Anja Niemi : notre entretien avec l'artiste

Anja Niemi nous a reçus dans sa maison des environs d’Oslo. De la part d’une personnalité aussi sauvage, c’est un vrai privilège ! Après une promenade à ski de fond et quelques gaufres maison, elle s’est livrée à l’exercice de l’interview, rappelant son parcours, confiant ses doutes, mais aussi ses certitudes, dévoilant une volonté et une exigence hors du commun au service d’un imaginaire débordant.

Vous vous documentez beaucoup ?
Anja Niemi : Je ne me dis pas : « Tiens, je vais faire un personnage des années 40, 50, 60 ou 70 ! » Ce n’est pas comme dans un film d’époque, où il faut suivre des règles. Je choisis ici et là des choses qui vont bien ensemble, et ça devient intemporel, c’est ce qui compte.

Mais, par exemple, quand vous êtes allée à l’hôtel SAS de Copenhague, conçu par Arne Jacobsen, cela a-t-il influencé l’histoire ?
La chambre (la suite 606, conservée dans sa décoration originale, NDLR) est si belle ! Pour la série « Starlets », je cherchais des éléments spécifiques à la Scandinavie. J’ai donc utilisé une maison privée ici, à Oslo, puis je suis allée à Copenhague. J’ai passé trois jours dans cet hôtel, une sorte d’icône. C’était comme de dormir dans un musée – même le sèche-cheveux datait des 50’s, je crois –, c’était vraiment incroyable. Lorsque l’immeuble a été construit, les gens disaient qu’en été, lorsque certaines fenêtres étaient ouvertes, il ressemblait à ces cartes perforées que l’on pointait matin et soir. J’ai donc créé deux personnages, une réceptionniste et une secrétaire. On peut dire qu’elles m’ont été inspirées par le bâtiment. Et la décoration intérieure a influencé leur look.

Vous demandez toujours l’autorisation de faire des photos ?
Je le fais toujours maintenant, mais au début, dans les hôtels, on me disait : « Tant que vous prenez des photos dans votre chambre et pas dans les espaces publics, vous pouvez faire ce que vous voulez. » Ça faisait partie du frisson. Vous prenez une chambre comme n’importe qui, puis vous fermez la porte et, là, vous pouvez être ce que vous voulez ! Ça devient un espace très privé. Comme un secret.

She Could Have Been A Cowboy (2018).
She Could Have Been A Cowboy (2018). © ANJA NIEMI / THE LITTLE BLACK GALLERY

La série « Cowboy » est accompagnée par un poème de votre sœur. C’est votre première collaboration ?
C’est la première qui a abouti. Nous avons entrepris plein de choses ensemble : un script de court-métrage qu’elle a écrit et dont j’ai imaginé l’atmosphère, mais qui n’est pas encore tourné ; un autre projet qui sera à la fois ma prochaine série et un livre… D’habitude, je sors un livre à la suite d’une série, mais, cette fois, le concept de départ, c’est le livre, et nous y avons travaillé ensemble depuis le début. Quand je lui ai parlé de la série « Cowboy », elle m’a dit : « C’est exactement le thème sur lequel je travaille en ce moment. »

L’histoire de quelqu’un qui voulait être quelqu’un d’autre ?
Oui. Une femme qui ne vivait pas la vie qu’elle voulait. Et donc, on a continué à en parler, son texte a pris forme au fur et à mesure que je lui envoyais les photos.

C’est rare, une telle complicité…
Pour nous, c’est la chose la plus naturelle au monde. Nous ne sommes pas pareilles, mais nous avons les mêmes centres d’intérêt.

Avez-vous partagé beaucoup de jeux dans l’enfance ?
Je pense que nous sommes plus proches aujourd’hui que nous ne l’avons jamais été. Nous nous sommes toujours bien entendues, mais nous nous sommes « trouvées » une fois adultes. Quand on est ensemble, on parle de tout, y compris de notre travail. Et la plupart du temps nous sommes vraiment sur la même longueur d’onde.

The Imaginary Cowboy (2018). Série « She Could Have Been A Cowboy ».
The Imaginary Cowboy (2018). Série « She Could Have Been A Cowboy ». © ANJA NIEMI / THE LITTLE BLACK GALLERY

Pourquoi portez-vous si souvent des gants sur vos photos ?
En portant maquillage, perruque, costume, je cache au maximum mes propres spécificités.

Lorsque nous vous avons demandé de réaliser une série pour IDEAT, nous savions que c’était en totale contradiction avec votre façon de travailler. L’avez-vous pris comme un défi, comme une opportunité de changer de processus ?
Ma première réaction a été que ce n’était pas quelque chose que je pourrais faire. Mais c’était un honneur qu’on me le demande, et je n’allais donc pas rejeter l’idée sans y avoir réfléchi. J’ai réalisé que, finalement, j’étais vraiment curieuse de savoir si j’en étais capable et de voir ce que ça donnerait. Bien sûr, j’étais très anxieuse. Je le répète, je ne suis pas à l’aise quand j’ai des gens autour de moi et je ne suis pas particulièrement sociable. Mais j’ai pensé que je le regretterais si je n’essayais pas, car cette question serait restée sans réponse. Après avoir surmonté ma peur dans l’Utah et en avoir tiré une grande satisfaction, je me suis dit que je pouvais considérer ce travail en collaboration avec une rédaction de la même façon, que quelque chose était peut-être à conquérir là aussi.