« Quelle chaise seriez-vous ? » N’y voyez pas de dérives objectophiles derrière cette question anodine posée par Cody Fusina sur son compte Instagram. En février dernier, l’homme a scénographié le clip ExtraL de la star de K-pop Jennie en duo avec la rappeuse américaine Doechi, dans lequel il a réuni la crème de la crème des assises vintage « mid-century modern » datant des années 1950 à 70. Parmi ces dizaines de pièces cultes, la Sling Chair de Jerry Johnson, le sofa Marshmallow d’Irving Harper, le fauteuil Peacock de Kofod Larsen. On imagine l’état d’extase des antiquaires des Puces de Saint-Ouen !
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L’art de la mise en scène
Ce n’est pas le seul exemple récent et notable dans la pop culture à avoir initié une obsession collective et monomaniaque pour tout ce qui peut accueillir notre arrière-train avec style. Véritable phénomène de société, la série Severance dont la saison 2 a débarqué sur nos écrans en début d’année, y est aussi pour beaucoup.
Dans un monde dystopique en perte de repères matérialisé par un décor minimaliste et low tech à souhait, là encore les pièces design mid-century font une apparition remarquée – les fauteuils Henry P Glass (que l’on voit dans le lobby), la chaise Fardos du designer brésilien Ricardo Fasanello (aperçue dans un coin du bureau de M. Milchick) ou encore le fauteuil Vitsoe 620 de Dieter Rams (trônant dans le laboratoire immaculé de la société Lumon Industries).
Mieux que le cameo d’une ex-star sur le retour, les assises ont le don de crever l’écran : « Le siège est un élément scénographique et narratif incontournable, affirme Mathilde Maître, designer et co-autrice avec son confrère Thomas Borie de la newsletter Punktional. Il est souvent le seul objet présent sur la scène pendant une pièce de théâtre, d’ailleurs. »
Comme dernièrement lors de la performance-installation Staging Modernity de Cassina présentée au Teatro Lirico Giorgio Gaber pendant la Milan Design Week. Des danseurs ont ainsi évolué autour d’assises emblématiques signées Le Corbusier, Charlotte Perriand et Pierre Jeanneret dont l’éditeur fêtait les 60 ans de production.

« Pour la petite anecdote, Richard Peduzzi, illustre scénographe qui a fait l’objet d’une exposition au Mobilier national en décembre dernier, en est venu au design par la chaise. Elle attire le regard car elle joue avec les formes, matières et couleurs. Elle constitue un véritable exercice de style pour les designers. Il y a cette idée reçue selon laquelle on est un vrai designer que si l’on a créé sa propre chaise. »
Un gage de réussite qui tend vers le marqueur social dès que l’on glisse dans la sphère personnelle et domestique : « L’assise est la pièce design par laquelle on assoit son statut social et son (bon) goût. Combien de personnes se sont dotées d’un fauteuil Eames ou d’un canapé Togo ? »
Le canapé de Frank Ocean
Si les fictions constituent de formidables tableaux inspirationnels – citons encore pour la postérité la Egg chair de Men in Black, les fauteuils Barcelona dans Casino Royal, les chaises Tulip dans la série Star Trek, les créations du couple Eames dans Mad Men… – d’autres événements rappellent à notre bon souvenir quelques pièces tombées dans l’oubli, revalorisant au passage leur cote : la revue coréenne Magazine C consacre chaque numéro à un modèle d’assise qui a investi notre quotidien – la Louis Ghost de Philippe Starck, la n°14 de Thonet ou encore la Standard de Jean Prouvé -, tandis que, plus engageant dans les faits, des rééditions ont été encouragées par des actions collectives.

On se souvient ainsi du buzz sur les réseaux sociaux orchestré par le canapé vintage d’inspiration Bauhaus à la Milo Baughman capturé sur la pochette de l’album Harry’s House d’Harry Styles. Magie d’Internet : à la demande générale des fans du chanteur, des designers de Portland, regroupé sous le label éphémère Your House Couch, ont reproduit à l’identique ledit canapé en 2022, en 500 exemplaires.
Un cas qui fait écho à celui du canapé Dune de Pierre Paulin. Imaginée en 1968 et sortie des archives par son fils Benjamin qui a repris le flambeau en 2013, cette pièce paysagère a vite trouvé grâce aux yeux d’une poignée d’artistes de la scène musicale, si bien que les gens la connaissent mieux sous le nom de « Frank Ocean’s Dune Sofa » (du nom du rappeur américain).
La Monobloc est à bloc
Dans un tout autre champ artistique, celui de la mode, les assises aussi sont un « trending topic » récurrent. En atteste les poufs en forme d’animaux présents sur le défilé printemps-été 2025 de Bottega Veneta, réinterprétations du modèle Sacco de Zanotta, les assises chinées sur Leboncoin par Acne Studios pour le même show, en septembre dernier, sans oublier la campagne Balenciaga photographiée par Jürgen Teller, mettant en scène des canapés, fauteuils et sièges en fin de vie et abandonnés dans la rue. Dans tous les cas, c’est la familiarité de l’objet qui interpelle.

« L’assise parle à tout le monde. C’est un objet de l’intime qui fait partie de notre environnement familier et auquel on rattache facilement des sensations et des souvenirs, souligne Mathilde Maître. C’est un objet populaire qui fait partie de notre imaginaire et à travers lequel les histoires personnelles et communes s’entremêlent. Je pense, par exemple, au collectif Hall Haus qui avait revisité la chaise pliable de camping en 2022 (et exposée jusqu’au 17 août dans le cadre de « Banlieues Chéries » au Musée national de l’histoire de l’immigration, ndlr). »
C’est également le cas de la Monobloc immortalisée sur la pochette du dernier album de Bad Bunny, intitulé Debí Tirar Más Fotos (comprendre, « J’aurais dû prendre plus de photos »). Créée en 1946 par un Canadien dénommée DC Simpson, cette chaise blanche en plastique est aujourd’hui la plus vendue et utilisée dans le monde.
D’origine populaire, cet objet manifeste est en quelque sorte un transclasse du design : si la Monobloc a eu droit à un relooking de compétition, ambiance boule à facettes par le studio autrichien HFA, la consécration ultime vient du T Magazine, qui l’a classée l’an dernier à la quinzième place de son top des « 25 meubles les plus marquants de ces 100 dernières années » !
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