Cinquante ans que Staub ravive les cuisiniers du dimanche et les chefs hors pair. Retour sur l’histoire de son produit phare, sa cocotte en fonte qui a changé la donne, une petite révolution dans le monde de la cuisson.
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Miser sur l’innovation
Francis Staub constate qu’au début des années 70, à une époque sans micro-onde ni robot cuiseur, la demande de ces marmites en fonte est conséquente… et supérieure à l’offre. La vingtaine à peine, l’Alsacien fait alors du négoce d’ustensiles dans la lignée de ses parents qui détenaient un magasin d’accessoires de cuisine. Emmanuel Dubs, directeur général de Staub France, rappelle : « dans ces années-là, on rentrait du travail à midi pour déjeuner chez soi. Le repas mijotait au coin du fourneau. On consommait des plats simples et généreux. Francis Staub est allé voir les chefs et comme il avait du caractère, il s’est bien entendu avec eux. Il les a questionnés sur leur manière de cuisiner et a réfléchi à comment rendre les marmites plus efficaces.»
Fort de ces échanges, l’entrepreneur a alors quelques idées pour révolutionner l’objet. Il troque les couvercles traditionnellement bombés contre des modèles plats. Ainsi, la vapeur produite durant la cuisson ne ruisselle plus uniquement le long des bords – ce qui rendait le mets plus sec au centre là où son pourtour était naturellement arrosé de jus. Désormais, l’humidité se répartit avec équité dans le contenant. Pour renforcer l’effet, Francis Staub mise aussi sur des « picots » répartis tout le long de la surface interne du couvre-plat. Ils captent la condensation : lorsque les gouttes fixées à ces derniers deviennent trop lourdes, elles tombent. Cet arrosage en continu préserve le plat et ses arômes de manière homogène. Autre ingéniosité : le travail de l’émail. Les cocottes voient ainsi leur fond paré « d’un émail texturé, granuleux, qui caramélisera la préparation », appuie Emmanuel Dubs
1978. Quatre ans après la création de l’entreprise Staub, son modèle phare est lancé, rejoint les fourneaux des grands chefs – ceux-là même dont les conseils ont participé à la conception de l’objet. Parmi eux, le réputé Paul Bocuse. « La marmite faisait partie du paysage de Paul, à la maison et plus tard dans son entreprise, glisse Olivier Couvin, sacré Meilleur Ouvrier de France en 2015 et chef du restaurant étoilé de Paul Bocuse de Collonges-au-Mont-d’Or, près de Lyon, depuis 2001. Il semblait proche de Francis Staub, il aimait ses histoires tout comme ses produits. Chez nous, les cocottes font partie intégrante du service quotidien. » Servies à table, elles sont « comme des écrins », accueillant, en fonction des saisons et des années, le pigeon au foin, des fricassées de volaille et autres garnitures.
Le contenant n’a jamais quitté les restaurants réputés. « Nous sommes à 80 % chez les chefs et à 20 % chez les particuliers », estime Emmanuel Dubs. Lorsque le micro-onde est apparu, puis toutes autres sortes de robots cuiseurs, Francis Staub n’a pas flanché. Il lance au début des années 80 la mini-cocotte et plus tard des cocottes en céramique, plus légères.
Une fabrication tricolore privilégiée par Staub
Et vaille que vaille, Staub préserve une fabrication française. Pour ce faire, il rachète, entre autres, une émaillerie près de Saint-Etienne et une fonderie à Merville, dans le Nord, où 350 salariés assurent désormais la production complète, sous l’égide de Zwilling. « Cette entreprise familiale allemande, désireux d’investir plus loin que sa production de couteaux, a racheté Staub [en 2008, NDLR] avec l’idée de pérenniser le savoir-faire de fabrication », retrace Emmanuel Dubs.
Tricolore ayant conquis l’international, le faitout réalise à 90% de ses ventes à travers le monde, principalement aux États-Unis et au Japon. Vu comme une référence de l’art culinaire français, il s’ajuste parfois aux us, coutumes et envies de ses pays d’adoption. Pour l’Asie, Staub a pensé une cocotte plus haute, la Gohan, inspirée du « hagama », le cuiseur à riz (en argile ou céramique) traditionnel japonais, qui favorise gonflement du riz et des légumineuses.
Et si les nippons sont friands de teintes pastel (fleur de cerisier, sauge…), aux États-Unis, ce sont les émaux majoliques qui séduisent, offrant des nuances et des reflets dignes de tableaux picturaux. Parfois, de belles collaborations émergent, comme avec minä perhonen, référence du design textile japonais, qui a dessiné pour Staub un motif pour son couvercle. Ce dernier, gravé en bas-relief, évoque un paysage fait de grands arbres nourriciers et d’oiseaux ramassant leurs fruits.
D’autres fois, les créations se dévoilent au verso du capuchon et sont ergonomiques, comme pour le modèle Chistera, réalisé en lien avec le designer Samuel Accoceberry. Son nom désigne la pelote basque qui donne ici sa forme aux picots, pour une cuisson toujours plus adaptée. « Challenger les équipes, aller plus loin dans les compétences techniques » est, comme l’indique le directeur général, un point important pour l’entreprise. Si la cocotte garde ses caractéristiques et ses couleurs intemporelles depuis 45 ans, le pôle design produit de la marque cherche toujours à peaufiner les détails : épaisseur des parois, possibilité d’empiler les braisières…
Un intemporel devenu atout décoration
Alors que la frontière entre la cuisine et la table tend à s’effacer, la cocotte devient objet décoratif à lui-seul. Par ailleurs, Emmanuel Dubs rappelle : « en raison de régimes vegan, végétariens ou autre, l’approche de l’alimentation s’individualise. On va avoir une cocotte pour les protéines animales, une pour les légumes, une autre pour les sucres lents… Et tout le monde va composer. » Nathalie Chabert, responsable communication Zwilling-Staub, souligne les caractères du produit, sain [au sens hygiénique] et durable, qui permet « une cuisine économique énergiquement, comme la cuisson se prolonge à feu doux et que le plat reste chaud longtemps, et tout terrain, toutes saisons » précisant qu’il est aussi efficace pour conserver le froid tels que des crudités et des gaspachos…
Définitivement, un atout pour Olivier Couvin, qui juge la marmite picotée « robuste, rassurante, gage de qualité. J’aime dire à mes équipes que c’est la cocotte d’une vie. De génération en génération. Ad vitam aeternam. » Si la cocotte de Staub reste sa plus belle signature, la marque consacre 30% de sa production à d’autres ustensiles, dont des poêles, sauteuses et autres plats. Depuis 50 ans, et pour bien plus encore.
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