Dix designers éco-responsables, en quête de durabilité

Que peut faire un designer dans un monde chahuté par le changement climatique ? Ces dix-là ne se posent plus la question, ils agissent. De la production locale à l’utilisation de matériaux recyclés en passant par des savoir-faire ancestraux, ils reviennent aux fondamentaux.

Depuis la crise sanitaire, notre manière de consommer a évoluer. Ces dix designers éco-responsables, parmi lesquels Samuel Accocebery, Sébastien Caporusso ou encore Stéphanie Marin, l’ont bien compris.


Élise Fouin

Lit Millefeuille pensé par Elise Fouin, conçu avec Maurice & La Matelasserie
Lit Millefeuille pensé par Elise Fouin, conçu avec Maurice & La Matelasserie Elise Fouin

Il y a deux ans, Élise Fouin a été contactée par la plate-forme Lille-Design pour s’associer au tisserand Jules Pansu dans le cadre d’une exposition sur les savoir-faire du nord de la France. Elle découvre les difficultés des entreprises implantées en territoire rural pour trouver des ouvriers et des artisans spécialisés. « J’ai alors réalisé qu’en France de nombreuses PME qui se situaient à mi-chemin entre l’artisanat et l’industrie étaient dépositaires de savoir-faire incroyables, mais n’avaient pas renouvelé leur catalogue et avaient du mal à recruter des jeunes. » Elle imagine donc entamer un tour de France de ces entreprises afin de mettre son regard à leur service. Elle a ainsi dessiné une lampe pour la cristallerie franc-comtoise La Rochère, des vases en verre borosilicaté (plus résistant que le verre classique) pour VSN, le dernier verrier parisien, une collection de vaisselle pour le céramiste drômois Jars et un lit pour Nation Literie, entreprise familiale qui fabrique des matelas de haute facture dans son atelier des Hauts de France. 

Elise Fouin s’attache à collaborer avec des PME à mi-chemin entre l’artisanat et l’industrie, dépositaires des savoir-faire français.
Elise Fouin s’attache à collaborer avec des PME à mi-chemin entre l’artisanat et l’industrie, dépositaires des savoir-faire français. Elise Fouin

> elisefouin.com


Roderick Fry

Selon le designer néo-zélandais installé à Paris, si tout le monde est d’accord pour planter des arbres, le problème dans l’immédiat est de tripler la taille des forêts françaises en regard de notre densité de population. Se focaliser sur l’Amazonie comme seul poumon de la planète ne suffit pas. Toujours d’après Roderick Fry, si chacun trouvait tout ce dont il a besoin dans un périmètre restreint, cela réduirait les déplacements, source de pollution. Autrefois, les individus ne consommaient rien qui ne soit à plus d’une demi-journée de marche de chez eux. « À la Renaissance, les gens souffraient-ils de ne pas pouvoir faire du shopping le samedi ? » Le designer pointe du doigt nos modes de vie polluants. L’heure est venue pour lui de populariser, par exemple, l’architecture « noble », à base de matériaux locaux. Sans être contre l’innovation pour autant. « Force, utilité et beauté », ajoute-t-il, citant l’architecte romain Vitruve. Un projet pourrait ainsi n’être réalisé que selon une seule méthode de construction et par un professionnel local. Or, la consommation immédiate a remplacé les commandes auprès d’artisans, relève Roderick Fry, qui souligne aussi l’importance du statutaire… l’impression de faire partie d’un type de consommateurs.

La table Pi, de Roderick Fry : un piétement vendu seul pour un plateau en bois à acheter près de chez soi.
La table Pi, de Roderick Fry : un piétement vendu seul pour un plateau en bois à acheter près de chez soi. DR

Sillonne-t-on le monde en prenant l’avion par esprit d’aventure ou pour se distinguer ? Pour plus de limpidité, Roderick Fry a écrit un cahier des charges du design écologique afin de développer une culture du changement. Depuis quinze ans qu’il distribue les lampes en bois du designer anglais David Trubridge, basé en Nouvelle-Zélande, il rappelle qu’une fois démontées, celles-ci se font cinquante fois plus petites pour être transportées. Lui qui a créé la table Pi, dont le plateau en bois est fabriqué et vendu par un professionnel situé dans la région de l’acheteur, fait encore exception. Lucide mais pas pessimiste, Roderick Fry nous voit en survivants, habitués à l’idée de nous adapter en permanence. L’humain perdure par l’entraide. C’est dans les ateliers de fabrication des premiers outils que nos lointains ancêtres ont développé leur langage. Pour Roderick Fry, nous avons tous en nous de quoi créer ou nous accoutumer à une culture. Comme pour nous faire espérer – voire rêver –, le designer ajoute que les mythes se sont développés avec les communautés. D’où son envie, par le biais d’une exposition, de montrer ces bibliothèques, canapés, tiroirs ou chaises, telles des idées à diffuser. Ces projets satisfont désirs et fonctions à leur manière, ils méritent d’autant plus notre attention. 

La suspension Navicula en bambou, de David Trubridge, distribuée par Moaroom, société fondée par Roderick Fry et Laurence Varga.
La suspension Navicula en bambou, de David Trubridge, distribuée par Moaroom, société fondée par Roderick Fry et Laurence Varga. Roderick Fry

> mooaroom.com


Stéphanie Marin 

C’est en recyclant des étoffes lors de projets de mode que Stéphanie Marin est tombée, il y a plus de vingt ans, dans le bain de l’écologie, à l’époque où les filières de traitement des déchets n’existaient pas encore. « En 1990, nous avons monté un atelier afin d’être capables de produire des pièces en série dans le domaine du recyclage textile. À cette date, il était impossible pour un designer de lancer ce type de recherche : aucun éditeur ou partenaire de production n’était intéressé par la création à partir de matériaux de seconde main. Nous nous étions donné pour mission de développer différents process pour fabriquer de manière non toxique », explique la designer, qui démarre alors son activité en créant ses premières collections.

Dans son très brut atelier niçois, la designer Stéphanie Marin fabrique du mobilier éco-responsable.
Dans son très brut atelier niçois, la designer Stéphanie Marin fabrique du mobilier éco-responsable. DR

Devenu expert en textile et en production responsable, le studio Smarin s’applique désormais à développer ses valeurs dans le monde des objets. « Cette conception en écodéveloppement nous a permis de convaincre nos partenaires industriels – comme en Autriche pour la pure laine vierge non teinte, très spécifique vers la fin des années 90 – et d’élaborer des productions écoresponsables à grande échelle. Par exemple, aujourd’hui, nous avons développé un matériau pour l’espace urbain, dont le bilan carbone sera négatif. » La designer éco-responsable continue d’expérimenter et de réaliser dans son agence niçoise des dispositifs destinés à des centres-villes, dont le dernier, un banc en chanvre, chaux et argile pour un espace public londonien. 

Conception d’un meuble à base de chanvre pour le london design festival, septembre 2021.
Conception d’un meuble à base de chanvre pour le london design festival, septembre 2021. Stéphanie Marin

> smarin.net


Éric Gizard et Mon petit meuble français

Puisant son vocabulaire à la fois dans l’histoire des savoir-faire des Arts décoratifs français et dans son goût pour des formes simples et fluides, tout en y apportant un twist très personnel, le designer Éric Gizard a rencontré il y a quelques années Éric Weiler, fondateur de Mon Petit Meuble français et designer éco-responsable. Il prend alors la direction artistique de cet éditeur qui collabore avec un réseau d’ébénistes de Mayenne et d’Ille-et-Vilaine. Ceux-ci vont assurer la fabrication et la finition des collections à partir de bois provenant de forêts françaises. Il dessine « EGEE », une collection en constante évolution de meubles utiles, ergonomiques, ponctués d’une touche joyeuse et colorée, qui ont trouvé leur place dans les intérieurs d’aujourd’hui. 

Eric Gizard a pris la direction artistique de l’éditeur Mon Petit Meuble français, qui collabore avec un réseau d’artisans.
Eric Gizard a pris la direction artistique de l’éditeur Mon Petit Meuble français, qui collabore avec un réseau d’artisans. DR / sisters-agency-portrait

> monpetitmeublefrancais.com


Samuel Accocebery et Moutet

Fidèle aux artisans – notamment le ferronnier Bruce Cecere, avec qui il a fondé la maison d’édition SB26 –et aux entreprises locales – comme le fabricant de mobilier landais Bosc –, Samuel Accocebery a livré cet été le fruit d’une collaboration avec le tisseur de linge de maison Moutet. Centenaire, labellisée Entreprise du patrimoine vivant, Moutet est la première à avoir obtenu le tout nouveau label IG (Indication géographique) « linge basque ». Cette appellation protège l’origine locale de la fabrication, qui doit être réalisée dans les Pyrénées-Atlantiques. Le designer éco-responsable, grand connaisseur du Pays basque, a imaginé la collection « Etxe » (« la maison »), une série de torchons, de nappes, de serviettes et autres tissus, dont le dessin s’inspire de la culture basque tout en y apportant son regard contemporain. Un travail en finesse et en sobriété, intemporel et ancré dans une histoire ancienne. 

Le Basque Samuel Accocebery travaille localement et s’attache à revitaliser des marques patrimoniales. A droite : Serviettes Foxtada de la collection « Etxe », réalisées avec les tissages Moutet.
Le Basque Samuel Accocebery travaille localement et s’attache à revitaliser des marques patrimoniales. A droite : Serviettes Foxtada de la collection « Etxe », réalisées avec les tissages Moutet. Clement Herbaux

> samuelaccocebery.com


Studio Lacoua et Souchet

S’il vient de remporter le grand prix de la Ville de Paris, c’est que Grégory Lacoua, designer éco-responsable, s’inscrit dans son époque et ses enjeux… Après un CAP de tapissier-sellier puis des études à l’École Boulle et à l’ENSCI (École nationale supérieure de création industrielle), il crée sa propre agence, armé de cette double formation de designer et d’artisan. « Les objets utiles et intelligents ont besoin de matériaux pérennes, car ils ont vocation à être transmis. » C’est avec cette idée que Grégory Lacoua a dessiné la première collection de la maison d’édition Souchet, de Nicolas Souchet, rencontré sur les bancs de l’École Boulle. Il a imaginé pour lui le guéridon Twirl, en châtaigner local, dont les six pieds entrelacés évoluant en tourbillon donnent un effet de liane. Un objet qui synthétise le lien entre artisanat traditionnel et contemporain puisque fabriqué à la fraiseuse à quatre axes dans les ateliers de l’entreprise, qui se trouvent dans l’est de la France. 

A la fois designer et artisan, Grégory Lacoua, se plaît à challenger la production française. Ici l’assise Love Blocks et la table Twirl (Souchet Inspired Woodwork).
A la fois designer et artisan, Grégory Lacoua, se plaît à challenger la production française. Ici l’assise Love Blocks et la table Twirl (Souchet Inspired Woodwork). DR

> gregorylacoua.com


Jean-Louis Iratzoki et Alki

Après avoir parcouru le monde, le designer éco-responsable basque Jean-Louis Iratzoki (à droite) a installé son studio dans une cabane au fond du jardin de la menuiserie familiale, à Ascain, à 7 km de Saint-Jean-de-Luz. C’est dans ce refuge de montagne aux façades recouvertes de bois, noyé dans les chênes, face à un petit troupeau de blondes d’Aquitaine, que le créateur a lancé la mue du design basque : en convertissant les fabricants locaux au style contemporain. Parmi ses clients, l’éditeur Alki, installé à Itxassou, dont il assure la direction artistique avec son associé Ander Lizaso (à gauche), et pour qui il combine le chêne massif, matériau de prédilection de la coopérative, avec d’autres matières telles que le fer forgé, le feutre, la laine, mais aussi l’acier ou le bioplastique. « Cette fois-ci, nous sommes allés à la rencontre de la poterie voisine, Goicoechea. Basée à Ortzaize, en Basse-Navarre, à quelques kilomètres d’Alki, la famille Goicoechea travaille la terre cuite depuis trois générations. En a résulté la collection “Lur”, composée de jardinières de différentes tailles et d’une table bistro », explique le designer éco-responsable. 

Le Basque Jean-Louis Iratzoki et son associé Ander Lizaso ont conduit l’éditeur Alki à collaborer avec le potier d’un village voisin pour cette collaboration « Lur ».
Le Basque Jean-Louis Iratzoki et son associé Ander Lizaso ont conduit l’éditeur Alki à collaborer avec le potier d’un village voisin pour cette collaboration « Lur ». DR

> alki.fr


Solum Lignum

Après dix années passées à Paris, entre projets d’agencements pour architectes, décors de théâtre, prototypes pour maisons de luxe, Anaïs Mroz et Simon Boullier ont fondé au cœur de la forêt solognote le studio Solum Lignum (« pays de bois »). Ce duo de designers-ébénistes-charpentiers imagine et fabrique du mobilier minimaliste aux courbes scandinaves : tables, fauteuils ou tabourets hauts en bois, mais aussi quelques réalisations d’aménagement de terrasses et de cabanons. Leur dernière création est une table basse en chêne massif, inspirée des nids d’hirondelles, qui viennent nicher dans leur atelier – et conçue à partir de 86 chutes de bois. Installés dans un ancien relais de chasse, les deux designers invitent à l’occasion des artisans (tapissiers, serruriers, maroquiniers, céramistes…) et des designers à venir travailler, pour leur permettre d’aborder des techniques et des esthétiques nouvelles.

Le duo de designers-ébénistes Solum Lignum s’est installé au coeur de la Sologne pour fabriquer du mobilier en chêne massif local. Ici, la table basse 86.
Le duo de designers-ébénistes Solum Lignum s’est installé au coeur de la Sologne pour fabriquer du mobilier en chêne massif local. Ici, la table basse 86. Ludovic Letot (portrait)

> solumlignum.fr


Sébastien Caporusso

Pas de meilleur certificat de modernité pour le designer italo-belge que ce titre de Designer de l’année 2021 (attribué en Belgique par les magazines Knack weekend et Le Vif weekend, associés à la biennale Interieur, à Courtrai). À 35 ans, cet ex-étudiant en architecture intérieure et en design au CAD (College of Art & Design), à Bruxelles, voit l’évolution de son profil refléter nos préoccupations contemporaines. Comment faire mieux plutôt que plus instagrammable ? Sa soif de qualité lui fait privilégier les matériaux nobles, durables et travaillés par des artisans qu’il connaît. Pierre naturelle, bronze ou marbre, tout sauf les polymères. « Il est important pour moi d’exporter le moins possible et de me laisser inspirer par l’endroit où je suis. » Avoir été stagiaire à Hongkong et à Tokyo l’a peut-être influencé…

La table Eclipse (2014) de Sébastien Caporusso, un mélange de trois marbres à elle seule.
La table Eclipse (2014) de Sébastien Caporusso, un mélange de trois marbres à elle seule. Pablo Ceppeda (portrait)

S’il crée des lampes, des tables mêlant terrazzo et bambou, et des sièges aussi élégants que retenus, il livre également des créations étonnantes comme le Silversquare Europe, à Bruxelles. Cet espace de coworking de 600 m2 tourne le dos aux univers numériques froids. Comment ? En gardant le facteur humain au cœur du projet. « Comme s’il s’agissait d’une maison de vacances familiale, en bord de mer, magiquement redécouverte après de nombreuses années et qui donnerait envie d’y revenir », décrypte celui qui a employé là des matériaux recyclables. Pour certains acteurs du design comme lui, penser local et écologique n’est pas une posture, c’est agir en utilisant de la pierre ou du laiton. Or, le contexte belge est favorable. Là-bas, la récupération a ses maîtres reconnus : le designer éco-responsable Lionel Jadot en tête. Il est vrai que se servir de matériaux recyclés et recyclables ne déprécie pas la création. Pour le curateur Dieter Van Den Storm, qui l’expose à Courtrai jusqu’au 14 novembre dans le cadre de l’exposition « Please Have a Seat », « l’œuvre de Sébastien Caporusso résume parfaitement l’esprit du temps : production locale et rayonnement international ». CQFD. 

La table en marbre du désigner, Sébastien Caporusso.
La table en marbre du désigner, Sébastien Caporusso. DR

> sebastiencaporusso.com


Mathieu Lehanneur

Invité par la marque automobile Renault à réinterpréter l’iconique 4L, dont on souffle les 60 bougies cette année, Mathieu Lehanneur s’est emparé de son populaire imaginaire, synonyme de liberté et d’évasion, pour le transposer à notre ère challengée par le changement climatique. « Suite N° 4 n’est pas une voiture habitable, mais une chambre avec vue, une tiny house en mouvement », observe le designer éco-responsable, qui a déjà eu l’art de repenser le voyage dans un business lounge d’Air France, à l’aéroport Paris Charles-de-Gaulle. Pare-brise à vision panoramique, peinture béton inédite, qui campe l’objet côté architecture, énergies solaire et électrique combinées, sol tatami… un véhicule de rêve pour être au bon endroit au bon moment, tout en concentrant le luxe du minimum nécessaire dans un espace contraint. Un éloge de la fuite qui pourrait voir le jour demain : « La 4L, c’est une forme d’esprit français posé sur quatre roues. » Sa version a été présentée en off de la FIAC, à l’espace Christie’s, avenue Matignon, nouveau pré carré de l’art contemporain. 

La suite 04, soit la fameuse 4L de Renault revisitée par Mathieu Lehanneur
La suite 04, soit la fameuse 4L de Renault revisitée par Mathieu Lehanneur Lionel Gasperini (portrait)

> mathieulehanneur.fr