Anja, comment êtes-vous venue à la photographie ?
Anja Niemi : À l’âge de 18 ans, je suis partie suivre un cours de photographie en Californie pendant un an. Quand j’ai développé ma toute première pellicule, ça a été une véritable révélation (sic). Je me le rappelle encore très clairement. La photo, ce fut comme une évidence.
Étiez-vous une enfant créative ?
J’ai toujours eu une imagination très vive, des histoires plein la tête, mais une forte dyslexie. Ma sœur, de trois ans mon aînée, pouvait au contraire tout exprimer avec des mots. Je me souviens qu’elle écrivait des histoires qui se passaient dans des pays fantastiques. Elle est d’ailleurs devenue écrivain… Nous avions des esprits très semblables, mais moi j’étais perdue, j’essayais différentes choses, comme le dessin, mais ça ne marchait pas.
À quoi ressemblaient vos premiers travaux photographiques ?
Je crois que, depuis le tout début, je me suis incluse dans les images. Pas dans toutes, mais presque. D’abord parce que j’aimais garder les choses pour moi et que j’avais l’habitude de me débrouiller seule. J’ai d’emblée aimé la photographie car je pouvais y mettre en forme mes idées, m’exprimer. J’ai expérimenté la photo de paysage, puis j’ai travaillé les couleurs, les compositions, et il y a eu un moment où j’ai commencé à m’inclure dedans. Je cherchais des endroits abandonnés, où je pourrais être seule. Cela m’a menée aux chambres d’hôtel. Et, petit à petit, je me suis aventurée dans le monde.
Vous êtes fondamentalement une solitaire ?
Non, mais j’aime être seule. Quand vous avez du monde autour de vous, vous pensez à qui vous êtes, au regard des autres sur ce que vous faites. Cela gâche ma joie pure et simple de créer. Seule, je peux n’être que dans cette sorte de bulle de la création. Alors, oui, c’est devenu mon processus.
Quand vous avez décidé de vous photographier la première fois, était-ce un autoportrait ou déjà un personnage de fiction ?
C’était encore expérimental, je ne savais pas tout à fait ce que je voulais. Je jouais sans doute un rôle puisqu’il s’agissait d’exprimer quelque chose. Mais, quand vous n’avez ni public ni galerie, vous créez, c’est tout. C’est quand vous réalisez que vous pouvez utiliser votre voix pour parler aux gens que vous vous demandez vraiment ce que vous voulez dire. L’idée n’était pas de partager ma vie, mais de trouver un langage pour faire en sorte que les gens puissent s’identifier à mes histoires.
Vous n’avez jamais envisagé de faire du théâtre ?
Enfant, oui. Ça m’attirait, mais j’étais trop timide, jamais je n’aurais osé monter sur scène.
Vous vous déguisiez ?
Oh oui ! Ma grand-mère avait de très belles robes de cocktail. Je me souviens de cette sensation étonnante, de cette joie de la transformation. Comme si le déguisement était un premier pas pour devenir quelqu’un d’autre.
Vos parents vous ont-ils incitée à avoir une pratique artistique ?
Ils n’ont pas eu une telle formation. Mon père dirigeait des entreprises, mais il affirmait toujours que, même s’il était dans un bureau, cela ne voulait pas dire qu’il n’était pas créatif. « Je suis créatif tous les jours dans ma façon de penser », déclarait-il. Et, quand j’étais enfant, je me disais : « Ouais, d’accord, mais tu ne sais pas dessiner… » Aujourd’hui, je réalise que nous avons beaucoup appris de lui, ma sœur et moi. Quand elle est allée vers l’écriture et que j’ai voulu devenir photographe, il a toujours été d’un grand soutien, quand bien même son monde était à l’opposé et que nos choix étaient risqués. Devant mes plus grands rêves, il m’a toujours encouragée : « C’est super, tu peux le faire ! Moi, j’y crois, vas-y ! » Avec le recul, je trouve cela assez incroyable.
La féminité, le goût des vêtements, ça vient de votre mère ?
Ma mère était très élégante. Ma sœur et moi, nous nous battions pour récupérer ses vêtements des années 70 et 80 dans le grenier. Mais ma grand-mère, elle, c’était une artiste, elle peignait. Elle n’en a jamais vécu, c’était devenu son passe-temps. Pour moi, elle était glamour, peut-être à cause de ces fameuses robes… et c’est la seule artiste que je connaisse dans la famille.