À l’occasion de sa réouverture au public après plus de dix ans de rénovation, la salle Ovale du site Richelieu de la Bibliothèque nationale de France accueille 150 exemplaires d’Orria, une chaise conçue pour elle. Un modèle né de l’heureuse collaboration du designer Patrick Jouin avec l’Atelier de recherche et de création du Mobilier national, et l’éditeur basque Alki.
Véritable joyau de la Bibliothèque nationale de France (BnF), le site Richelieu, inscrit au titre des monuments historiques, a rouvert ses portes. « La restauration était largement engagée lors de mon arrivée, se souvient Laurence Engel, présidente de la BnF depuis 2016, mais j’ai constaté que cette salle de lecture n’avait pas de chaise historique. »
Une gageure pour cette typologie de lieu « qui se nourrit d’objets iconiques à l’image de la chaise BnF (signée Gaëlle Lauriot-Prévost, NDLR) pour le site François-Mitterrand. Dans cette enceinte destinée au grand public, il manquait d’une assise qui ne soit pas commune, qui lui soit intimement liée. »C’est ici que le designer Patrick Jouin intervient. Reconnu pour son travail dans les espaces privés comme publics, il est ravi d’être sollicité afin de « dessiner pour tous ». Mais « une chaise de collectivité empilable en bois ? Ça n’existe pas ! » s’exclame-t-il d’abord. Pas encore, aurait-il pu ajouter.
Orria toune la page
Conçue par ses soins, « prototypée » par le fameux Atelier de recherche et de création (ARC) du Mobilier national, et lancée par Alki, maison d’édition et coopérative établie au Pays basque, Orria tourne ainsi une nouvelle page à la fois dans la typologie de la chaise de collectivité et pour la vénérable salle Ovale. De fait, orria signifie « page » en basque. L’objectif initial consistait à reprendre les codes des tables Recoura – du nom d’Alfred Recoura (1864-1940), architecte qui a officié à l’édification de la salle Ovale – en bois massif et en linoléum, et qui meublent la fameuse salle de lecture.
Mais le designer français avait aussi autre chose en tête : « Se sentir comme suspendu dans le temps, évoquer une légèreté que personne ne doit pouvoir perturber. Je ne voulais absolument pas que, lorsque quelqu’un se lève, le sol se mette à trembler dans un bruit d’enfer. » Un esprit aérien qui aurait pu très mal s’accorder avec le chêne. « Le choix de cette essence a pourtant constitué une évidence. C’est un bois incroyable, un peu retors à travailler, car il a du vécu – il met du temps à pousser et il y a en lui des tempêtes, des sécheresses et beaucoup d’énergie. Mais nous l’avons manipulé avec finesse, grâce à de nouvelles techniques. »
Outre les usagers de la bibliothèque, les agents d’entretien ont aussi été pris en considération dans la conception d’Orria. « Il faut imaginer ce geste quotidien, celui de saisir cet objet. Notre chaise est légère ; je la prends, je la pose sur ses accoudoirs sur le plateau habillé de lino. Deux détails en cuir ont été collés sous les bras pour ne rien abîmer. » Le genre de contraintes dont Patrick Jouin raffole : « Cela nous permet de trouver une astuce et, en fin de compte, de créer quelque chose de totalement évident et naturel. »
Quant aux pièces de cuir, elles agissent comme une évocation manifeste de celles en lino qui recouvrent et protègent les grands bureaux. Ce trait d’union appelle d’ailleurs un questionnement : comment se positionner dans le cadre d’un concours de design contemporain dans un lieu si chargé d’histoire ? « Le principal, c’est l’ambiance, l’ensemble. Je souhaitais que l’on ne puisse presque pas voir ces assises ; elles sont discrètes, mais elles disent quelque chose de notre époque. »
À l’image d’une structure d’assemblage 100 % en bois malgré un dossier cintré, de lignes tout en continuité, sans arêtes, et d’une tapisserie cossue en cuir épais. « Ces caractéristiques sont aujourd’hui peu courantes et font de la chaise Orria un objet unique et noble », précise-t-on chez Alki.
Le retour de la commande publique
« Ce beau scénario n’aurait pas été possible sans l’aide de nos amis industriels, souligne Hervé Lemoine, le directeur du Mobilier national. Pour nous, c’est une façon de renouer avec une histoire assez ancienne, celle des grandes commandes publiques. Notre démarche correspond aussi au souhait de sortir de l’impasse qu’est la pièce unique. Certes, une pièce exceptionnelle est le fruit d’une recherche, d’une réflexion et d’un dialogue, mais une fois réalisée, elle vient orner les rayonnages de nos réserves. Il faut toujours penser à l’édition en série, car elle fait vivre les objets », insiste-t-il.
Avant de conclure : « Dans les années 70 et 80, la très belle utopie du design pour tous a échoué parce que les industriels “n’y ont pas cru”. C’est donc une véritable fierté que d’avoir attribué ce marché public à un fabricant français de grande qualité. Nous essayons de réaliser ce que nos prédécesseurs n’ont pas réussi à faire. » Une ambition qui a ainsi vocation à sortir des murs feutrés de la BnF.