Anja Niemi : notre entretien avec l'artiste

Anja Niemi nous a reçus dans sa maison des environs d’Oslo. De la part d’une personnalité aussi sauvage, c’est un vrai privilège ! Après une promenade à ski de fond et quelques gaufres maison, elle s’est livrée à l’exercice de l’interview, rappelant son parcours, confiant ses doutes, mais aussi ses certitudes, dévoilant une volonté et une exigence hors du commun au service d’un imaginaire débordant.

Avez-vous des exemples ?
Anja Niemi : Quand j’ai vu le documentaire de Wim Wenders sur Pina Bausch (Pina, sorti en 2011, NDLR), je ne savais rien d’elle. C’est là que j’ai réalisé pour la première fois à quel point mon travail était lié à la danse, parce que moi aussi j’utilise mon corps pour m’exprimer. Bien que je n’aie aucune prétention de danseuse, cela m’a encouragée.

Vous n’avez jamais fait de danse ?
Enfant, oui, mais pas sérieusement, je dirais.

Pourtant, vous avez un certain maintien, une présence…
Vous savez, je ne suis pas particulièrement courageuse, je n’ai pas beaucoup de talents, mais il y a une chose qui me mène vraiment loin, c’est le pouvoir de ma volonté. Si je veux que mon corps fasse quelque chose, il le fera ; je ne pourrai probablement plus jamais recommencer, mais je l’aurai fait, même deux secondes, pour la photo.

Vous traversez le désert, montez à cheval, enlacez un serpent… juste parce que vous voulez concrétiser l’image que vous avez en tête ?
Oui. Et c’est pareil avec les mouvements de danse…

Dans vos images, la beauté des décors est primordiale. Au point que le personnage semble se fondre dedans, parfois. Comment procédez-vous ?
C’est tout un processus. J’ai une idée, puis j’essaie de savoir qui est vraiment mon personnage, à quoi il ressemble, où il habite. Ensuite, je cherche tous ses accessoires. Je trouve un lieu, puis les costumes s’accumulent. Quand j’arrive sur la « scène », j’ai tellement tout regardé et étudié que je sais vraiment qui je vais incarner. C’est comme un mélange entre l’histoire, le lieu et les costumes. Ensemble, ils forment une personnalité.

Les costumes, les masques, les perruques… Autant de moyens, pour la photographe norvégienne Anja Niemi de dissimuler ses propres traits.
Les costumes, les masques, les perruques… Autant de moyens, pour la photographe norvégienne Anja Niemi de dissimuler ses propres traits. DR

Mais vous partez d’un lieu ou d’un personnage ?
C’est à chaque fois complètement différent.

Diriez-vous qu’il y a eu une évolution dans votre travail ?
Oui, sans doute, ce serait naturel, n’est-ce pas ? Disons qu’au début c’était plus simple, et je pense que j’aime de plus en plus les perruques, le maquillage et même les vêtements. Je m’y intéresse davantage, donc ils sont plus détaillés, plus précis. Pour « The Woman Who Never Existed », j’ai usé du maquillage comme jamais je ne l’avais fait auparavant.

Cela signifie-t-il que vous vous « grimez » de plus en plus ?
Non, je ne pense pas. Je n’en sais rien, en fait…

Ce ne sont pas non plus des artifices de métamorphose.
Non, en effet. Ce sont juste des personnages légèrement exagérés. Je ne veux pas qu’ils aient l’air trop réalistes, parce que, sinon, ils me ressembleraient trop et alors l’histoire deviendrait plus difficile à comprendre pour le spectateur. Quand je ne montre pas mon visage, c’est plus facile de ne pas se laisser distraire par des questions comme « mais qui est-ce ? » vu que ce n’est pas le propos.

Dans « She Could Have Been A Cowboy », en effet, nous ne voyons jamais votre visage. C’était juste pour privilégier l’histoire ?
Je voulais ouvrir le propos. C’est l’histoire de quelqu’un qui rêve d’une autre vie. Mais, dans la vraie vie, il y a tellement de niveaux de questionnement ! Il y a des rêves qui sont si forts qu’on ne peut pas vivre sans chercher à les réaliser, et puis il y en a de plus humbles, comme vouloir changer de travail, par exemple… Là, il s’agit carrément de vouloir être quelqu’un d’autre. Je voulais que ça puisse toucher n’importe qui. Ça aurait pu être un autre symbole que le cow-boy, du moment que le contraste avec cette femme en robe rose de dentelle fonctionnait. Le cow-boy s’est imposé parce qu’il évoque vraiment cet « autre différent ».

Avez-vous peur quand vous ne vous reconnaissez pas sur une photo ?
Non, au contraire, je trouve cela très amusant ! J’aime me sentir transformée

Quand vous dupliquez un personnage dans la même image, ce qui est assez fréquent, est-ce l’expression de multiples personnalités qui cohabiteraient en chacun de nous ?
Ça illustre pour moi le genre de conversation que l’on peut avoir avec soi-même, quand on hésite, qu’on se pose des questions. C’est constant, ces dialogues intérieurs que nous avons avec nous-mêmes. La plupart du temps, c’est même plutôt conflictuel. C’est tout le propos de « Darlene&Me ». Darlene est sa propre meilleure amie (et, plus encore, sa pire ennemie !), et toutes les deux ne font que traîner ensemble…

Vous travaillez beaucoup sur les vêtements, vous en cousez, même. Vous intéressez-vous à la mode ?
Au début, pas du tout. Je m’y suis intéressée davantage quand j’ai commencé à utiliser plus de costumes. Et maintenant, je regarde les défilés, c’est tellement inspirant et amusant. J’adore ce monde, mais les costumes que j’utilise sont plus anciens, plus neutres.