De la brève carrière de Robert Mallet-Stevens (né en 1886 et mort en 1945, à Paris), on retient ses luxueuses villas pour les puissants du XXe siècle. Parmi elles, la villa Noailles, où il a exprimé toute la singularité de sa pratique architecturale.
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Moderne et mondain
“Lorsque j’étais étudiant, on nous parlait peu de l’oeuvre de Robert Mallet-Stevens, si ce n’est de la villa Noailles, à l’aura si singulière« , avoue Benjamin Lafore, de MBL architectes, qui travaille depuis 2016 au sein de la villa Noailles sur les expositions liées à l’architecture. Il faut dire que la destruction des archives du maître, à sa demande, après sa mort à la fin de la Seconde Guerre mondiale, n’a pas aidé. Dressée sur les hauteurs, la bâtisse, commandée par Marie-Laure de Noailles et son époux Charles, mécènes du monde artistique du XXe siècle, a célébré en 2023 son centenaire.
Avant cela, en 1921, ce fils de marchand d’art moderne et petit-fils de critique d’art a offert ses services à une autre vedette de l’époque : le couturier Paul Poiret. Les deux hommes partagent le goût de l’esthétique viennoise, notamment celle de l’architecte Josef Hoffmann qui imprègne le bâtiment imaginé par le Français sur les bords de Seine de Mézy-sur-Seine (Yvelines) et dont la construction s’est achevée en 1925.
À Paris, il dessine la Maison Barillet (XVe), l’hôtel Martel, au 10 rue Mallet-Stevens, (XVIe) et, à deux pas, l’hôtel homonyme où il loge avec sa femme et sa fille. Sans oublier la villa Cavrois, située à Croix dans les Hauts-de-France, soit un véritable manoir de l’ère moderne qui combine des matériaux nobles comme le marbre rouge de Sienne et des influences personnelles dont le mouvement de Stijl et l’architecture hollandaise.
Plusieurs créations qui donnent à cet homme une image d’architecte mondain. “Certes, il n’a pas fait de logement social, mais grâce à des mécènes, en ayant des clients comme les Noailles par exemple, il a pu expérimenter, faire des choix qui aujourd’hui, nous aident, nous architectes” explique Benjamin Lafore. Parmi les expérimentations en question, il évoque son “rapport au contexte méditéranéen”. Ainsi, dans la villa Noailles, avec la chambre de plein air, meublée par Jean Prouvé et Pierre Chareau, il va s’interroger sur la “question climatique et, via un un dispositif simple voire rudimentaire, réfléchir à comment se mettre à l’abri de l’ombre, sans devoir climatiser”. Un sujet plus que jamais d’actualité.
Robert Mallet-Stevens : un œil de cinéaste
En plus de concevoir des maisons pour les happy-few, Robert Mallet-Stevens s’illustre dans un autre registre, celui du cinéma. Un art pour lequel il travaille dans les années 1920 en tant que décorateur auprès des cinéastes Raymond Bernard, Jean Renoir ou encore Marcel L’herbier, pour lequel il conçoit les décors du Vertige et L’inhumaine.
Une carrière dans le septième art qui se retrouve dans ses constructions, notamment la villa Noailles, souligne Benjamin Lafore : “Il met en place une circulation, il relie différents instants, comme dans un scénario. Prenez l’exemple de l’escalier qui relie la chambre d’amis à la salle à manger. Il est assez étroit et démesurément long. Les fenêtres créent un jeu de cadrage du paysage comme le ferait un cinéaste”.
« L’architecture moderne n’est pas une mode«
En phase avec son époque, Mallet Stevens était également un grand défenseur du modernisme, comme le démontre la chambre des fleurs de la villa Noailles. “C’est une pièce d’un mètre carré dont l’usage a été pensé spécifiquement pour Marie de Noailles, pour qu’elle y compose ses bouquets de fleurs. Nous l’aimons beaucoup parce qu’elle est hyper fonctionnelle. On y retrouve cette notion de scénario, car elle est placée entre le jardin de tulipes et la salle de réception”, continue Benjamin Lafore. Une pièce singulière, conçue en collaboration avec le peintre et architecte du mouvement De Stijl, Theo van Doesburg.
Un penchant qu’il avait déjà affirmé en 1926, lors d’une conférence baptisée “Les raisons de l’architecture moderne” : “L’architecture moderne n’est pas une mode ; elle est un besoin. Avant tout, elle n’est pas décorative, elle est utile et normale. La partie ornementale n’est qu’un accessoire. C’est le procédé de construction qui crée une architecture et non pas la décoration qu’on y applique.”
Dans Une Cité moderne (édité par Charles Massin 1922), qui réunit 32 planches du maître, il dessine une ville industrielle, inspirée des nouveaux modèles d’urbanisme qui fleurissaient au début du XXe siècle. Toujours influencé par l’esthétique viennoise, il imagine des bâtiments coquets, qui abritent un bureau de poste, un arrêt de tramway, un cinéma etc…
À sa demande, toutes les archives du maître sont détruites à sa mort, le 8 février 1945. Toutes, sauf celles conservées par sa femme et données au Musée des arts décoratifs de Paris en 1961. Quant à la villa Noailles, elle poursuit ses missions culturelles en accueillant tous les ans, notamment, le Festival international de mode et de photographie ou encore la Design Parade. À partir du 9 mars, elle accueillera une exposition consacrée à l’architecte Jacques Rougerie, spécialisé dans les habitats sous-marins et côtiers et qui, depuis trois décennies, rêve de villages flottants et de bases lunaires.
Pour en savoir plus : Robert Mallet-Stevens, Agir pour l’architecture moderne dans la collection carnets d’architectes de Richard Klein aux éditions du Patrimoine
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