Directrice internationale du Visual Merchandising chez Chanel depuis 1996, Agnès Liely est la preuve que le renouvellement perpétuel inhérent à la mode et l’invention d’un métier peuvent dialoguer en beauté et dans la durée. Goutte de rosée sur le camélia, son soutien à la jeune génération de designers et d’architectes d’intérieur est aussi constant qu’enthousiaste. Respect.
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IDEAT : Comment définiriez-vous votre métier ?
Agnès Liely : Le visual merchandising consiste à mettre en scène des collections, en boutique et en vitrine, afin de soutenir la vision d’un directeur ou d’une directrice artistique – aujourd’hui, celle de Virginie Viard (depuis 2019, NDLR), hier, celles de Karl Lagerfeld ou de Gabrielle Chanel.
Par une orchestration diverse et variée d’expertises, il s’agit de venir habiter une vitrine, une boutique, un événement, pour faire vivre ces créations. Notre rôle est de favoriser une expérience qui fasse résonner ensemble gammes et espace. Nous travaillons beaucoup sur le dispositif scénographique, mais c’est toujours le dialogue avec le vêtement qui prédomine.
J’accompagne plus particulièrement en impulsion créative tous les grands projets. Je monte également, et cela est de plus en plus important pour nous, des partenariats avec le comité Colbert (association promouvant le secteur du luxe, NDLR), avec des écoles de design, de mode et d’architecture (Camondo, l’Ensaama, la Head, ÉCAL…) ou encore avec le Central Saint Martins College of Art and Design, à Londres, pour la VM Academy, un programme destiné à enrichir et à ouvrir nos équipes internationales à ces métiers du visual merchandising. J’ai toujours pris des stagiaires dans le cadre de ces partenariats et, jusqu’à présent, tous les stages se sont concrétisés par des contrats.
IDEAT : Quelles expertises rassemblez-vous dans votre équipe ?
Agnès Liely : Chez Chanel, il y a deux pôles : Mode/Studio et Image. Le visual merchandising, VM dans le jargon de la mode, est rattaché au pôle Image. Comme tous les métiers du visuel, c’est très hétéroclite ; nous réunissons une grande variété de talents et d’expériences, et c’est justement ce qui est fantastique.
Il y a des architectes purs et durs, des scénographes… La maison est très ouverte à cette pluridisciplinarité. Virginie Viard (qui a été, depuis 1987, « le bras droit et le bras gauche à la fois » de Karl Lagerfeld, comme il aimait tant le formuler, NDLR) a été costumière de cinéma et aussi brodeuse. La diversité des parcours donne naissance à des feelings singuliers, c’est très puissant.
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IDEAT : Vous-même avez eu un parcours riche…
Agnès Liely : J’ai eu beaucoup d’opportunités et fait de belles rencontres dans ma vie. Bon, après, j’ai un petit peu de talent, j’espère, et j’ai provoqué des choses ! Je ne viens pas de la mode, mais pendant mon enfance, j’avais un penchant pour le déguisement. J’ai toujours eu une fibre artistique. Bien qu’habitant un petit village dans le Sud, j’ai eu la chance d’être très bien orientée, puisqu’on m’a encouragée à passer un concours pour une filière de lycée d’arts appliqués, en section architecture et volume, à Marseille.
J’ai fini par intégrer l’école Boulle en architecture intérieure. Puis, pendant deux ans aux Galeries Lafayette, j’ai fait du design d’espace, des vitrines, des expositions… Au Bon Marché, ensuite, et au bon moment, je me suis attelée à un challenge vitrines – « Parler de Noël sans s’adresser seulement aux enfants » – et à de magnifiques expositions carte blanche comme « Christian Lacroix et le théâtre ».
En parallèle, j’ai fait des rencontres enrichissantes dans la mode, j’adorais m’habiller en Jean Paul Gaultier, en Lacroix, en Prada… En 1996, j’ai appris que Chanel cherchait quelqu’un pour constituer un département Visual Merchandising et j’ai été sélectionnée. À l’époque, il n’y avait que 25 boutiques portant la griffe dans le monde, pas encore d’événements et il n’existait même pas de description de poste ! Mais avec Karl Lagerfeld, la maison commençait à bouger.
Tout était effervescent puisqu’en parallèle, avec le créateur Rodolphe Menudier, nous avons lancé une marque de chaussures à son nom. Bruno Pavlovsky (président des activités mode de Chanel, NDLR) m’a permis d’organiser mon temps pour ménager cette respiration – autre raison pour laquelle cette maison est fantastique. J’ai eu la chance de pouvoir grandir avec elle, de développer mon équipe, d’établir des expertises. Et là, je rentre dans ma 27e année chez Chanel !
IDEAT : Partenaire depuis 2016 de Design Parade Toulon, festival international d’architecture intérieure, Chanel y décerne depuis 2019 son prix Visual Merchandising.
Agnès Liely : En 2016, j’ai été invitée à faire partie du jury de la première édition, présidée par India Mahdavi. Nous étions tous très impressionnés par la qualité des projets et avons donc souhaité en récompenser davantage. C’était un exercice intéressant que de se dire : comment, dans un univers d’architecture intérieure, aborder une autre réalité ?
Une chose par exemple liée à la mode, avec la scénographie comme langage commun. Aujourd’hui, les personnes que je sollicite ne sont plus simplement architectes d’intérieur mais aussi scénographes. Il ne s’agit pas seulement de créer une boîte, mais de savoir comment l’habiter, comment la faire vivre… Une énergie évidente pour Chanel, qui m’a tout de suite suivie.
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IDEAT : Concrètement, comment se passe le concours, le prix et l’après ?
Agnès Liely : Pour le concours, les candidats fabriquent la maquette d’un projet de vitrine lié au thème de la Méditerranée, en écho à celui de Design Parade. Je leur donne quelques inspirations de silhouettes Chanel et ils se les approprient. Ils sont totalement libres, l’idée étant qu’ils conçoivent, l’année suivante, une scénographie exposée à Toulon. Le lauréat (jusqu’ici, cela a toujours été des duos, NDLR) reçoit une dotation de 20 000 euros.
Comme nous avons, au 19M (qui rassemble dans le XIXe arrondissement, à Paris, et sous la houlette de Chanel, onze maisons d’art, la maison Eres, ainsi qu’une galerie, NDLR), trois maisons d’art ayant pour activité l’architecture intérieure et la décoration – Studio MTX, Lesage Intérieurs et Goossens –, nous avons sollicité des rapprochements.
Marc-Antoine Biehler et Amaury Graveleine, lauréats en 2021, ont par exemple choisi de créer avec Lesage Intérieurs un paravent et un lit de repos, de même qu’un tapis et une table basse qui rappellent la passion de Gabrielle Chanel pour l’ésotérisme. Ils ont également travaillé sur une scénographie d’exposition au 19M.
IDEAT : Que décelez-vous dans le travail de ces jeunes designers ?
Agnès Liely : Ils sont déjà extrêmement professionnels et le niveau de leurs propositions créatives est affirmé et audacieux. Ils s’adaptent sans pour autant perdre leurs convictions. Ils ont des ambitions ainsi que le désir de ne pas mettre tous leurs efforts dans une seule maison, d’avoir une vie à côté.
D’ailleurs, parmi ces lauréats, je n’ai pas encore eu l’occasion d’en prendre un ou une dans mon équipe, car ils possèdent déjà leur propre structure. Mais cela ne nous empêche pas d’avoir de nombreuses interactions.
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