Pedro Almodóvar imagine une collection pour Roche Bobois

Collectionneur de design, Pedro Almodóvar est passé maître dans l’art de composer un décor, acteur à part entière de ses films. Roche Bobois consacre une collection à l’univers du cinéaste espagnol, qui a participé à chaque étape de son élaboration.

« Pour le décor du film La Chambre d’à côté, j’ai livré le même canapé dans trois nuances de rouge. Pedro Almodóvar voulait s’assurer que la couleur matcherait parfaitement avec les cheveux de Julianne Moore. » Grégory Dias Monreal est directeur des tendances chez Roche Bobois. À ce titre, c’est lui qui a collaboré sur le dernier film du réalisateur espagnol avec Carlota Casado, l’ensemblière des décors d’Almodóvar. On y aperçoit donc le canapé Bubble et deux canapés Allusion, de Sacha Lakic, des tables basses de Maurizio Manzoni et la bibliothèque Ramsy, de Max Voytenko.


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Comme un air de Movida

Représentant de Roche Bobois pendant vingt ans en Espagne, Grégory Dias Monreal rêvait d’un canapé hommage au plus grand cinéaste espagnol. Il lance l’idée à pas feutrés. Le réalisateur lui offre bien plus que cela : sa première collection complète avec un éditeur, à la condition expresse de pouvoir participer à sa conception.

Grégory Dias Monreal, directeur des tendances chez Roche Bobois, dans le bureau de Pedro Almodóvar. Le cinéaste a participé à l’élaboration de « Cromática », une collection complète de meubles et d’objets inspirée de son univers.
Grégory Dias Monreal, directeur des tendances chez Roche Bobois, dans le bureau de Pedro Almodóvar. Le cinéaste a participé à l’élaboration de « Cromática », une collection complète de meubles et d’objets inspirée de son univers. DR

C’est que Pedro Almodóvar connaît le vocabulaire de la marque par cœur et maîtrise le lexique du design contemporain, qu’il collectionne. Dans Douleur et Gloire, Antonio Banderas, son double à l’écran, cache ses secrets dans un secrétaire Roche Bobois. L’appartement du film est d’ailleurs la réplique de celui d’Almodóvar dans la vraie vie.

Lors de ses voyages, celui-ci fait le tour des boutiques de design locales, rapporte des idées et des objets qui se retrouvent dans ses décors. Sa société de production, El Deseo, les conserve tous. « À 20 ans, il rêvait d’habiter dans les vitrines des magasins de mobilier contemporain », raconte Grégory Dias Monreal.

L’un des buffets de la collection « Cromática » par Pedro Almodóvar pour Roche Bobois.
L’un des buffets de la collection « Cromática » par Pedro Almodóvar pour Roche Bobois. DR

Des pièces iconiques peuplent d’ailleurs les huis clos de ses films : deux fauteuils de Gerrit Rietveld dans Douleur et Gloire – vus aussi dans Étreintes brisées –, la lampe de bureau Tolomeo, de Michele de Lucchi, parfois la lampe Pipistrello, de Gae Aulenti, ou encore un buffet de Jonathan Adler…

Plus qu’une toile de fond, les décors sont un acteur à part entière du scénario, miroir des émotions des personnages. « Almodóvar adorait le procédé d’impressions sur les meubles de Fornasetti, alors nous avons repris ce principe en imprimant des affiches de ses films sur notre vaisselier Rondo », explique Grégory Dias Monreal.

Élan d’optimisme

« Les couleurs et les motifs que j’ai choisis traduisent une joie de vivre intense, raconte le cinéaste. Je suis convaincu que le fait de s’asseoir dans ce canapé, de marcher sur ces tapis ou simplement de contempler ces meubles insufflera à tous un véritable élan d’optimisme. » La collection, baptisée Cromática, suit la palette chromatique du réalisateur. Dans l’ordre, le rouge, passionnel, symbole d’ambition, de sexualité, de colère. Puis un turquoise clair, spirituel, la tonalité silencieuse de la paix. Enfin, un jaune safrané, solaire, mais également allégorie de la maladie.

L’actrice espagnole Rossy de Palma a elle aussi collaboré avec Roche Bobois pour la création d’une collection capsule. Elle pose ici devant la coiffeuse qu’elle a imaginée, « dont le miroir évoque un œil dans lequel on se regarde pour prendre soin de soi » et d’objets de décoration comme l’éventail, accessoire emblématique de l’actrice, décliné sur des vases ou en tapis.
L’actrice espagnole Rossy de Palma a elle aussi collaboré avec Roche Bobois pour la création d’une collection capsule. Elle pose ici devant la coiffeuse qu’elle a imaginée, « dont le miroir évoque un œil dans lequel on se regarde pour prendre soin de soi » et d’objets de décoration comme l’éventail, accessoire emblématique de l’actrice, décliné sur des vases ou en tapis. STEFANO GUIDANI

On se souvient que, dans La Chambre d’à côté, Tilda Swinton choisit un costume de cette couleur pour son dernier voyage. Grégory Dias Monreal a longtemps échangé sur le sujet avec le cinéaste. Le canapé Bubble se retrouve dans ces trois tonalités fondatrices, en plus d’un vert mousse, couleur moins vue chez Almodóvar, mais adoptée après que Victoria Abril lui a fait remarquer que son tailleur rouge ressortirait bien sur cette teinte à l’écran.

« Le goût pour les aplats de couleurs franches lui vient de l’enfance et des premiers films qu’il a vus au cinéma, avec cet effet si particulier que donne le Technicolor », rappelle Grégory Dias Monreal. Rouge, bleu, jaune ont imprimé la mémoire du réalisateur, fasciné par les mélodrames de l’âge d’or de Hollywood signés Douglas Sirk.

Le canapé Lounge, de Hans Hopfer, revisité par Pedro Almodóvar pour sa collection « Cromática ».
Le canapé Lounge, de Hans Hopfer, revisité par Pedro Almodóvar pour sa collection « Cromática ». DR

C’est le même trio coloré dans Pierrot le fou, de Jean-Luc Godard : du bleu sur le visage de Jean-Paul Belmondo, sacrifié à coups de bâtons de dynamite rouges et jaunes. À son tour, Almodóvar les pose dans ses décors, ses affiches et les costumes de ses chicas, ses héroïnes.

Également invitée à concevoir une collection capsule pour Roche Bobois, sa muse Rossy de Palma a conçu une coiffeuse, des lampes et des tapis excentriques en forme d’éventails et de peignes à cheveux, à dominante noir et blanc. « C’est un clin d’œil au cinéma muet », confie-t-elle. On ne rivalise pas avec les couleurs d’Almodóvar.


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