Tendance : le retour en fanfare de la chaîne hi-fi 

Entre nostalgie futuriste, esthétique spatiale et son ultra mat, le bon gros matos audio fait son grand come-back dans nos salons — et nos feeds TikTok. De la Wandanlage signée Dieter Rams à la Beogram 4000 relookée par Saint Laurent, les icônes du son retrouvent leur aura, portées par une génération qui redécouvre le charme du tangible : vinyles, cassettes, platines et bois laqué. Bars audiophiles, meubles sur-mesure, collaborations ultra luxe… Un nouvel âge d’or s’écrit, entre patrimoine revisité et hifi de demain.

Un temps délaissée parce que trop encombrant, la chaîne hi-fi et autres systèmes stéréo imposants donnent à nouveau le « la » en matière de déco d’intérieur.


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Fréquence nostalgie

Dans une vidéo postée en février sur Tiktok et cumulant plus de 176 000 likes, un dénommé Basa, identifié comme dealer de bonne came vintage à Los Angeles, nous montre comment installer la Wandanlage, un module acoustique commercialisé par Braun en 1965. Un peu d’huile de coude, de patience et surtout une hauteur sous plafond assez conséquente permettent d’accueillir cette installation murale comprenant un amplificateur-tuner, une platine, un magnétophone ainsi que deux enceintes, le tout pour une valeur de 35 000 dollars.

L’enceinte murale Wandanlage de Braun, sortie en 1965…
L’enceinte murale Wandanlage de Braun, sortie en 1965…

Pour ceux du fond qui n’auraient pas suivi, son designer, l’Allemand Dieter Rams, connaît un retour de hype grâce à la série Severance dans laquelle ses créations sont mises à l’honneur, dont ladite installation audio, qui a toute sa place au panthéon des systèmes acoustiques qui ont marqué l’histoire du design. Parmi ceux-ci, la Radiofonografo de Brionvega, la Vision 2000 et le Commander Luxus de Rosita, le Weltron 2001 Space Ball ou encore le Paam Tube de Yonel Lebovici…

Autant de pièces des années 50-70 au design audacieux et dont les petits noms, qui fleurent bon le futurisme et la science-fiction, s’inscrivent dans un storytelling convoquant course aux étoiles, révolution technologique et mutation dans nos rapports sociaux. De quoi faire vibrer les foules, au-delà des amateurs d’audio haut de gamme.

… dans la dernière saison de la série « Severence » (2025).
… dans la dernière saison de la série « Severence » (2025).

Cet engouement pour la hi-fi peut facilement être rattaché aux bars audiophiles qui se multiplient dans la capitale sur le modèle des « listening rooms » japonais – une esthétique que la marque Stone Island a su recréer à travers Studio One, un espace audio immersif et éphémère conçu lors de la Milan Design Week 2025 en collaboration avec Friendly Pressure, jeune marque qui abreuve le tout-Londres en haut-parleurs de pointe. Sans oublier, bien évidemment, au vinyle dont le marché ne cesse de croître depuis une bonne vingtaine d’années.

Autre facteur décisif ? L’appétence soudaine des Millenials et de la GenZ pour tout ce qui est low tech, ce qui passe par la (re)découverte des lecteurs CD, K7, téléphones à clapet… Dans son ouvrage Hifi paru l’année dernière aux éditions Phaidon, Gideon Schwartz, fondateur de la société Audioarts à New York, dépoussière théâtrophones, gramophones, amplificateurs et tourne-disques pour mieux démontrer combien, de leurs balbutiements en 1881 à leur démocratisation à partir des années 50, chaque invention audio a marqué son époque et participer à une nouvelle forme de sociabilisation… Avant de changer soudainement de disque avec l’arrivée du numérique.

Nouvel âge d’or

Victime d’un effacement et d’une miniaturisation progressive, le matériel hi-fi devient encombrant et obsolète au fur à mesure que la musique se dématérialise : de la chaine hi-fi, nous sommes passés au lecteur K7, CD, puis aux iPods pour déboucher en fin de course au tout-concentré dans nos smartphones. Le bon gros matos audio connaît en quelque sorte le même destin que la bibliothèque.

@garrettbv

Space Age Rosita Vision 2000 stereo system designed by Thilo Oerke, 1971

♬ Yasashi – CXSPER

Tout deux sont des objets culturels qui, à différentes époques (pour la bibliothèque ce fut les années 90), se sont retrouvés mis au placard : soit cachés par des meubles d’intégration pour mieux répondre au diktat du minimalisme sans âme, soit carrément relégués à la cave ou, pire, sur un bout de trottoir direction les encombrants.

Un effacement forcé du paysage domestique qui a fait son temps, puisqu’il est aujourd’hui de bon ton de faire valoir son patrimoine culturel : la bibliothèque croule sous les hashtags #booktok et #bookshelfwealth, tandis que la chaîne hi-fi semble connaître un nouvel âge d’or, après celui, originel, des années 60 : « La chaîne stéréo faisait partie intégrante de l’aménagement  du salon. Elle devenait un produit convoité, médiatisé dans les films et la littérature de l’époque, en particulier chez les hommes célibataires plus jeunes et plus aisés, relate Gideon Schwartz dans son ouvrage, et pour qui la hi-fi a toujours été le summum du bon chic, mais pas toujours du bon genre. Le magazine Playboy publiait des tests de matériel audio et mettait en avant les derniers équipements. La chaîne hi-fi était aussi incontournable dans l’appartement du célibataire moderne que l’inévitable armoire à cocktails. »

French Touch

C’est bien cette dimension sociale (le côté garçonnière imbibée d’énergie masculine en moins), qui motive aujourd’hui de jeunes designers et studios comme Jason Seigle, Andrew Roberts et Waiting for Ideas, à concevoir des produits hi-fi aussi variés que des enceintes, platines vinyles et même du mobilier d’appoint. En France, nous ne sommes pas en reste lorsqu’il s’agit de renouer avec un savoir-faire ancré dans notre ADN par des marques historiques depuis les années 30 comme Elipson, Cabasse, Focal, Micromega, Atoll et plus récemment Devialet, Parrot ou encore Confluence.

Le Radiofonografo deAchille et Pier Giacomo Castiglioni pour Brionvega, 1965.
Le Radiofonografo de
Achille et Pier Giacomo Castiglioni pour Brionvega, 1965.

Conscient de ce patrimoine audiophile, Loia Studio souhaite ajouter sa note à la partition. Fraîchement lancée fin 2024 par Vincent, Timothée et Marie, la marque basée dans le Sud-Ouest souhaite « (re)mettre en avant l’espace dédié à la musique dans votre intérieur ». Si le premier a cofondé les magasins de matériels hifi Retrofutur, le deuxième dirige La Boite Concept, société familiale fondée en 2008 – par les petits-enfants de Marie Cagniard Yeramian, dont la marque Siare, créée en 1938, a été leader sur le marché de l’amplification pendant des décennies – et qui produit du mobilier avec système audio intégré.

Avec un pied bien ancré dans le marché, le trio crée des supports adaptés et sur-mesure pour accueillir notre soundsystem : « À une époque où tout est dématérialisé, il est naturel de vouloir se reconnecter, et quoi de mieux que de partager sa musique dans sa version la plus tangible ?, interroge Vincent. Nous avons imaginé un design épuré pour nos consoles, rangements et trieurs de vinyles, en plaquage de noyer ou chêne massif et acier thermolaqué pour mieux absorber les vibrations et pour que les conditions d’écoute soient les meilleures possibles. »

La platine vinyle Beogram 4000 de Bang & Olufsen réinterprétée par Saint Laurent.
La platine vinyle Beogram 4000 de Bang & Olufsen réinterprétée par Saint Laurent.

Revaloriser les produits audio comme « art fonctionnel », c’est également dans les cordes des maisons de luxe : Saint Laurent s’est maqué avec Bang & Olufsen pour revisiter l’iconique platine vinyle Beogram 4000 tandis qu’Hermès a imaginé pour sa collection automne-hiver 2025 d’objets artisanaux, Ateliers Horizons, le Disque Jockey Club, un système audio combinant une enceinte, une table de mixage et des platines, tout en bois d’acajou laqué et gainage en vache Pippa naturelle.


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