La maison la plus emblématique de Jean Prouvé cherche son futur propriétaire 

Mise sur le marché au prix d’un quatre-pièces parisien, la maison du Docteur Gauthier, gendre du visionnaire Jean Prouvé, est désormais disponible à la vente. Visite d’une demeure familiale unique au monde, considérée comme la quintessence du génie de son constructeur. 

Cette maison d’exception, imaginée par Jean Prouvé pour sa fille et son gendre, incarne l’apogée de son génie visionnaire. Perchée au cœur des Vosges, la demeure mêle design fonctionnel et respect de l’environnement, témoignant d’une révolution architecturale née des idéaux de l’après-guerre. Aujourd’hui classée Monument Historique, elle attend un acquéreur capable de préserver son âme. Un dialogue unique entre l’homme et la nature, où chaque détail raconte l’histoire d’un maître constructeur.


À lire aussi : L’architecte Alvar Aalto en 5 bâtiments historiques


Jean Prouvé à son apogée

Surplombant les courbes sensuelles du massif vosgien, au-dessus de la petite ville de Saint-Dié-des-Vosges, la propriété familiale de la fille de Jean Prouvé se dresse comme un somptueux vaisseau de verre et d’acier. Construite au début des années 1960 à la demande de son mari Pierre Gauthier, elle constitue le projet le plus abouti du maître en matière d’architecture domestique, symbole d’une philosophie d’après-guerre qui aura vu l’habitat entrer dans une nouvelle ère, celle de l’industrialisation extrême, qui pourrait se résumer en une seule et même devise : construire vite, à bas coût et pour le plus grand nombre.

Maison conçue en 1962 par Jean Prouvé pour sa fille et son gendre à Saint-Dié-des-Vosges. © Architecture de Collection. © Manuel Bougot
Maison conçue en 1962 par Jean Prouvé pour sa fille et son gendre à Saint-Dié-des-Vosges. © Architecture de Collection. © Manuel Bougot

Une portée humaniste qui apparaît aujourd’hui pour le moins paradoxale, vu les prix auxquels sont cédés ces objets à quelques amateurs fortunés : « Dans le sillage de la « Prouvé mania », chacune des œuvres de l’architecte s’arrache à des sommes folles, déplore Aurélien Vernant, historien d’art et d’architecture officiant pour l’agence Architecture de collection, en charge de la vente de ce bien d’exception. Nous oscillons ainsi entre marchandisation et patrimonialisation, avec ici une œuvre majeure au sein de la galaxie Prouvé. C’est en quelque sorte une synthèse des arts, reliée en son centre par une nécessité constructive ».

Maison conçue en 1962 par Jean Prouvé pour sa fille et son gendre à Saint-Dié-des-Vosges. © Architecture de Collection. © Manuel Bougot
Maison conçue en 1962 par Jean Prouvé pour sa fille et son gendre à Saint-Dié-des-Vosges. © Architecture de Collection. © Manuel Bougot

Un dialogue entre l’homme et la nature

Pourtant, le prix affiché, de 850 000 euros pour cet espace de 215 mètres carrés habitables perché au milieu d’un parc arboré d’un demi hectare, ne semble pas frôler la décadence, lorsque l’on a quelques notions des tarifs pratiqués à Paris Rive Gauche. Ici, non moins de 6 chambres sur deux niveaux, une salle de bains, deux salles d’eau, un grand salon et une terrasse, réalisés autour d’un noyau-porteur dans des matériaux imbriquant à la perfection verrières, fins châssis métalliques et subtils panneaux en voile-grille.

Maison conçue en 1962 par Jean Prouvé pour sa fille et son gendre à Saint-Dié-des-Vosges. © Architecture de Collection. © Manuel Bougot
Maison conçue en 1962 par Jean Prouvé pour sa fille et son gendre à Saint-Dié-des-Vosges. © Architecture de Collection. © Manuel Bougot

Parmi les espaces les plus remarquables, une immense pièce à vivre orientée plein sud, où trône une cheminée en fonte et briques réfractaires au foyer triangulaire, des modules savamment disposés pour laisser entrer la lumière des cieux alsaciens, un sol de tomettes recouvert d’un tapis de laine blanche et un mobilier – vendu avec l’ensemble – évoquant l’univers de la designer Charlotte Perriand. Des premières heures du jour jusqu’à la tombée de la nuit, se joue depuis la banquette une performance à la lisière du land art, mêlant la froideur des façades métalliques à la douceur d’un camaïeu de verts passant de l’émeraude à l’opaline, célébrant le fantasme d’un génie humain dialoguant avec une nature toujours imperturbable.

Maison conçue en 1962 par l’architecte français pour sa fille et son gendre à Saint-Dié-des-Vosges. © Architecture de Collection.
Maison conçue en 1962 par l’architecte français pour sa fille et son gendre à Saint-Dié-des-Vosges. © Architecture de Collection.

De l’habitat fonction à la muséification

D’une porte à l’autre, la visite se mue en parcours du collectionneur, à travers un florilège de pièces cultes allant des célèbres fauteuils Kangourou aux chaises Standard, innocemment disposées autour d’une table au piètement reprenant le principe de la table SAM n°502, conçue par Jean Prouvé en 1951.

Maison conçue en 1962 par Jean Prouvé pour sa fille et son gendre à Saint-Dié-des-Vosges. © Architecture de Collection.
Maison conçue en 1962 par Jean Prouvé pour sa fille et son gendre à Saint-Dié-des-Vosges. © Architecture de Collection.

Du côté des pièces « humides » ouvrant sur l’espace nuit, l’ambiance se fait plus austère, avec toutefois une cuisine pensée pour une famille nombreuse, à en juger ce large plan de travail stratifié en équerre, ce passe-plat communiquant avec la salle à manger, et ces chambres aux allures de petits habitacles aux angles arrondis, qui ne sont pas sans rappeler le charme des colonies de vacances. Mais c’est bien sous des abords très fonctionnels que surgit la dimension visionnaire de Jean Prouvé, « ce constructeur qui n’était même pas ingénieur, insiste Aurélien Vernant. Un pionnier absolu, aux procédés constructifs révolutionnaires qu’il souhaitait mettre au service d’une vision politique et sociale ».

Maison conçue en 1962 par Jean Prouvé pour sa fille et son gendre à Saint-Dié-des-Vosges. © Architecture de Collection.
Maison conçue en 1962 par Jean Prouvé pour sa fille et son gendre à Saint-Dié-des-Vosges. © Architecture de Collection.

Une œuvre totale, donc, classée Monument Historique dans sa totalité depuis 2005, que le futur propriétaire se devra de respecter en toute humilité, puisqu’il lui sera formellement interdit d’en modifier le moindre détail, y compris en matière de mobilier. « L’achat d’une telle propriété est un acte formidable, qui se double d’une véritable contrainte, reconnaît Aurélien Vernant d’un air amusé. Ici, on ne peut rien toucher. Tout le défi consiste par conséquent à trouver des acheteurs sensibles au patrimoine, ayant le désir de s’inscrire dans l’histoire ». Amateurs déférents, la balle est désormais dans votre camp.

> Plus d’informations ici.


À lire aussi : Portrait : Jean Prouvé raconté par sa fille Catherine