Scénographie engagée : We Love Green tord le cou au greenwashing

We Love Green n'est pas qu'un festival. C’est un laboratoire poétique, politique et plastique où le design scénographique devient une forme d’activisme joyeux. Entre matériaux récupérés et utopies végétales, l'édition 2025 fait rimer éthique et esthétique du spectaculaire.

Chaque début d’été au cœur du bois de Vincennes, We Love Green (du 6 au 8 juin 2025) érige une utopie temporaire. Un monde parallèle où la musique dialogue avec l’art, le design, le débat sociétal, et où les installations racontent un autre futur possible. Dès sa création, le festival a fait de la scénographie bien plus qu’un décor d’accompagnement. Elle est devenue signature, support pédagogique, vecteur d’engagement et terrain d’expérimentation grandeur nature. Avec une conviction : on peut séduire sans surproduire, penser l’éphémère sans gâcher. Décryptage.


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Réutiliser, oui. Renoncer au spectaculaire ? Jamais.

À l’heure où les festivals rivalisent de visuels hypnotiques, de volumes monumentaux et de décors instagrammables – mais rarement conçues pour durer ou limiter leur empreinte carbone -, We Love Green affirme, à l’instar de quelques festivals pionniers, un choix plus radical : celui du design circulaire. La scénographie n’est pas seulement pensée pour être vue, mais aussi pour être juste, dans son empreinte environnementale, ses matériaux, sa durée de vie. Tous les décors sont conçus pour être montés et démontés facilement, transportés sans engins lourds, posés sans abîmer les sols. Fabriqués à partir d’éléments et supports issus de la récupération via des réseaux de recycleries, ils sont fabriqués pour durer quatre ans, avec une remise en beauté annuelle et des ajustements ponctuels.

We Love Green affirme, à l’instar de quelques festivals pionniers, un choix plus radical : celui du design circulaire.
We Love Green affirme, à l’instar de quelques festivals pionniers, un choix plus radical : celui du design circulaire. Mahdi Aridj

Mais sobriété ne signifie pas pour autant fadeur. Chaque scène incarne une esthétique joyeuse pensée en dialogue avec les enjeux de durabilité. La scène du Think Tank, dédié aux conférences, a été confiée à la designer Tamaya Sapey-Triomphe qui s’est inspirée de l’expression « réservoir d’idées » pour imaginer des éléments qui communiquent et s’inspirent entre eux.

Pour la scène Lalaland, le studio belge Erased signe une espèce de serre futuriste avec brumisateurs et grandes jardinières recouvertes de miroirs dans lesquelles poussent des plants de CBD qui font écho à l’industrialisation extrême de notre alimentation. Quant à la Canopée, signée par le studio portugais Rhetorica, ses formes modulaires, végétales et légères s’inscrivent dans cette logique d’une esthétique évocatrice mais régénérative, dans le sillage de festivals indépendants qui fusionnent art, architecture et musique tels que Boom au Portugal (Idanha-a-Nova) ou Horst en Belgique (Vilvorde), deux modèles assumés.

Pour la scène Lalaland, le studio belge Erased signe une espèce de serre futuriste avec brumisateurs et grandes jardinières recouvertes de miroirs dans lesquelles poussent des plants de CBD.
Pour la scène Lalaland, le studio belge Erased signe une espèce de serre futuriste avec brumisateurs et grandes jardinières recouvertes de miroirs dans lesquelles poussent des plants de CBD. Maxime Chermat

Enfin, on retrouve les drapeaux d’Angus Watt, la signature visuelle du festival depuis 7 ans, qui ont été sourcés au festival de Glastonbury. « On sélectionne avec lui les couleurs et les emplacements en fonction du décor et de la direction artistique de l’affiche, qui cette année représente une planète idéale, avec beaucoup de possibles, des graines qui poussent dans toutes les directions », précise Chloé Morel, chargée de la production scénographie.

Un laboratoire pédagogique grandeur nature

Depuis trois ans, We Love Green structure sa démarche scénographique autour de deux axes : un partenariat pédagogique avec les Beaux-Arts de Paris et l’École des Arts Décoratifs, et un appel à projets destiné à la jeune création indépendante. Côté écoles, le programme est désormais pleinement intégré au cursus de l’EnsAD. Dès septembre, la classe scénographie-architecture travaille sur des installations à l’échelle 1, à partir d’un cahier des charges mêlant contraintes esthétiques et techniques : montage rapide, stabilité, résistance aux intempéries, sobriété des moyens.

Les drapeaux d’Angus Watt, la signature visuelle du festival depuis 7 ans.
Les drapeaux d’Angus Watt, la signature visuelle du festival depuis 7 ans. Maxime Chermat

Pour l’édition 2025, deux projets ont été retenus dont une arche monumentale (ne gâchons pas la surprise aux futurs festivaliers!). Le tout est encadré par une équipe pédagogique qui inclut pour la première fois un architecte et ingénieur qui assure le lien avec un bureau d’études et les contraintes de terrain.  Ce dialogue entre l’école et le festival est un vrai apport pour les étudiants, à la fois formateur et professionnalisant. Même les projets non retenus sont valorisés dans le pavillon de la création artistique, qui expose toutes les maquettes.

En parallèle, l’appel à projets professionnel, qui a reçu cette année 80 candidatures, donne lieu à des œuvres plus libres mais tout aussi engagées. Pour cette édition, l’installation suspendue et modulaire Nuage Rouge de Nicolas Paolozzi a été sélectionnée, soit un refuge sensoriel flottant à l’empreinte carbone minimale. Le parcours d’art en plein air s’enrichit également d’autres formats : fresques, oeuvres de Félix Taburet et Salomé Dahéron, deux diplômés des Beaux-Arts repérés lors de l’exposition de septembre, mobilier ou encore ateliers en lien avec la Philharmonie de Paris et le Centre Pompidou.

Créer sans trahir ses convictions

We Love Green n’a ni les moyens ni l’envie de rivaliser avec les budgets pharaoniques de Coachella ou Tomorrowland. Subventionné notamment par le ministère de la Culture, le festival a vu plusieurs de ses lignes budgétaires sévèrement réduites ces dernières années, en particulier celle dédiée à l’art et à la scénographie, passée de 40 000 à 20 000 euros.

Quant à la Canopée, signée par le studio portugais Rhetorica, ses formes modulaires, végétales et légères s’inscrivent dans cette logique d’une esthétique évocatrice mais régénérative.
Quant à la Canopée, signée par le studio portugais Rhetorica, ses formes modulaires, végétales et légères s’inscrivent dans cette logique d’une esthétique évocatrice mais régénérative. Inès Ziouane

« Nous n’avons pas voulu lâcher l’affaire », confie l’équipe artistique, déterminée à maintenir un niveau d’exigence malgré les contraintes. Si l’œuvre signature a été mise en pause faute de moyens, l’ambition d’étoffer le parcours art & scénographie reste intacte. Dans cette logique de résilience, la contrainte devient moteur de création. « Le matériau qu’on trouve dans la rue peut devenir le point de départ d’une œuvre », rappelle Marie Sabot, fondatrice du festival. Derrière chaque scène, chaque installation, se joue une équation subtile : comment concilier impact visuel et sobriété environnementale ? Comment sensibiliser sans brider ? Comment rester séduisant sans tomber dans le cynisme ?

Le festival défend un modèle fondé sur l’intelligence collective, le réemploi, l’éco-conception et le temps long. Pour poursuivre cette trajectoire, l’équipe intensifie sa recherche de mécénat et de nouveaux partenaires afin de continuer à innover sans renoncer à ses convictions.


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