Territoire de 53 hectares enserré entre les voies de la gare Saint-Lazare et le périphérique parisien, la ZAC de Clichy-Batignolles affiche depuis peu son visage quasi définitif. Après plusieurs années à métamorphoser ces anciens terrains appartenant à la SNCF, seul le parc Martin-Luther-King peaufine encore ses derniers aménagements. A son extrémité nord, face au Tribunal de Grande Instance de Renzo Piano, l’îlot imaginé par TVK et Tolila+Gilliland s’inscrit dans la continuité des Ateliers Berthier, la succursale du théâtre de l’Odéon, et intègre un cinéma et un centre d’animations.
Au milieu des récentes réalisations signées MAD, Jean-Paul Viguier, Aires Mateus, Chartier-Dalix ou Baumschlager, le projet des deux agences parisiennes dessine le pôle culturel de la ZAC, mais pas uniquement… En plus de réunir sept salles de projection, de multiples ateliers, une salle de danse, une autre de spectacle et un jardin pédagogique, le nouvel ensemble comprend aussi des commerces, plusieurs niveaux de parking et quelque 340 logements. Avec une telle mixité, « le projet appelait forcément à l’imbrication des programmes et posait plusieurs questions. Notamment celle-ci : comment construire la ville dense ? Et comment cette densité peut-elle générer une urbanité intéressante ? », introduit l’architecte Gaston Tolila, associé à Nicholas Gilliland depuis 2011.
Agrémenté d’un café, le cinéma devient par exemple prétexte à créer une sente au cœur de la parcelle. Malgré son statut privé, le passage s’ouvre au public en fonction des horaires du cinéma et favorise ainsi la porosité de ce projet qui regroupe trois immeubles d’habitation autour d’un noyau d’équipements. Accessible depuis la rue, un espace sur deux niveaux accueille le centre d’animation tandis que les salles de projection semi-enterrées se laissent deviner sous un jardin collectif. En balcon sur le parc, cet espace réservé aux habitants illustre à lui seul la générosité du projet quant aux espaces extérieurs.
Après une première collaboration, visant à établir le plan-guide du secteur de Bercy-Charenton, TVK et Tolila+Gilliland ont de nouveau séduit la ville de Paris grâce à une architecture résolument tournée vers l’extérieur. Outre le jardin collectif sur le toit du cinéma, le jardin pédagogique sur celui du centre d’animations et deux grandes terrasses partagées dans les étages supérieurs, les balcons et loggias atteignent ici une moyenne de 14 m2 par logement. Soit cinq de plus que la moyenne nationale. Un atout non négligeable, qui plus est pour des immeubles culminant à 50 mètres de haut, en offrant des vues sur le Sacré-Cœur, la tour Eiffel et le Tribunal de Grande Instance.
Conçus comme « une épaisseur habitée », les espaces extérieurs cernent chacun des trois grands bâtiments implantés dans les pointes de la parcelle triangulaire. « Les immeubles d’habitation vont chercher les angles pour apporter de la lumière du premier au quinzième étage et magnifier les situations de proue » précise Pierre-Alian Trévelo, à la tête de l’agence TVK avec Antoine Viger-Kohler. Et pour sublimer un peu plus ce parti pris, les architectes ont redoublé d’originalité, tant en terme de matérialité que de géométrie.
« Ciselé », « plissé » ou « twisté », chaque immeuble d’habitation se distingue par son propre vocabulaire formel. Sur la façade de l’un, la trame des poteaux se décale en donnant l’illusion d’un effet de torsion. La façade d’un autre, plane au rez-de-chaussée, se plie au fur et à mesure qu’elle monte dans les étages. Alors que les balcons du troisième se démarquent par des sous-faces taillées en pointes de diamant. Pour rompre avec la monotonie et la répétitivité inhérente aux immeubles de grandes hauteur, « ce travail de la géométrie permet de donner du caractère à chaque bâtiment », reprend Gaston Tolila.
Composées d’éléments préfabriqués en béton, les façades se démarquent également par leurs teintes subtiles. En fond de parcelle, le bâtiment blanc crée un effet de profondeur depuis le parc. L’immeuble beige rappelle les allées de ce dernier. Alors que le bâtiment rosé évoque la brique des Habitations Bon Marché (HBM), construites en périphérie de la capitale au début du XXe siècle. Chaque tonalité est obtenue sans adjuvant, mais simplement grâce à la couleur des granulats qui composent le béton. Ceux-ci s’exposent d’ailleurs discrètement en façades, à travers un jeu de finitions lisses et brossées qui répond à la minéralité des façades parisiennes.
En rompant avec l’austérité souvent associée au béton brut, les éléments préfabriqués tirent un trait sur l’utilisation des panneaux de revêtement et garantissent un choix économe. « Ce système, structurel et industriel, ouvre aujourd’hui de nouvelles pistes chez les constructeurs » conclut Pierre-Alain Trévelo. Son associé et lui attendent désormais les résultats du concours Reinventing Cities organisé à Houston, auquel ils viennent de participer en compagnie de Tolila+Gilliland…