explorer les innombrables possibilités de la peinture aujourd’hui et du portrait peint à l’heure du selfie.
Gonçalo Mabunda revisite, lui aussi, la tradition. A sa manière, plus politique. Il crée des masques et des figures anthropomorphes, des trônes et des totems avec les AK47, lance-roquettes et autres Kalachnikovs qui ont dévasté son pays natal, le Mozambique, pendant quatre décennies. Certes, en détournant ces armes, Gonçalo Mabunda dénonce la violence, mais il témoigne surtout de la puissance de l’art. La même résilience émane des « Dormeurs » de Georges Jeanclos (1933-1997), qui lui aussi a connu l’horreur, celle de la seconde Guerre Mondiale. Les yeux clos, le crâne rasé et vétues de drapés, certaines de ces figures évoquent à la fois les rescapés de la Shoah et les pleurants des monuments aux morts. Quant aux plis, telles les vagues des jardins japonais, ils forment un pont entre l’Orient et l’Occident.
Un regard sur la scène française
« Au-delà d’un simple effet de style, le portrait permet aux artistes de construire un nouveau rapport au monde […] C’est à partir du visage, qu’on peut considérer la manière de penser le rapport à l’autrui, derrière le visage de l’autre, il y a toute l’humanité. », déclare Hervé Mikaeloff. Invité par Art Paris, le consultant en art contemporain a imaginé un parcours intitulé « Portrait et figuration » qu’il a jalonné des œuvres de 20 artistes français incarnant au mieux le renouveau de l’art figuratif.
On y repère Thibault en costume de livreur de Arnaud Adami ou les voyageurs du métro de Bilal Hamdad à la H Gallery ou encore le Tatoueur de Thomas Lévy-Lasne chez Les Filles du Calvaires. Plus narratif que figuratif, Youcef Korichi (né à Constantine, en Algérie, en 1974) se réapproprie quant à lui le thème orientaliste de l’odalisque, ce nu mythologique représenté avant lui par Ingres, Boucher, Matisse ou Manet. Mais de la jeune femme allongée au milieu des étoffes et des coussins, il ne reste sous le pinceau de Youcef Korichi que le décor, dépourvu de mobilier, théâtral et inquiétant.
Au premier plan, apparaît le lit défait dans lequel un corps se devine, replié sur lui-même, sous un drap du même rouge cramoisi que celui de la lourde tenture dans Le Verrou de Fragonard, célèbre tableau symbolisant l’esprit libertin du XVIIIe siècle. Car l’héroïne a beau être camouflée voire absente, cette scène suggestive, dont le spectateur se trouve témoin, est empreinte d’une profonde dimension érotique.
Le grand retour de la céramique
La tendance se confirme : les pièces en céramique ont définitivement quitté les socles des galeries et des marchés spécialisés pour rejoindre le circuit des événements majeurs de l’art contemporain. Cette édition d’Art Paris le démontre avec les incontournables vases de Picasso (Helene Bailly Gallery ) réalisées dans l’atelier Madoura, de Vallauris dans les années 60, mais surtout les bestiaires colorés de Saraï Delfendahl ou Marina Le Gal (Galerie Scène ouverte) et les créations baroques de Bachelot & Caron.
Sur le stand de la School Gallery, leurs pièces en grès émaillé semblent sceller la rencontre entre la truculence des écrits de François Rabelais et les “rustiques figulines” du potier Bernard Palissy. Ornées de créatures et de plantes en relief mêlées à des rondelles de saucissons ou des tranches de jambon, leurs sculptures contrastent avec les compositions tout en corolles et en porcelaine de Virginie Boudsocq alias Olga etc., dont les gastronomes auront remarqué les assiettes-champignon sur la table de l’Ecrin de l’Hôtel du Crillon.
Et puis, il y a les assemblages de Zhuo Qi, qui dans son atelier d’ à Auvers-sur-Oise, rend hommage à Dada et aux artisans de Jingdezhen, capitale mondiale de la porcelaine, située en Chine (son pays natal). « Je ne suis pas positif, je ne suis pas négatif, je suis poétif », déclare le plasticien qui n’hésite pas à placer des pétards à l’intérieur de vases moulés, avant cuisson, afin de saisir leurs métamorphoses ou à envelopper de traditionnelles statuettes d’un chapeau de verre, résultat d’expériences menées lors d’une résidence en automne dernier aux Ateliers du Faire de la Fondation Martell, à Cognac.
Le secteur promesses
Bien sûr, Kamel Mennour, Emmanuel Perrotin, Nathalie Obadia ou Daniel Templon, poids lourds du marché de l’art contemporain en France, privés de FIAC ou de Art Basel tendront leur cimaises sous la charpente en bois du Grand Palais éphémère. Ils seront accompagnés des francs-tireurs du « Secteur promesses », 9 exposants – 6 Parisiens, 2 Marseillais et 1 Guatémaltèque – qui misent sur les artistes de demain et bénéficient d’un généreux dispositif, 45 % du coût de leur participation étant pris en charge par la foire.
Parmi eux, la galerie 31 Project, installée dans la mythique rue de Seine, a choisi de mettre en avant le travail de Georgina Maxim, l’une des quatre artistes invités à défendre le pavillon du Zimbabwe lors de la Biennale de Venise, en 2019. Comme d’autres avant elle, de Louise Bourgeois à Annette Messager, Georgina Maxim (née en 1980 à Harare) a choisi de coudre, broder, tricoter, tisser pour questionner le genre, l’identité, la perte et les problématiques liées à la mémoire.
Car les tissus qu’elle transforme pendant de longs mois en sculptures-installations sont tous de seconde main : elle les collecte auprès de proches – les premiers utilisés étant issus de la garde-robe de sa grand-mère décédée. Ce sont leurs histoires qu’elle raconte à travers ces tapisseries aux titres évocateurs : Mbuya wa Ravhuu (my grandfathers love) ou Ma Mère II, créant ainsi un lien indéfectible entre le passé et le présent. Une démarche similaire à celle de Clay Apenouvon, exposé par la galeriste de Côte d’Ivoire, Véronique Rieffel, qui lui se sert de couverture de survie pour y graver des portraits, ceux de ses parents ou de Mohammed Ali.
> ART PARIS 2021, du 9 au 12 septembre, Grand Palais éphémère, 2, Allée Adrienne Lecouvreur 75007 Paris. www.artparis.com/fr/