Mathieu Lehanneur : “Je ne veux pas que la vasque Olympique de Paris 2024 devienne une relique”

La vasque Olympique restera dans l’histoire comme l’un des symboles marquants des jeux de Paris 2024. Objet de design unique, elle est le fruit d’un assemblage admirable de talents français, guidé par Mathieu Lehanneur dans le rôle du chef d’orchestre. 

La vasque Olympique des Jeux de Paris 2024, conçue par Mathieu Lehanneur, incarne un symbole d’enchantement et de créativité qui restera gravé dans l’histoire. Cette œuvre unique, véritable prouesse technique a captivé l’attention mondiale dès son premier envol, s’inscrivant aussi bien dans le paysage de la Ville Lumière que dans les mémoires collectives. L’occasion de découvrir comment le talentueux designer de 50 ans, à travers cette réalisation monumentale, redéfinit le rôle du design en célébrant la magie et l’émotion qui ont marqué l’événement.


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Un objet que rien n’égale

Tous les soirs, il est venu suivre son ascension. “Je ne veux pas être ailleurs”, avoue Mathieu Lehanneur. Dimanche soir, le 8 septembre, la vasque Olympique de Paris 2024 s’est éteinte, tandis que le ciel pleurait, en même temps que les milliers d’admirateurs qu’elle a enchantés. Tous les soirs, une clameur d’admiration s’élevait d’une foule de milliers de personnes alors que le ballon prenait son envol dans le ciel rose.

Quelques jours avant la fin des jeux paralympiques, Thierry Reboul, le directeur des cérémonies de Paris 2024, est là, encore cueilli par sa magie. Il aimerait arrêter le temps. Il se retourne vers l’assemblée, un sourire jusqu’aux oreilles : “Je savais que cette vasque serait un succès. Avant la cérémonie d’ouverture, j’étais excité comme une puce !” Y a-t-il un espoir que la magie perdure ? “Peu importe, répond le designer Mathieu Lehanneur. Elle a existé, elle a été vue par 4 milliards de paires d’yeux, elle reste dans les mémoires. On n’a pas toujours besoin de garder une relique.

La vasque Olympique de Paris 2024 vue depuis l’extérieur du jardin des Tuileries. © Felipe Ribon
La vasque Olympique de Paris 2024 vue depuis l’extérieur du jardin des Tuileries. © Felipe Ribon

De l’avis général, rien n’égale cet objet céleste, romantique et bienveillant, déjà un monument inscrit dans la skyline de la Ville Lumière. Son maintient soulève des questions en chaîne : encore faut-il lui trouver un sens. “La flamme ne peut pas être conservée, c’est la liturgie Olympique, elle s’allume à Olympie et s’éteint à la clôture des jeux. Elle doit devenir autre chose. Le public nous presse de trouver une solution.” Elle n’a pas été conçue pour durer. Que deviendrait-elle pendant une tempête hivernale ? La vasque est intimement liée à la ferveur sans précédent soulevée par les jeux de Paris 2024.

Ramener la magie dans un monde rempli de technologie

Après l’appel d’offre lancé pour la création de la torche, du chaudron et de la vasque, le comité Olympique n’a pas mis longtemps à choisir le projet de Mathieu Lehanneur. “Tous les candidats s’étaient concentré sur la torche, confie Thierry Reboul. La vasque n’intéressait pas vraiment. L’idée de Mathieu de la faire grimper vers le ciel rencontrait notre souhait de provoquer une rupture qui marquerait le cœur et laisserait un héritage immatériel.

Nous sommes fin 2022. Dans le cahier des charges, il n’y avait pas grand-chose pour la torche, raconte le designer. Et pour la vasque, rien, à part les photos des précédentes. Carte blanche.” Les plus grands se sont frottés à l’exercice. Pour Londres 2012, l’architecte Thomas Heathwick, pour Tokyo 2020, le multi primé Tokujin Yoshioda. “Je me suis basé sur le slogan choisi par Paris 2024 « ouvrons grand les jeux ! », sortons des stades, soyons généreux. Et puis il y avait ce rituel d’allumer la flamme avec le soleil, en Grèce. Je me suis dit que ce serait beau qu’on la fasse retourner vers son origine, dans le ciel. Il n’y avait pas trente-six solutions, le ballon s’est vite imposé. Il s’inscrit dans l’histoire de la montgolfière, une spécialité française. J’aurais pu imaginer un drone, mais c’est moins poétique.”

La vasque Olympique de Paris 2024, un symbole signé Mathieu Lehanneur. © Felipe Ribon
La vasque Olympique de Paris 2024, un symbole signé Mathieu Lehanneur. © Felipe Ribon

Le 1er décembre 1783, l’ingénieur Jacques Charles faisait voler son premier ballon à hydrogène aux Tuileries. Lors de l’exposition universelle de 1878, dans les mêmes jardins, le ballon d’Henri Giffard faisait décoller 40 personnes plusieurs fois par jour. Au XXIe siècle, la vasque olympique est futuriste, monochrome, d’une teinte métallique mélange de bronze, d’argent et d’or, ses reflets changeants jouent avec les couleurs du ciel. “Chaque fois que je dessine un nouvel objet, je me demande comment il va traverser les filtres de nos archives visuelles, continue Mathieu Lehanneur. La vasque nous évoque Jules Vernes (1828 – 1905), Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry (1943), les frères Joseph-Michel (1740-1810) et Jacques-Étienne (1745-1799) Montgolfier, elle est un symbole de liberté.

On y lit aussi un autre ADN du créateur : “Je veux ramener de la magie dans ce monde rempli de technologie, qui ne fait plus rêver. Comment trouver des stratégies d’émerveillement ? Cela fait longtemps que je considère nos émotions comme une véritable fonction du design, au même titre que s’assoir, dormir etc. Au-delà du beau ou du laid, je veux décocher une flèche qui touche ce petit noyau primitif.” Conserver la vasque sans la flamme serait un non-sens. “C’est un objet vivant”, insiste Mathieu Lehanneur. Sa conception originelle a déjà prévu son recyclage, quand la vasque de Thomas Heathwick est assoupie dans le Musée de Londres

La vasque Olympique de Paris 2024, véritable défi technique

Depuis toujours, Mathieu Lehanneur lie son travail à la science. Andréa, son purificateur d’air, a été conçu avec un professeur de Harvard et des données de la NASA. La vasque est un défi technique et scientifique. Retour au grand oral devant le comité Olympique : “Ils m’ont demandé comment j’envisageais d’enflammer la nacelle, raconte Mathieu Lehanneur. En 2022, je n’avais pas encore la solution. Alors j’ai vu se dessiner un petit sourire sur leur visage…

Dessin d’études du chaudron Olympique de Paris 2024 signé Mathieu Lehanneur.
Dessin d’études du chaudron Olympique de Paris 2024 signé Mathieu Lehanneur.

Il ignore, qu’EDF travaille sur un concept de flamme électrique bas carbone. Les recherches ont débuté en 2010, avec en ligne de mire les jeux de Londres 2012. Sans aboutir. Le puzzle s’assemble et Mathieu Lehanneur devient le chef d’orchestre d’une fanfare où se mêlent les talents du génie français. “Dans son concept, la vasque est un vrai objet de design, appuie le créateur français de 50 ans. Un objet technique, fonctionnel, esthétique. C’est le rôle du designer d’accorder les violons, la harpe et le tambour pour conserver une harmonie.

Dans le grand orchestre, il y a l’entreprise Aérophile, spécialisée dans les ballons captifs gonflés à l’hélium, créée par deux polytechniciens qui se rêvaient aérostiers, Matthieu Gobbi et Jérôme Giacomoni. Le ballon Generali dans le ciel de Paris, c’est eux – ils en ont installé dans 40 pays. La nacelle en métal a été construite par l’Atelier Blam, basé à Nantes, spécialiste “d’objets extraordinaires” dont la cavalière d’argent filant sur la Seine lors de la cérémonie d’ouverture de Paris 2024. Il fallait aussi un fontainier : le choix s’arrête sur l’entreprise familiale Belle environnement.

Une émotion palpable, mondiale

Car le secret de cette flamme, qui n’en est pas une, est d’être constituée de gouttelettes d’eau. Elle a mobilisé trois ingénieurs et trois designers d’EDF Pulse design, la filière R&D d’EDF. Axel Morales, le designer chef de projet est un ancien de l’ENSCI-Les Ateliers. Il explique : “Le socle contient 200 buses haute pression reliées au sol par un tuyau, elles diffusent des gouttelettes d’eau éclairées par 40 projecteurs LED couleur ambre d’une puissance de 4 millions de Lumens. La flamme est sculptée par des ventilateurs.”

Mathieu Lehanneur sur la vasque Olympique qu’il a lui-même conçue. © Felipe Ribon
Mathieu Lehanneur sur la vasque Olympique qu’il a lui-même conçue. © Felipe Ribon

Résultat ? Un ballon mesurant 22 mètres de diamètre, et une vasque en aluminium de 7 mètres de circonférence. Le soir de la cérémonie, Mathieu Lehanneur, perché sur la terrasse du Musée d’Orsay, est en apnée. C’est la première fois que la vasque et le ballon sont assemblés. Chaque composant a été testé séparément, jamais ensemble, pour préserver le secret. “Nous nous sommes cachés dans la pampa afin d’évaluer l’effet de la flamme en la soulevant avec une grue de 80 mètres. Quelques minutes plus tard, des pompiers ont débarqué sirènes hurlantes”, s’amuse-t-il.

L’aéronef, relié au sol par un filin, actionné par un treuil, ne s’élève qu’après autorisation de l’aviation civile. À chaque décollage, le designer est imperturbable, toujours noué. Lui ne verse pas une larme mais se réjouit de lire l’émotion de chacun. “Quand j’ai vu ma fille s’effondrer en sanglots, j’ai su que j’avais bien taillé ma flèche.” L’effet est mondial, universel et le pari réussit.


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