« Pour tous, pour tous les jours, et pour toujours« , une devise qui sonne comme une prière pour Duralex, marque culte du made in France. À l’aube de ses 80 ans, l’entreprise transformée en Scop mise sur ses classiques et renaît de son calcin.
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Duralex, le feu sacré
Autour de l’usine, des prés verdoyants dans lesquels gambadent des chevaux attirent immédiatement le regard. Ce sont « des terrains appartenant à nos voisins paysans », sourit Peggy Sadier, directrice marketing de Duralex. Pourtant, l’aventure de la verrerie la plus connue de France n’a rien de bucolique.
La manufacture de La Chapelle-Saint-Mesmin, près d’Orléans, installée en 1927 sur son site actuel, a connu six dépôts de bilan depuis ving-sept ans. « Duralex a enchaîné les déconvenues », confirme la jeune femme. Après une aide de 15 millions d’euros de l’État, l’envolée des prix de l’énergie et l’effondrement de l’export ont eu raison de l’entreprise et le four avait été mis en veille en novembre 2022 pour cinq longs mois.

Le 26 juillet dernier, le tribunal de commerce d’Orléans confirmait la reprise de la verrerie par une Scop (Société coopérative et participative), dont 75 % des salariés sont aujourd’hui sociétaires. « Nous devons maintenant regarder devant », martèle Peggy Sadier en entrant dans la moulerie, premier maillon de la chaîne de production.
Ici, cinq salariés sont préposés aux moules sous la responsabilité d’Ahmed Terristi. « Il faut les nettoyer, les polir et les chromer pour éviter d’en changer trop souvent », explique-til. Malgré tout, les best-sellers, comme les moules du verre Le Picardie, sont renouvelés fréquemment et fabriqués en Normandie, depuis toujours.

Avec autant de moules que de typologies d’objets, la maison ne se résume pas à son seul gobelet iconique. L’atelier est occupé par la variété de la collection: saladiers, assiettes, mugs, coupelles, plats de service, ramequins, moules à cake, plats à tarte, boîtes de conservation, verres à cocktail, coupelles à glace, bols ou tasses à café…
Un morceau du patrimoine français
Les poinçons sont eux aussi choyés, ils permettent de venir tamponner la vaisselle encore chaude pour marquer le fameux logo Duralex et son – encore plus célèbre – numéro. Qui n’a pas un jour hissé son verre Le Gigogne et demandé, à la volée : « Et toi, tu as quel âge ? » Car si le futur de l’entreprise a ému la France, c’est bien qu’elle est un pan de son patrimoine. Elle parle aussi bien aux férus de design – les verres Duralex sont vendus à la boutique du Centre Pompidou et exposés au MoMa, à New York –, qu’au grand public, car disponible en grande distribution.

Pour la soutenir, les localités comme La Baule ou Orléans ont d’ailleurs passé commande pour leurs restaurations collectives. Sauvés! Les écoliers continueront de scruter encore longtemps le fond de leurs verres. Mais alors, que veulent vraiment dire les chiffres qu’on y lit ? « Le numéro correspond au chiffre du moule. Si on observe un défaut sur un produit, on peut remonter le fil et vérifier d’où vient le problème, c’est la traçabilité. »
Derrière la porte de l’atelier moulerie, un panneau indique que les bouchons d’oreilles sont obligatoires. Effectivement, le bruit y est assourdissant et la température monte de quelques degrés. Bienvenue près des cinq lignes de production et de la chaleur du four. Dans la salle des machines, Clarisse Hardy, en poste depuis cinq ans, s’occupe de la composition du verre qui sera envoyée dans le mélangeur : « J’aime dire que c’est comme la recette de la pâte à crêpes. Le succès est dans le mélange, il ne faut pas de grumeaux ! », sourit-elle.

Elle bichonne aussi le four, son « bébé » de 54 m2 en pierre et en plaques réfractaires où elle contrôle la température. Cette ingénieure de formation est responsable de la qualité du verre qu’elle obtient grâce à un mélange de sable de Fontainebleau – le même depuis toujours, incomparable pour sa finesse qui apportera sa transparence au produit fini –, de calcin – obtenu en pilant les rebuts de verre –, puis de carbonate de soude et de calcaire. Les proportions exactes, comme les températures, sont gardées secrètes.
Un camion vient quotidiennement apporter 30 tonnes de sable. « Le four ne s’arrête jamais », allumé par un mélange d’air et de gaz et contrôlé nuit et jour par des fondeurs qui fonctionnent en 3×8. De sorte que si l’on veut produire des mugs roses ou des assiettes vermeilles après une série transparente, il faut vider le four et ses filaires de la première recette, en incorporant peu à peu les ingrédients et les oxydes nécessaires pour produire de la couleur.

Dans ce laps de temps, toutes les gouttes de verre tombent directement « à la cave », car elles n’ont pas la tonalité exacte voulue. Il faut, par exemple, attendre trois jours pour que la recette de la couleur vermeille soit mise en place et que les gouttes puissent à nouveau tomber dans des moules. À la cave, on pile et on casse ce « verre de transition » pour produire du calcin, de sorte que chaque tasse, assiette ou bol de la marque, contient un peu de ce verre recyclé.
Une mécanique bien rodée
Aujourd’hui, la ligne de production sort des verres Le Picardie transparents, appelés « the Original French Tumbler » (« le gobelet français original ») à l’international. L’entreprise réalise d’ailleurs 70 % de son chiffre d’affaires à l’étranger. Et puis, n’a-t-on pas vu en 1981 un verre Lys dans les mains d’Indiana Jones qui y buvait son whisky dans Les Aventuriers de l’arche perdue ou, en 2012, un verre Le Picardie dans celles de James Bond (Skyfall) ?

Une carrière internationale qui débute par une goutte de verre en fusion (autour de 1400 °C) tombant directement dans un moule : le liquide, encore à vif, venant taper au fond et remonter sur les côtés, la soupape frappant alors le cul du produit et un bras mécanique attrapant l’objet pour le poser sur le tapis roulant.
Chaque verre part ensuite en direction de la soufflerie pour refroidir, une rapide douche permet d’ailleurs d’y apposer un traitement de surface, et le verre Le Picardie continue sa route vers le sondeur, soit le poste de contrôle qualité. S’il est conforme, le voici regroupé par six et empaqueté dans les cartons siglés de la marque avant de poursuivre son chemin jusqu’à l’espace logistique, le conditionnement puis l’envoi.

Dehors, la fumée de la cheminée passe par un long conduit flanqué d’un filtre : une obligation préfectorale, qui interdit certaines composantes et impose une valeur limite d’émission dans l’air pour permettre de diminuer la pollution. Une mécanique rodée « assez impressionnante », acquiesce Clarisse Hardy. « C’est beau à voir », complète Peggy Sadier.
Cette année, la verrerie – lancée par Saint-Gobain, qui régnait à l’époque sur le verre français et s’aperçut que le verre trempé destiné au pare-brise pouvait parfaitement être adapté aux arts de la table – fêtera ses 80 ans. Main dans la main avec Vincent Vallin, le directeur stratégie et développement, Peggy Sadier espère « retravailler la marque, sortir un nouveau site, proposer de nouveaux produits, fouiller dans les archives, vendre aux enchères les bleus de travail des ouvriers » et, pourquoi pas, collaborer avec un designer.

En 2015, la marque avait demandé au studio 5.5 Designers de repenser le Picardie avec une gamme de 70 accessoires en impression 3D. « La maison a pris des coups, elle a désormais besoin d’actions concrètes pour se remettre en marche », résume, confiante, la jeune femme. Et puis, ne dit-on pas que Duralex – dont le nom vient de l’expression latine « Dura lex sed lex » (« La loi est dure, mais c’est la loi ») – est incassable ?
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