L’appartement épuré au passé historique de Joris Poggioli

L'architecte d'intérieur, designer est fondateur du label Youth Editions, ouvre les portes de son lieu de vie situé rue de Paradis, dans le 10e arrondissement de Paris, un espace qu'il a dessiné comme un story-board. Visite guidée.

Dans cet hôtel particulier au grand escalier, à la moquette rouge et aux portes magistrales en bois clair souffle un parfum d’histoire. Et pour cause, Napoléon y avait installé ses bureaux. Le designer et architecte d’intérieur Joris Poggioli a jeté son dévolu sur l’appartement adjacent au fameux salon oval de l’empereur, le rénovant entièrement, confrontant son charme d’antan à sa propre vision.


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Joris Poggioli ou la facilité de se projeter

Murs blancs, hauteur vertigineuse sous plafond, du noir, du chrome, du marbre et du blanc. Difficile en passant le seuil de s’imaginer que ce trois-pièces épuré de 90 mètres carrés en abritait à l’origine sept, petites et biscornues, dans une atmosphère feutrée – voire confinée.

Dans la chambre, une cloison arrondie peinte en noir laqué sert de tête de lit et sépare l’espace de la salle de bain et du dressing. © Alice Mesguich
Dans la chambre, une cloison arrondie peinte en noir laqué sert de tête de lit et sépare l’espace de la salle de bain et du dressing. © Alice Mesguich

Que de lourdes tapisseries couraient auparavant du sol au plafond, que le plancher était recouvert d’une couche de moquette, de parquet puis d’une seconde couche de moquette et que les fenêtre étaient condamnées par d’imposants barreaux d’acier. Pour autant, dès sa première visite, Joris Poggioli s’y projette immédiatement, devinant le potentiel de l’appartement et imaginant déjà les futures rénovations.

« Je me laisse beaucoup guider par mes émotions et par les énergies qui se dégagent de certains lieux, confie l’architecte d’intérieur. Ici, même si le père de l’ancien propriétaire y est décédé, je n’ai jamais ressenti de poids macabre ni d’ombre quelconque. Au contraire. Le monsieur qui m’a vendu l’appartement, âgé, était radieux et enjoué. Il y avait des dessins de lui partout, il a parcouru le monde. » 

Joris Poggioli dans sa cuisine sur mesure en inox et eucalyptus fumé. © Alice Mesguich
Joris Poggioli dans sa cuisine sur mesure en inox et eucalyptus fumé. © Alice Mesguich

Il visualise le projet dans son entièreté. « C’est mon métier. Et, surtout, chaque architecte à sa vision. Des amis – parfois de grands noms du secteur – m’ont donné leur avis et j’ai été étonné de voir ce foisonnement d’idées. Il n’y a pas qu’une seule bonne réponse, bien au contraire. »

Préférer le dialogue au pastiche

Ainsi, Joris dépouille l’appartement du superflu, jusqu’à révéler son plus simple appareil. Il fait tomber les murs, dévoilant une grande pièce en longueur qui fait office de cuisine, salle à manger et salon. À nouveau, les grandes fenêtres baignent le lieu de lumière.

« J’ai un temps voulu devenir architecte des bâtiments de France. Je respecte énormément l’in situ et je considère que le dessin doit s’adapter au lieu où l’on s’intègre tout en parlant à sa génération, ce qui est ton devoir. Éviter le piège du pastiche à la Disneyland. » Ainsi, Joris Poggioli imagine un dialogue avec cette structure aux belles moulures. « Dans la chambre, j’ai coupé la moulure qui se trouve au plafond en deux grâce à une cloison arrondie qui me sert de tête de lit. Cet élément me parle, me représente. Néanmoins si je m’en vais, il n’en restera rien. » 

Les sofas modulable seront bientôt édités par Youth Editions. © Alice Mesguich
Les sofas modulable seront bientôt édités par Youth Editions. © Alice Mesguich

La salle de bain se situe juste derrière une porte dérobée. « J’y ai mis, notamment dans la douche, beaucoup de principes architecturaux auxquels je crois. Je pense par exemple que lorsque l’on est nu, on a besoin de se sentir en confiance, d’être enveloppé dans quelque chose de rassurant, qu’il faut avoir envie d’effleurer. Nul besoin, pour jouir d’un intérieur agréable, de posséder des œuvres d’art, du mobilier signé à foison et beaucoup d’argent. Pour moi, le plus important est de sculpter l’espace, même blanc, pour que la lumière circule le plus possible et que l’on se retrouve toujours entouré, enlacé par quelque chose. »

Les 4,20 mètres de hauteur sous plafond lui permettent de créer une mezzanine dont il se sert comme chambre d’ami, donnant sur tout le salon. D’en bas, les invités conservent leur intimité. Lorsqu’ils y sont perchés, accoudés au garde corps, ils peuvent admirer les détails des moulures et se rendre compte des volumes. « Je suis dingue de cinéma et j’aime penser les espaces et leur circulation comme s’il s’agissait des scènes d’un film, les dessiner comme story board. J’aime voir les gens se mouvoir autour de moi et regarder les choses sous un autre angle de manière générale. »

« Cette fois, j’ai pu totalement m’exprimer« 

La cuisine a été réalisée sur mesure, en inox et en eucalyptus fumé : « Nous en avons importé d’Inde qu’on a ensuite mis au four jusqu’à ce que l’écorce passe d’une couleur claire proche du chêne à ce brun foncé. » Quant à l’îlot, entièrement en acier inoxydable, il a fallut sept mois pour le confectionner.

Joris Poggioli a testé tous les principes architecturaux auxquels il croit dans son lieu de vie, en particulier dans la salle de bain. © Alice Mesguich
Joris Poggioli a testé tous les principes architecturaux auxquels il croit dans son lieu de vie, en particulier dans la salle de bain. © Alice Mesguich

« Dans mon ancien appartement – mon premier achat, une ruine très bien placée que j’ai entièrement rénovée – les travaux m’avaient tant coûter que j’ai dû mettre la décoration de côté. Cette fois, j’ai pu vraiment m’exprimer. J’ai la chance de travailler avec des fabricants capables de donner vie à mes envies qui ont eu la gentillesse de m’aider pour mon propre projet. Ils m’ont tous fait des cadeaux, en quelque sorte. »

Il en a également profité pour dessiner son canapé modulable idéal qu’il va éditer prochainement via son label, Youth Editions. « Je le voulais totalement évolutif et non figé. Le dossier peut être déplacé sur les côté ou bien positionné au sol pour rajouter des assises si besoin. Pour autant, la structure triangulaire à l’intérieur permet de ne pas s’affaisser – il a fallu 20 prototypes pour y arriver ! Quatre modules forment un lit de 180 centimètres que j’ai testé, et dans lequel j’ai très bien dormi ! Celui-ci est très ferme : comme tous les architectes, j’aime les choses un peu bizarres, notamment les sofas qui se tiennent. »

Au-dessus de la cuisine, Joris Poggioli a ajouté une dizaine de mètres carrés de mezzanine, où dorment ses amis de passage dans la capitale. © Alice Mesguich
Au-dessus de la cuisine, Joris Poggioli a ajouté une dizaine de mètres carrés de mezzanine, où dorment ses amis de passage dans la capitale. © Alice Mesguich

Autour de la table à manger qu’il a également dessiné trônent les chaises cantilever MR10 de Ludwig Mies van der Rohe. « Je suis obsédé par cet homme qui a inventé la maison moderne, ce concept de villa qui n’a toujours pas été détrôné. » Comme les causeuses, la tête de lit et d’autres éléments de cet appartement situé rue de Paradis, dans le 10e arrondissement de Paris, ce mobilier est d’un noir de jais.

D’ailleurs, hormis les fleurs et les fruits sur le comptoir, la couleur règne par son absence. Il faut dire que le designer est habillé d’ébène de pied en cape. « Je ne suis pas un grand fan de la couleur. L’intemporalité me fascine depuis toujours et selon moi, on se lasse plus facilement des choses quand elles sont colorées. Et puis, dans mon métier, je passe mon temps à sélectionner pour mes clients nuances et tonalités. J’ai besoin de me recentrer dans un univers très neutre afin de stimuler ma créativité. »

L’appartement baigne dans la lumière. © Alice Mesguich
L’appartement baigne dans la lumière. © Alice Mesguich

Lui préfère la matière, qu’il trouve plus sincère. J’aime particulièrement leurs reflets, raison pour laquelle j’ai choisi de l’inox pour la cuisine et de la laque noire pour certains pans de murs, car ainsi, la matière s’exprime tout en laissant parler ce qui se passe autour d’elle. » 

Ce qu’il préfère dans son cocon ? « La lumière, évidemment, et l’espace vide, qu’il faut remplir avec sa tête. Il est important de le laisser s’exprimer et de ne pas le saturer. « La véritable musique est le silence et toutes les notes ne font qu’encadrer ce silence », disait Miles Davis. Et le silence est tout aussi important en architecture. »


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