Qu’il s’agisse de définir l’identité d’une enseigne, d’en réinterpréter l’esprit ou d’en combiner les fonctions, les architectes d’intérieur doivent pouvoir mettre leur personnalité créatrice au service d’une large variété de commandes. À l’image de ces adresses où les frontières entre espaces de commerce, de loisir et de convivialité s’estompent à dessein.
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Ciguë met en scène les cafés % Arabica
C’est alors qu’il est installé en Californie pour ses études que le Japonais Kenneth Shoji se prend de passion pour le café. Il y découvre la culture et l’atmosphère des coffee-shops, et passe de longues heures au Starbucks de Venice Beach. Après une première expérience dans le commerce international, il décide d’acheter, à Hawaï, une ferme de café qui devient rapidement une plate-forme d’échange de grains. Kenneth Shoji parcourt alors le monde, guidé par ces obsessions : importer, exporter, distribuer des machines à café haut de gamme.
Avant de créer, en 2014, sa propre marque, % Arabica, avec Junichi Yamaguchi, champion du monde de latte art (cette technique très en vogue de réalisation de dessins à la surface des cafés latte). Ils ouvrent à Kyoto leur première adresse, où le café est torréfié sur place. Dans une ambiance zen et épurée, on y achète ou déguste des crus d’excellence originaires du Brésil, d’Éthiopie, du Panama, du Guatemala… Depuis, les ouvertures se sont multipliées, la marque comptant désormais plus d’une centaine de points de vente dans le monde.
Dans cette histoire, l’architecture des boutiques joue un rôle essentiel. Parmi les concepteurs invités à livrer leur version de % Arabica figure l’agence Ciguë, qui a déjà inauguré l’une d’elles dans le quartier de Dumbo, à Brooklyn. Ils viennent d’en achever une deuxième au Maroc, à Marrakech, qui prend place au sein de M Avenue, nouvelle destination lifestyle au cœur de la ville regroupant une centaine d’enseignes de part et d’autre d’une avenue piétonne reliant le Palais des congrès aux jardins de la Ménara.
Sur 110 m2 baignés de lumière naturelle, l’adresse marie le minimalisme japonais et les inspirations locales. Les architectes y ont en effet convoqué des matériaux traditionnels de la culture marocaine : le pisé (terre crue) pour le comptoir et les assises, le zellige (carreaux d’argile émaillé) pour habiller le bassin intérieur et le bejmat (idem) au sol. % Arabica est également présente en France, à Paris. On peut découvrir l’enseigne dans le passage des Panoramas et la galerie Feydeau, dans le IIe arrondissement. D’autres ouvertures sont d’ores et déjà programmées. M.Q.
Lina Ghotmeh, la rencontre de l’Orient et de l’Occident
Alors que Lina Ghotmeh vient tout juste d’inaugurer le 22e pavillon estival de la Serpentine Gallery dans les jardins de Kensington, à Londres (voir IDEAT hors-série architecture #25), elle signe à Paris la troisième adresse de la CFOC, la Compagnie française de l’Orient et de la Chine. Créée en 1965, cette enseigne de concept-stores mêle l’art de vivre à la française et les savoir-faire millénaires venus d’Asie. Avenue Paul-Doumer, dans le XVIe arrondissement, l’architecte franco-libanaise a misé sur la sobriété et l’élégance d’un écrin destiné à mettre en valeur les collections foisonnantes et colorées.
« Dans cette boutique, on est entouré de mille objets venus d’ailleurs, qui racontent le pouvoir qu’a la main de sublimer nos jours », déclare-t‑elle. Sur une surface de 250 m2, derrière la façade arrondie en pierre, c’est le blanc qui domine, dans cet espace où une succession de présentoirs, façon alcôves en quinconce, rythment l’expérience du lieu. Lina Ghotmeh a privilégié des matériaux locaux, naturels et durables, mais également les textures qui célèbrent le talent des artisans, à l’image de la philosophie qui a fait le succès de la marque. On y trouve également le premier salon de thé de la CFOC, baptisé Tchaï, conçu comme un cocon végétal rappelant l’atmosphère d’une terrasse parisienne. M.Q.
Sandra Tarruella redessine la cafétéria du Centro Botín
Le restaurateur Carlos Crespo et le chef Alex Ortiz, connus pour leurs projets madrilènes La Bien Aparecida, La Primera et Gran Café Santander, ont confié à l’architecte d’intérieur Sandra Tarruella la tâche de concevoir une nouvelle cafétaria pour le Centro Botín, centre d’art de référence internationale situé à Santander, en Espagne. Ce bâtiment emblématique réalisé par Renzo Piano, suspendu telle une capsule au bord du plus grand estuaire du nord de la péninsule Ibérique, accueille des événements culturels et des conventions. Le défi pour Sandra Tarruella était de transformer une salle multifonctionnelle en un restaurant attrayant de jour comme de nuit. Le choix de la palette de couleurs fut déterminant.
Au sol, le ciment s’harmonise avec le ton laiteux du revêtement du plafond et de la façade de l’édifice. De grands tapis circulaires, conçus spécialement pour l’endroit et inspirés des capes de marin, créent un jeu de géométrie avec le plafond tout en absorbant le bruit. « J’ai choisi des éléments chauds, doux et absorbants tels que le bois, les tapis et les textiles pour compenser la froideur et la dureté de la céramique, du verre et de l’acier préexistants », explique l’architecte d’intérieur.
L’autre élément clé du projet consistait à redéfinir les flux de circulation des serveurs et des convives. La forme triangulaire du lieu, avec ses façades vitrées et l’emplacement des différentes entrées, donnait l’impression d’un foyer dans lequel les déplacements étaient permanents. La question a été résolue en transférant les entrées au centre et en définissant un nouvel axe de distribution, notamment grâce à un mobilier polyvalent qui contribue à différencier les espaces tout en produisant des atmosphères soigneusement éclairées. Des canapés en bois avec des coussins en lin sont associés à des tables en marbre et à d’élégants fauteuils rembourrés (Expormim). À l’extérieur, des bancs tressés et des tables basses ont été intégrés à la façade. V.C.
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Christophe Bachmann : What about Brest ?
On ne s’attendait pas à trouver un endroit de cet acabit à Kergaradec, une vaste zone commerciale du nord de Brest. Et pourtant, le What parvient à créer la surprise… dans un ancien garage automobile. C’est à la fois un restaurant et un bar, mais pas seulement. « Drink, food, fun » : tel est le programme affiché en lettres capitales blanches sur la façade noire de cette nouvelle adresse. Si on y vient d’abord pour siroter des bières bretonnes ou des cocktails, et déguster des pizzas, des burgers ou des tapas, les divertissements y ont également toute leur place. On y joue aux fléchettes ou aux boules, on y écoute de la musique live, on y découvre des expositions.
Aux commandes de l’architecture intérieure de ce concept hybride : Christophe Bachmann, installé à Dinard. On le connaît non seulement pour ses somptueuses maisons individuelles mais également pour sa collaboration de longue date avec Les Maisons de Bricourt, fondées par la famille Roellinger à Cancale, ou encore pour La Folie Douce de Chamonix.
Sur 700 m2, en majeure partie occupés par le restaurant, le What convoque une atmosphère industrielle et vintage dans un hangar entièrement réhabilité pour l’occasion. Derrière les façades bardées de métal, la décoration puise son inspiration dans l’histoire singulière de la ville, celle de l’arsenal, de ses installations militaires et navales. À l’ambiance brute façonnée par le sol en béton, les charpentes et les tuyaux apparents répond la chaleur du velours des canapés et des rideaux, des lustres à pampilles et des fauteuils chinés.
Aux murs, des portraits de marins, des torpilles et des cartes à jouer rappellent l’univers de cette cité chargée d’histoire. Clin d’œil à ce passé, le What est surmonté, à la manière d’un porte-avions, d’une extension verticale dans l’angle nord-est qui permet de repérer aisément le lieu dans ce secteur ou les entrepôts se suivent et se ressemblent. Et, quand le temps le permet, la grande terrasse démultiplie les possibilités de passer un moment festif et chaleureux dans une ville dont la réputation en la matière n’est plus à faire. M.Q.
Émilie Rõz, la touche délicate et poétique
À Lyon, l’agence Erõz, fondée par l’architecte d’intérieur Émilie Rõz, réhabilite avec beaucoup d’esprit d’anciens commerces du centre-ville. C’est le cas pour Maison Antoine, boulangerie-pâtisserie haut de gamme qui a remplacé un pressing et dont elle a signé le design global. « J’aime faire vivre une expérience au client, que ses émotions soient liées à l’environnement d’achat, explique-t‑elle. Ici, nous avons créé toute l’identité du lieu, jusqu’à son nom. Pour que cet écrin soit féminin, avec de la rondeur, j’ai choisi la fleur de dahlia comme fil conducteur. »
Aux murs d’une première boutique sise quai Saint-Antoine, six arches d’un rose poudré viennent ainsi adoucir la pierre apparente. Les plus grandes abritent des miroirs dans lesquels se reflète une suspension Heracleum (Moooi), tandis que les petites sont habillées de fleurs stabilisées. Les banques, réalisées en chêne massif, en Neolith (de la pierre frittée) et en cuivre, sont d’une grande élégance. Pour la seconde adresse de la maison, dans le quartier d’Ainay, les mêmes codes ont été réinterprétés. « La boulangerie étant proche d’une école, nous avons développé la partie salon de thé dans un esprit madeleine de Proust. La mosaïque du sol, figurant des fleurs, dialogue avec le papier peint que nous avons créé et posé au plafond », décrit encore Émilie Rõz.
Dans un tout autre genre, celle-ci s’est inspirée d’une cité monastique éthiopienne pour réaliser la pâtisserie Lalibela, qui ouvrira cet été, toujours à Lyon. Son agence travaille également pour de grands groupes comme Airbus, pour l’hôtellerie de luxe et pour des particuliers. « J’essaie à chaque fois de conserver et de sublimer l’identité du lieu, afin qu’il raconte une histoire », conclut-elle. B.D.
> Eroz.fr
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