Dans les coulisses de l’usine Arflex

C’est à Giussano, en Lombardie, qu’Arflex, née dans les années 50 et reprise par la famille Colombo en 1994, a installé son unique site de production. C’est donc de là que sortent les modèles qui ont rendu la marque mythique aux yeux des amateurs de design, mais aussi les nouveautés imaginées par quelques grands noms d’aujourd’hui.

Chez les Colombo, je ne demande ni Joe le designer ni Carlo l’architecte, mais Pierantonio le chef d’entreprise. Sans lien de parenté avec les deux premiers, cet homme fait toutefois partie de la grande famille du design italien, car il est celui grâce à qui une marque de légende a pu perdurer. En 1994, alors à la tête de l’éditeur de mobilier Seven Salotti, il reprend Arflex, fleuron du meuble de designer haut de gamme, alors en perdition.

Artflex, une histoire passionnelle

Dans l’unité de production d’une surface totale de 15 000 m2, l’organisation est faite par types de produits et par pôles d’activités.
Dans l’unité de production d’une surface totale de 15 000 m2, l’organisation est faite par types de produits et par pôles d’activités. Nicolas Krief

« Depuis le tout début de sa carrière, notre père a baigné dans le design. Il connaissait Arflex depuis toujours, depuis sa grandeur dans les années 60 et 70 jusqu’à la période où plus rien n’était produit. Véritable amoureux de la marque, il a voulu la reprendre pour lui rendre sa juste place. Dès le début, il a recontacté les designers historiques pour garder un certain fil conducteur, tout en allant en chercher de nouveaux, comme le Studio Cerri. Et c’est ce qu’à notre tour nous nous sentons le devoir de faire à notre tour. Recherche, histoire, design et made in Italy, c’est cela, notre ADN. Nous partageons tous cet esprit. » indique Laura Colombo, la fille de Pierantonio, aujourd’hui directrice artistique et présidente d’Arflex

Car, dans la famille Colombo, je demande aussi les enfants, qui succèdent à leur père à partir de 2012 : Laura, donc, qui assume actuellement la direction de la société, mais aussi Patrizia, chargée de la communication et du marketing, Fausto, directeur commercial, et Giovanni, responsable de la fabrication. Ils écrivent les nouvelles pages de l’histoire d’Arflex, en s’inscrivant dans la droite ligne de l’éditeur et en préservant l’esprit d’origine.

Le design revisité

À gauche,  le cuir est systématiquement découpé à la main pour une plus grande précision. À droite, les mousses sont le trésor de la marque.
À gauche,  le cuir est systématiquement découpé à la main pour une plus grande précision. À droite, les mousses sont le trésor de la marque. Nicolas Krief

L’entreprise a été créée en 1947 par Carlo Barassi, ingénieur chez Pirelli, et son collègue Renato Teani, du département des finances, avec aussi Aldo Bai et Pio Reggiani. Dans leur petite usine de Milan, associés au jeune designer Marco Zanuso, ils combinent mousse synthétique et bandes élastiques pour imaginer une nouvelle offre de mobilier industrialisée, développée sous la marque Arflex (contraction d’« ameublement flexible »).

C’est en 1951 que les premiers produits sont dévoilés au public, lors de la IXe Triennale de Milan, avec un fauteuil signé Marco Zanuso, qui décroche alors une médaille d’or. Suivront au fil des années quelques best-sellers : le canapé Strips (1972) et les fauteuils Botolo (1973), de Cini Boeri, le fauteuil Delfino, d’Erberto Carboni (1954), les chaises Elettra (1954), de BBPR, le canapé 9000 (1969), de Tito Agnoli, récemment relancé…

Le terme « famille » convient plutôt bien à Arflex. Visiter le site de production, à Giussano, dans la province de Monza, c’est un peu s’inviter à la maison, bien que le bâtiment, conçu en 2010 par Felice Capellini, mesure 35 000 m2, dont 15 000 m2 consacrés à la production. Carlo Colombo, directeur artistique de la marque de 2006 à 2014, en a réalisé l’aménagement intérieur, dont l’impressionnant escalier suspendu dans l’entrée, tout en marbre et en métal.

Une atmosphère familiale

Chez Arflex, le fil rouge est la fabrication à la commande, avec un habillage personnalisable.
Chez Arflex, le fil rouge est la fabrication à la commande, avec un habillage personnalisable. Nicolas Krief

Pour autant, l’ambiance et l’atmosphère restent tout à fait conviviales et familiales. Dès l’arrivée, on se sent ici comme chez soi, en découvrant sur la terrasse les confortables canapés Marenco, signés Mario Marenco, mais adaptés à l’outdoor, la nouveauté de la marque présentée au prochain Salon de Milan, qui invitent à se poser pour profiter du soleil. Dans l’entrée, ce sont les mêmes canapés, dans leur version d’origine, qui meublent agréablement l’espace, associés aux tables basses et bouts de canapés Arcolor, de Jaime Hayón, et aux consoles Match de Bernhardt & Vella.

S’il n’y avait les bureaux, vastes et vitrés, dans lesquels s’affaire la douzaine de personnes des équipes commerciales, marketing et administratives, on oublierait presque qu’on est sur un lieu de travail. Même le showroom en sous-sol, où s’exposent les créations de Cini Boeri, Claesson Koivisto Rune, Jean Nouvel, Luca Nichetto, Neri&Hu, Tito Agnoli, donne l’impression d’un immense loft. 

Les mousses et les structures sont conservées dans le « frigo » de l’usine, un vaste espace où règne une température basse, pour une meilleure conservation.
Les mousses et les structures sont conservées dans le « frigo » de l’usine, un vaste espace où règne une température basse, pour une meilleure conservation. Nicolas Krief

Le reste de la « famille » Arflex se trouve côté fabrication et compte une trentaine de personnes. L’organisation se fait ici par îlots d’activité : la découpe des tissus et des cuirs, la confection, l’assemblage, la tapisserie… Certains modèles, comme le canapé Strips, de Cini Boeri, demandent des machines adaptées pour coudre la housse qui en fait sa particularité.

« Chaque produit est réalisé à la commande, toutes les étapes sont manuelles, et nous tenons à conserver ce travail artisanal. C’est ce qui permet de garantir une qualité irréprochable à tous les niveaux. Le cuir est découpé à la main pour un meilleur contrôle ; la ouate qui garnit l’intérieur des revêtements est systématiquement surfilée, même si cela ne se voit pas, pour qu’elle ne s’effiloche pas avec le temps ; nous réalisons un montage complet du produit, que nous photographions avant expédition, preuve que tout est en ordre. Nous disposons d’un grand stock de tissus, permettant de garantir des délais de fabrication de six à huit semaines, mais nous pouvons réaliser des produits uniques, à la demande. » indique Giovanni Colombo, responsable de la production.

La renommée d’Arflex ne se limite pas à sa maîtrise des mousses et des sangles. Ses gammes de mobilier, comme les modèles Arcolor, de Jaime Hayón, l’inscrivent parmi les grandes.
La renommée d’Arflex ne se limite pas à sa maîtrise des mousses et des sangles. Ses gammes de mobilier, comme les modèles Arcolor, de Jaime Hayón, l’inscrivent parmi les grandes. Nicolas Krief

Côté innovation, Arflex a gardé son esprit originel et recherche les mousses offrant le plus de confort et un maximum de durabilité, lesquelles sont adaptées pour chaque assise selon sa destination et les certifications requises. L’entreprise tient aussi au made in Italy et achète ses matières premières dans un rayon maximum de 15 km autour de l’usine. « Nous avons une relation de proximité qui n’est pas que géographique avec nos fournisseurs, que nous considérons d’ailleurs plutôt comme des partenaires. Nous nous soutenons mutuellement, exactement comme dans une famille… » ajoute Giovanni Colombo.

Laura Colombo, Directrice artistique et présidente d’Arflex

Laura Colombo (debout) entourée de sa fratrie.
Laura Colombo (debout) entourée de sa fratrie. Nicolas Krief

Succédant à son frère Fausto à la tête d’Arflex, Laura Colombo, également directrice artistique, nous livre sa vision de l’entreprise en tant que marque.

Arflex, c’est aujourd’hui la famille Colombo, mais cet état d’esprit semble aller bien au-delà… 

Il y a chez nous un vrai travail d’équipe, à commencer par notre quarantaine de salariés. S’ils vont bien, nous allons bien. C’est grâce à eux si nos produits existent et sont beaux. Même pendant la période du confinement dû à la Covid-19, où tout le monde était effrayé et isolé, nous avons toujours maintenu le contact. Cette relation humaine est importante. Les gens font leur carrière ici. Il y a même des mariages entre salariés et des naissances ! Mais cela vaut aussi pour nos rapports avec les designers. Nous avons un lien presque familial avec certains, comme Claesson Koivisto Rune, avec qui la collaboration dure depuis quinze ans. Il suffit de leur dire « j’ai envie d’un fauteuil » et l’idée arrive. Ils savent parfaitement de quoi nous avons besoin…

Cette proximité est essentielle ?

Il faut qu’un designer souhaitant travailler avec nous épouse pour ainsi dire la philosophie Arflex. Si ce n’est pas le cas, et même si je l’apprécie, je préfère ne pas aller plus loin. La collaboration avec Antoine Simonin, par exemple, a été formidable, car il ne s’est pas contenté d’un brief. Il est venu ici, a tout visité, il connaissait bien l’histoire de la marque et la collaboration s’est mise en place facilement. C’est important que le designer respecte l’ADN de l’entreprise.

Arflex propose une très large gamme de tissus et de peaux pour habiller ses différents modèles et peut aussi réaliser des commandes spéciales à la demande.
Arflex propose une très large gamme de tissus et de peaux pour habiller ses différents modèles et peut aussi réaliser des commandes spéciales à la demande. Nicolas Krief

Est-ce le cas pour la distribution ?

350 revendeurs dans le monde, dont trois showrooms, en Corée, en Australie et, à Paris, celui de Bernard et Nadine Tordjman avec Siltec, qui ont l’exclusivité pour la France. Des profils comme le leur ou comme celui de notre agent au Royaume-Uni sont rares par leur niveau d’implication, car on n’a pas le sentiment de parler avec un partenaire, mais avec quelqu’un du label. 

Diriez-vous qu’il existe un lien affectif avec cette marque ?

Oui. Les clients qui achètent des pièces Arflex manifestent une réelle proximité. Ils ont une culture du design assez poussée, car nous sommes une marque de niche. Ils connaissent les détails d’un produit, son histoire. Ils nous contactent parfois avant d’acheter un modèle vintage pour être sûr qu’il ne s’agit pas d’une copie… Il existe une dimension affective évidente. Parfois, certains nous appellent, pour simplement changer la housse d’un canapé, comme le Strips, parce qu’il appartenait à leurs grands-parents ou à leurs parents et qu’ils y sont attachés… C’est assez émouvant ! 

Les sièges hauts Orfeo, d’Alberico B. Belgiojoso, inspirés de la chaise Elettra.
Les sièges hauts Orfeo, d’Alberico B. Belgiojoso, inspirés de la chaise Elettra. Nicolas Krief

Outre les produits que vous rééditez, que gardez-vous de l’esprit d’origine d’Arflex ?

Depuis que notre père a repris Arflex en 1994, il y a toujours eu une recherche constante autour de la technologie et de la matière, puisque la base même de l’entreprise est le travail sur la sangle et sur la mousse. Aujourd’hui, cette question se pose avec l’écologie, qui elle aussi a toujours fait partie du projet. Elle concerne notamment les mousses. Par exemple, pour produire le fauteuil Gloria, nous n’utilisons pas de mousse injectée classique, mais un produit recyclable. Nous sommes très attentifs à ces questions et nous procédons à des ajustements régulièrement, mais rien ne se réalise du jour au lendemain. Il n’existe pas encore, de notre point de vue, de mousse recyclée assez qualitative pour que nous ayons envie  de l’utiliser. Nous adhérons à la FederlegnoArredo (filière ameublement) et, croyez-moi, cette question se pose à chacune de nos réunions pour essayer de trouver des solutions globales. 

D’autres éco-actions ?

Nous voudrions utiliser des tissus recyclables. Il existe un travail sur les chutes de cuirs et de tissus, sur les déchets industriels. L’entreprise a toujours employé une personne chargée de récupérer ces rebuts, de trier les matières et d’en organiser le recyclage pour leur donner une seconde vie.

Ce fauteuil Delfino (1954), d’Erberto Carboni, reconnaissable à ses accoudoirs et symbolique du mobilier dit « organique », s’habille d’un tissu original.
Ce fauteuil Delfino (1954), d’Erberto Carboni, reconnaissable à ses accoudoirs et symbolique du mobilier dit « organique », s’habille d’un tissu original. Nicolas Krief

Arflex et l’outdoor, une nouvelle aventure ? 

Nous avons fait un premier pas dans cet univers en 2010 avec Cloud, de Carlo Colombo, pour que nos clients puissent compléter leur ameublement avec une offre de design d’extérieur. Nous nous sommes arrêtés là, nous n’avions pas vocation à faire plus, mais devant l’importance de la demande, nous avons étudié plusieurs autres solutions outdoor, dont une version d’extérieur du canapé Marenco. À la place de la base en bois, c’est une structure métallique qui accueille les coussins, dans une large gamme de tissus. C’est notamment ce que nous présenterons cette année au Salon de Milan, en juin, dans un espace qui lui sera consacré… 

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