Rencontre avec Reiulf Ramstad, l’architecte star des Scandinaves

L’architecte norvégien porte une attention toute particulière à la question du territoire et intègre les notions de paysage, et plus encore de contexte, dans chacun des projets de son agence. Qu’il s’agisse d’une intervention en pleine nature comme d’une réalisation en milieu urbain.

Reiulf Ramstad semble presque encore s’étonner du retentissement international causé par son projet de centre touristique sur le plateau de Trollstigen, en Norvège. « Avec l’opéra d’Oslo (signé de l’agence Snøhetta, NDLR), ce sont sans doute les deux architectures récentes qui ont été les plus médiatisées », souligne l’architecte norvégien. Au détail près que son ouvrage est très isolé – dans les montagnes du comté de Møre og Romsdal –, n’est accessible qu’environ quatre mois par an en raison de l’enneigement et n’a rien, à première vue, d’un édifice majeur comme l’opéra d’Oslo.

Reiulf Ramstad dans son agence Reiulf Ramstad Arkitekter, fondée à Osloen 1995 et qu’il dirige avec sa femme, Kristin Stokke Ramstad.
Reiulf Ramstad dans son agence Reiulf Ramstad Arkitekter, fondée à Oslo
en 1995 et qu’il dirige avec sa femme, Kristin Stokke Ramstad. Ivar Kvaal

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En Alsace, le Chemin des carrières, qui relie Rosheim à Saint-Nabor, propose un parcours touristique de 11 kilomètres suivant l’ancien tracé ferroviaire et raconte à sa manière l’histoire du paysage et des hommes.
En Alsace, le Chemin des carrières, qui relie Rosheim à Saint-Nabor, propose un parcours touristique de 11 kilomètres suivant l’ancien tracé ferroviaire et raconte à sa manière l’histoire du paysage et des hommes. Christophe Hamme

Remporté en 2004, cet appel d’offres organisé dans le cadre des Routes nationales touristiques – un programme valorisant les plus beaux parcours routiers du pays – portait sur la conception d’un restaurant pour les voyageurs empruntant cet itinéraire mythique ainsi qu’un belvédère pour admirer l’impressionnante vue sur la vallée. La proposition assez radicale de la part de l’agence Reiulf Ramstad Arkitekter pour ce site spectaculaire va d’emblée marquer les esprits.

« À un contexte aussi rude que celui-ci, il fallait un projet à la fois simple, robuste et efficace. Ce qui n’a pourtant pas empêché une avalanche de mettre à mal le bâtiment l’hiver dernier. Nous avions fait toutes les études nécessaires, mais minimisé la prise en compte du réchauffement climatique qui a provoqué une coulée de neige sur un versant où ça n’avait jamais eu lieu. On se rend compte alors que la nature est toujours la plus forte », confie l’architecte.

Entre architecture et sculpture, le dispositif scénographie, voire ralentit, l’approche du marcheur vers le rivage afin de lui faire profiter au mieux de ce moment de contemplation.
Entre architecture et sculpture, le dispositif scénographie, voire ralentit, l’approche du marcheur vers le rivage afin de lui faire profiter au mieux de ce moment de contemplation. Reiulf Ramstad Arkitekter

Très jeune, Reiulf Ramstad a été attiré par les paysages sauvages et les communautés qui y vivent. Il se souvient encore de ses vacances passées en famille sur une petite île, dans une cabane d’une seule pièce, avec l’océan pour grand bain. « Dans ce contexte, la nature devient une source inépuisable de fantaisie. »

Plus tard, les voyages de ses parents l’entraînent loin d’Oslo, où il est né, et notamment aux États-Unis. « Cette époque m’a permis de comprendre ce que je ne voulais pas : subir le modèle américain des villes et des banlieues qui s’étendent à l’infini. En fait, je déteste la banlieue pour ce qu’elle impose : des lieux très monotones qui génèrent des crises, de la frustration, de la pollution… C’est un concept qui n’est pas vraiment durable avec tous les déplacements qu’il impose. L’architecture n’est-elle pas censée rendre la vie des gens meilleure ?» fait-il remarquer. 

Dans l’archipel des Lofoten, en Norvège, cette ancienne pêcherie du village de Henningsvær est en passe de devenir un complexe écotouristique, modeste en apparence, mais à l’offre qualitative et luxueuse.
Dans l’archipel des Lofoten, en Norvège, cette ancienne pêcherie du village de Henningsvær est en passe de devenir un complexe écotouristique, modeste en apparence, mais à l’offre qualitative et luxueuse. Reiulf Ramstad Arkitekter

L’influence du travail d’Aldo Rossi

Celui qui se rêvait un temps danseur de ballet professionnel se tourne alors vers les cultures latines puis embrasse l’architecture, comme sa mère l’avait fait avant lui. Ce sera d’abord Gênes – « surtout pour apprendre l’italien, même si j’ai trouvé l’urbanité de cette ville incroyable » – puis Venise et son école d’architecture, l’Instituto Universitario di Architettura di Venezia, où il prend la mesure du travail d’Aldo Rossi (1931-1997), à travers notamment l’ouvrage L’Architettura Della Città.

« C’était une période merveilleuse. J’ai encore en mémoire les conférences de figures comme Tadao Ando, Alvaro Siza, James Turell… Une vraie révolution esthétique à mes yeux, certes dans un esprit un peu bordélique, mais un bordel inspirant pour le jeune Nordique que j’étais. »

Vue sur le massif des Vosges depuis l’une des 14 hytter de l’hôtel 48° Nord, situé à Breitenbach. Imaginées par Emil Leroy Jönsson, les cabanes ont été construites à partir du bois des châtaigniers plantés sur le terrain.
Vue sur le massif des Vosges depuis l’une des 14 hytter de l’hôtel 48° Nord, situé à Breitenbach. Imaginées par Emil Leroy Jönsson, les cabanes ont été construites à partir du bois des châtaigniers plantés sur le terrain.  11h45

Il y découvre aussi l’identité très forte de chaque quartier et ce que signifient les limites d’une ville, avec cette rupture très franche imposée par l’eau : « J’aime cette idée d’avoir une multitude de centres où tout est à portée de main. J’adhère totalement au concept du 15 minutes city (ville du quart d’heure, NDLR) », avoue-t-il.


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Après dix années passées à Venise, il ressent le besoin de rentrer dans son pays où, très vite, il rencontre celle qui deviendra sa femme, sa partenaire au sein de l’agence et la mère de ses enfants. Ce changement de vie soudain, qu’il juge aujourd’hui un peu naïf dans le contexte d’alors, va pourtant conditionner la création de son studio.

Situé dans le comté de Finnmark, en Norvège, la Selvika National Tourist Route est le second projet conçu dans le cadre des Routes nationales touristiques.
Situé dans le comté de Finnmark, en Norvège, la Selvika National Tourist Route est le second projet conçu dans le cadre des Routes nationales touristiques. Reiulf Ramstad Arkitekter

« Je n’avais pas de clients en Norvège et mon premier projet a été… une chaise. Par chance, elle a remporté des concours pour des aménagements de bâtiments publics, ce qui nous a permis d’avoir la trésorerie pour plancher sur des compétitions de constructions que nous avons peu à peu gagnées. »

Nous, car Kristin Stokke Ramstad, bien que non architecte mais diplômée en philosophie et en sciences sociales, va se joindre à lui dans cette aventure. « C’est intéressant de travailler avec quelqu’un qui propose un autre regard sur l’architecture. Une approche plus intellectuelle, moins technique. Pour fonctionner, cette discipline doit parler à tout le monde. Et d’ailleurs, c’est Kristin qui dirige l’agence. »

À l’intérieur de l’un des hytters de l’hôtel 48° Nord, situé à Breitenbach.
À l’intérieur de l’un des hytters de l’hôtel 48° Nord, situé à Breitenbach.  11h45

 Une absence de schémas préétablis

Reiulf Ramstad Arkitekter compte désormais une trentaine d’architectes répartis entre trois bureaux : Oslo, où se trouve l’officine principale depuis 1995, Copenhague et Aarhus, au Danemark. En trente ans, les projets développés ont aussi bien concerné la maison que l’édifice public, l’immeuble d’habitations ou de bureaux que la planification urbaine et paysagère, sans imposer un style ni suivre des schémas préétablis.

« J’aime décrire l’agence comme une caravane en route vers des lieux inconnus. Nous traversons un paysage culturel, politique et historique qui change à mesure que nous progressons. Je trouve difficile d’indiquer un objectif final très exact ou une destination spécifique pour ce voyage, car nous ne fonctionnons pas selon un manifeste précis ni un programme idéologique rigide. »

Sur le plateau du Trollstigen, le centre touristique vient s’inscrire dans la série des projets architecturaux qui jalonnent les Routes nationales touristiques déployées à travers le territoire norvégien.
Sur le plateau du Trollstigen, le centre touristique vient s’inscrire dans la série des projets architecturaux qui jalonnent les Routes nationales touristiques déployées à travers le territoire norvégien. Ivar Kvaal

Lorsqu’il s’agit d’aborder le paysage, c’est tout de même avec un point de vue d’architecte que le projet se dessine. Comme dans le Jutland, au Danemark, où, pour un centre de promotion de la culture alimentaire et agricole de la région, l’agence a développé une réflexion autour de la céréale afin de rétablir une relation avec les plantations et le territoire comme lieu de ressources…

« On a fait des recherches sur des semences endémiques pour composer le paysage – des champs – qui était partie prenante du projet architectural. » La céréale, élément essentiel à la vie, est ici sublimée dans une sorte de jardin d’ornement qui entoure le bâtiment baptisé Kornets Hus (maison du grain), où les habitants peuvent suivre des cours sur l’agronomie, sur la nutrition ou bien encore apprendre à faire du pain.


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Tandis que la conception du bâtiment d’accueil renvoie aux éléments naturels environnants, l’eau et la roche notamment, le dessin de la promenade-belvédère en acier corten tente d’épouser le relief.
Tandis que la conception du bâtiment d’accueil renvoie aux éléments naturels environnants, l’eau et la roche notamment, le dessin de la promenade-belvédère en acier corten tente d’épouser le relief. Ken Schluchtmann

Le projet le plus marquant, d’un point de vue français, est sans nul doute celui mis en œuvre en 2015, à Breitenbach dans les Vosges alsaciennes. Imaginé par le paysagiste franco-danois Emil Leroy Jönsson, l’hôtel 48° Nord intègre d’une certaine manière le paysage dans la structuration du projet. Les cabanes (héritières des hyttes norvégiennes) qui rythment le complexe ont été construites à l’aide du bois des châtaigniers présents auparavant sur la parcelle.

« Nous avions l’idée de faire vivre les hôtes à l’intérieur d’un arbre, comme dans les contes des frères Grimm. Plus concrètement, cette réalisation a pris une dizaine d’années à voir le jour. Au départ, en raison du faible budget, nous n’avons produit que quelques dessins pour donner l’intention. Puis le temps a permis de mûrir le projet. Les instances politiques et financières ont assurément été sensibles à cette ténacité. Comme l’a dit Carlo Scarpa (1906-1978), l’architecte doit aider les gens à réaliser leurs rêves. »

Le projet résidentiel et commercial de Favn, à Hafjell, en Norvège, devrait accueillir à terme un millier d’habitants. Revisitant l’habitat collectif de montagne, ce complexe a été pensé avec l’exigence d’une très haute qualité architecturale offrant des solutions d’usage pragmatiques et économiquement réalisables.
Le projet résidentiel et commercial de Favn, à Hafjell, en Norvège, devrait accueillir à terme un millier d’habitants. Revisitant l’habitat collectif de montagne, ce complexe a été pensé avec l’exigence d’une très haute qualité architecturale offrant des solutions d’usage pragmatiques et économiquement réalisables.  kristian Aalerud

Dans le même temps, Reiulf Ramstad a épaulé Emil Leroy Jönsson sur un projet de requalification du territoire, non loin de Breitenbach, consistant à imaginer une promenade de onze kilomètres. Cette commande était initialement pensée à des fins touristiques. « Un peu comme une série de folies que l’on vient visiter. Mais, finalement, le Chemin des carrières a une fonction très pratique dans le quotidien des locaux qui l’utilisent simplement pour se déplacer. »

L’architecte norvégien est convaincu que les habitants ont besoin d’idées nouvelles pour régénérer autant leur territoire que les traditions afin que celles-ci demeurent vivantes et attractives. Aussi, prend-il un exemple hors du champ de l’architecture, mais qui révèle bien cette attention pour les fondamentaux. 

Situé à Hjørring, dans le Jutland (Danemark), la Kornets Hus (maison du grain) met la céréale au cœur d’un projet architectural au service des problématiques agricoles, alimentaires et culturelles.
Situé à Hjørring, dans le Jutland (Danemark), la Kornets Hus (maison du grain) met la céréale au cœur d’un projet architectural au service des problématiques agricoles, alimentaires et culturelles. Reiulf Ramstad Arkitekter

« On observe depuis une dizaine d’années une incroyable mobilisation pour la gastronomie nordique. Pourtant, historiquement, cette cuisine, a priori peu innovante, était symbole de pauvreté. On mangeait ce que l’on trouvait selon les saisons. Mais, aujourd’hui, on est séduit par ce lien très fort avec la nature, cet esprit de simplicité, l’idée d’un environnement préservé… que des cuisiniers talentueux savent magnifier. Si bien que l’on assiste à une totale inversion des valeurs du luxe que conditionne la conscience à la durabilité. Et je pense que l’architecture ne va pas échapper à ce phénomène. »


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