Depuis 2002, Vitra réédite les pièces iconiques de Jean Prouvé. Vingt ans plus tard, la collection s’agrandit de nouvelles références et adopte une palette de couleurs inédites, toutes issues des archives du maître du modernisme.
La palette d’un designer industriel
De santé fragile à l’adolescence, Jean Prouvé passait des heures dans l’atelier de son père, le peintre Victor Prouvé, affilié à l’école de Nancy, aux belles heures de l’Art nouveau. Le verrier Émile Gallé était son parrain, Louis Majorelle, un ami de la famille.
Bel ensemble de coloristes pour une enfance ! « Jean Prouvé choisissait ses couleurs avec beaucoup de soin. Il n’était pas le fils d’un peintre pour rien ! » raconte aujourd’hui Catherine Prouvé, sa plus jeune fille. À mille lieues de l’esthétique ornementale du « style nouille », Jean Prouvé, devenu un maître du modernisme industriel, utilisait la couleur avec parcimonie.
Adepte de l’adage « la forme suit toujours la fonction », il n’utilisait la peinture que pour protéger les matières exposées à la corrosion. C’est pourquoi, sur ses meubles, seules les parties en acier sont colorées quand le bois et l’aluminium sont laissés bruts, par respect de la nature du matériau. Cofondateur de l’Union des artistes modernes avec Le Corbusier, Pierre Jeanneret et Charlotte Perriand, il partageait avec eux une esthétique épurée de tout artifice.
La palette de Jean Prouvé n’est pas celle d’un peintre, mais celle d’un industriel. Il fut un pionnier dans la fabrication de meubles en série et d’éléments de construction préfabriqués. Alors, pour interpréter son mobilier avec fidélité dans de nouveaux coloris, Vitra a pioché dans un nuancier original de 1951 provenant des Ateliers Jean Prouvé, sa manufacture de Maxéville, en Meurthe-et-Moselle. L’éditeur a pu aussi s’appuyer sur l’expertise de Catherine Prouvé, qui, pour le compte des ayants droit du designer, est associée à la réédition. Enfin, le Vitra Design Museum, à Weil am Rhein, près de Bâle, possède une fabuleuse collection de 170 originaux signés Prouvé, la plus vaste au monde. Rolf Fehlbaum, le président émérite de Vitra, considère Prouvé comme le pendant européen des Américains Charles et Ray Eames.
Des classiques réinventés
La chaise Standard, la table et le fauteuil Direction, le fauteuil Cité ou le Fauteuil de salon étaient déjà disponibles en trois tons : un blanc colombe, un noir profond et un rouge japonais. On découvre les nouvelles nuances choisies : un bleu Dynastie, inspiré de l’oxyde de cobalt utilisé pour peindre les porcelaines de Chine de la dynastie Ming, un très pictural gris Vermeer et un poétique Blé vert. L’éditeur s’amuse à de nouveaux assortiments entre le métal peint, les tissus de tapisserie gris, beiges, bleus chinés et les essences de bois, le chêne ou le noisetier. Il prend aussi la liberté d’une nuance « métal brut » en acier verni.
La tonalité la plus détonnante est le bleu Marcoule, du nom du site du Commissariat à l’énergie atomique qui commanda à Prouvé, en 1956, une vaste gamme de mobilier d’un bleu vif qui aurait pu inspirer Yves Klein… et qui, aujourd’hui, fait courir les collectionneurs. En juin, Vitra rééditait en série limitée le fauteuil Kangourou de 1948, reprenant cette nuance.
Les 150 exemplaires sont partis en quelques heures ! On se consolera avec la Lampe de bureau et la célèbre applique Potence qui adoptent toutes les deux le bleu atomique. Parmi les nouvelles pièces éditées, la Potence retrouve un abat-jour en forme de cône inversé. Un rayonnage mural initialement conçu en 1936, pour une école professionnelle de Metz, constitue à coup sûr un futur best-seller : ses montants en aile d’avion sont en tôle pliée laquée (bleue, blanche, rouge ou noire) et les étagères, en chêne ou en noyer. Mêmes teintes de base pour le nouveau Tabouret métallique dessiné en 1936.
Enfin, Vitra réédite un drôle de tabouret (le modèle 307) dont l’assise ergonomique ressemble à un siège de tracteur. Initialement en métal, la selle est ici en chêne clair ou noirci et son pied métallique est blanc ou noir. Jean Prouvé, immergé enfant dans un bain d’Art nouveau, se voulait un trait d’union entre l’art et l’industrie. Comme son père, il était l’ami des artistes. L’un d’eux se nommait Alexander Calder. Il partageait avec lui le goût du métal et du bleu outremer.