Après un véritable succès au lendemain de l’après-guerre avec l’avènement du mobilier pour tous, le pin s’offre un retour sur le devant de la scène design. Est-il pour autant toujours aussi démocratique ?
Depuis quand le fameux arbre s’est-il invité dans nos intérieurs ? « L’usage du bois est très ancien. On a toujours utilisé le bois et le pin était plus accessible que d’autres essences comme les fruitiers, par exemple» souligne Constance Rubini, directrice du musée des Arts décoratifs et du Design de Bordeaux. « Il a été très utilisé pour le mobilier car il pousse vite, n’est pas coûteux et est facile à mettre en œuvre.»
Bien avant cette césure dramatique du XXe siècle, c’est Charlotte Perriand qui se penche sur le célèbre conifère. Ainsi, après avoir exploré les qualités du métal, comme il était de rigueur pour l’avant-garde des années 1930, elle va se tourner vers le bois. Sensuel et offrant une diversité de motifs avec ses veines, la matière ouvre un nouveau champ d’action à la designeuse.
Si Charlotte Perriand affectionne les essences nobles comme la palissandre de Rio, elle n’hésite pas à se tourner vers un bois plus humble, le pin. C’est d’ailleurs de pin qu’est fait le célèbre bureau boomerang. Sollicitée par le rédacteur en chef du journal « Le Soir », elle propose un plateau en pin, qui repose sur trois pieds. Sa forme en courbe abolit une forme de hiérarchie et permet aux différents interlocuteurs de prendre la parole. Quand on vous dit que le pin est démocratique…
La Française l’utilise aussi pour la chaise Dordogne en pin massif, pour des tables à manger rustiques et pour meubler, quelques décennies plus tard, la station de ski des Arcs.
De l’autre côté des Alpes, c’est l’Italien Enzo Mari qui va s’emparer du fameux résineux pour donner corps à son célébrissime projet « Autoprogettazione », proposant des plans libres de droits, et invitant le plus grand nombre à construire ses propres meubles.
D’autres grands noms du design ont aussi succombé aux charmes du pin comme Alvar Aalto et son célèbre paravent « Modèle 100 » ou encore Gerrit Rietveld dont l’assise « Crate » en pin, a été rééditée cette année par la maison d’édition danoise Hay, plus de 90 ans après son lancement en 1934. Avec cette collection de meubles en bois de pin, fabriquée à partir de matériaux d’emballage utilisés dans le transport de meubles, Rietveld avait pour ambition de démocratiser le design.
« Le pin a été beaucoup utilisé après la Seconde Guerre mondiale, dans le contexte de la reconstruction » explique Constance Rubini. « Il y avait un vrai besoin de mobilier en série et bon marché pour remeubler. »
Une volonté de démocratisation à retrouver aussi chez IKEA qui, en 1972, mettait en vente le fauteuil « Diana » puis « Natura » en 1977, conçus en pin par la designeuse Karin Mobring. Deux assises qui, aujourd’hui, peuvent facilement s’afficher à 1 000 euros sur Pamono ou Selency.
Le pin serait-il en voie de gentrification ? Si l’on peut d’abord expliquer cette montée de prix en évoquant l’intérêt toujours prégnant des amateurs de design pour les vieux modèles d’IKEA, le pin suscite aussi l’intérêt de certains jeunes designers.
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La preuve avec Vaarni, studio de design finlandais. Son nom est la contraction de « Vaarna » qui signifie « cheville » et « saarni » pour frêne mais le pin règne en majesté dans son catalogue. C’est d’ailleurs autour de cette essence que tourne la toute première collection du studio en 2021.
« Le pin est substantiel, plein de caractère, plein de motifs et de couleurs naturels, explique le studio, et s’il est cultivé correctement, il peut être très résistant. Le style vernaculaire finlandais qui nous inspire est directement issu de ce matériau : le pin a toujours été le bois de prédilection des artisans finlandais car il était abondant et à proximité. Par conséquence, les processus de fabrication et la pensée conceptuelle qui ont façonné nos vies domestiques sont en forme de pin et de couleur pin ; maisons en rondins, outils sculptés, meubles rustiques. Il y a une primitivité, une beauté brute, une force rassurante, une générosité d’échelle et une chaleur dans cette architecture et cette culture de l’objet que nous voulons retrouver et célébrer à nouveau. »
Se présentant comme un studio au design brutaliste et sophistiqué, Vaarni sert des meubles à la silhouette faussement simple, à l’image de la « 005 Lounge Chair » dont l’assise et le dossier forment deux courbes concaves.
Même combat en Norvège avec Studio Sløyd qui souhaite remettre le pin sur la carte du design contemporain. En témoigne leur collection « Furuhelvete », lancée en 2020, qui s’inspire de l’utilisation traditionnelle du pin comme matériau de construction dans le design et l’architecture norvégiens. « Furuhelvete» est d’ailleurs une expression utilisée à l’origine pour décrire une sur-utilisation du pin dans les maisons et les chalets du pays, et souvent associée à un style considéré comme dépassé. « Avec cette collection, nous visons à défier cette perception traditionnelle du bois et à créer un nouvel intérêt pour ce matériau local et merveilleux » expliquent les designers. Une collection qui compte un tabouret, un banc, une chaise, une lampe, un cabinet en courbe et un adorable tabouret aux pieds tout en rondeur.
Si le pin est un matériau courant chez les grandes enseignes de meubles, que signifie ce regain d’intérêt pour le pin par les studios de design contemporain ? « Cela reflète un sentiment actuel d’être écologique quand on utilise le bois, mais pour moi c’est plus complexe », affirme la directrice du musée des Arts décoratifs et du Design de Bordeaux. « Une utilisation massive du pin incite à des coupes très importantes et conduit à développer des monocultures forestières, ce qui ne va pas dans le sens de la biodiversité. On utilise beaucoup le pin aujourd’hui car cela nous semble plus écologique, mais ce n’est pas aussi simple que cela».
Cette sur-utilisation pourrait marquer les limites du « pin démocratique ». Le pin est sans conteste un matériau peu cher. Mais à l’heure où la planète se réchauffe et où certaines ressources comme l’eau se font rares, il faut toute fois veiller à ne pas le surexploiter.