Open Architecture, le duo qui redessine l’espace culturel chinois

Installés à Pékin depuis une douzaine d’années, Li Hu et Huang Wenjing, fondateurs de l’agence Open Architecture, tirent profit de leur expérience en Occident et en Asie pour développer des solutions architecturales dont la dimension poétique rime avec universalité et responsabilité.

En dépit de la taille ou de l’échelle des projets, les propositions architecturales de l’agence Open Architecture témoignent d’une certaine modestie des formes qui tranche avec ce que l’on a pu voir sortir de terre, en Chine, ces dernières années. Non pas que les bâtiments souffrent d’un manque d’identité ou de singularité, mais plutôt parce qu’ils ne se soucient pas d’afficher immédiatement leurs auteurs. Aussi étrange que cela puisse paraître, cette définition par la négative ne serait pas pour déplaire à Huang Wenjing et Li Hu.

Un duo prolifique

Pas de signature visuelle donc, et encore moins de volonté d’ériger des « landmarks » (emblèmes) dans le paysage urbanistique. Le processus qui conduit à la définition des formes est avant tout le fruit d’une réflexion sur le site, son potentiel et son économie, mais surtout sur les usages à mettre en œuvre. Couple à la ville comme au bureau, le duo à l’origine de l’agence Open Architecture s’est rencontré lors de ses études à l’université de Tsinghua, à Pékin. Très vite, tous deux ont ressenti le besoin de compléter leur formation par un post-diplôme aux États-Unis, mais surtout par l’envie d’aller voir comment l’architecture se pratiquait ailleurs. « Au début des années 90, la situation de l’architecture en Chine était très différente de ce qu’elle est aujourd’hui, pour ne pas dire pas excitante du tout avec ces programmes de bâtiments très normés. Cependant, nous avons dû faire preuve d’une grande motivation pour décrocher une bourse afin d’obtenir le visa nous permettant d’entrer dans une faculté américaine », expliquent les architectes.

A gauche : Huang Wenjing et Li Hu A droite : Piste de course du campus et école primaire conçues par les deux architectes.
A gauche : Huang Wenjing et Li Hu A droite : Piste de course du campus et école primaire conçues par les deux architectes. DR

Ce sera Princeton, dans le New Jersey, pour elle, et la Rice University, à Houston, pour lui. Finalement, le séjour va durer une douzaine d’années ! Période pendant laquelle ils vont intégrer des agences prestigieuses où mettre pleinement à profit leurs compétences et acquérir une sérieuse expertise : Pei Cobb Freed and Partners pour Huang Wenjing, qui va notamment gérer l’extension du siège de l’OCDE à Paris, et Steven Holl pour Li Hu, qui deviendra associée de l’agence de ce dernier en 2005 et assurera l’implantation de son antenne pékinoise. « Les projets que j’ai dû suivre en Asie et en Chine pour Steven Holl, avant même l’ouverture du bureau, m’ont permis de voir l’évolution de la scène architecturale et l’emploi, que je ne juge pas forcément à bon escient, de l’architecture comme faire-valoir des promoteurs immobiliers », souligne Li Hu. Malgré ce regard parfois critique, mais conscient du potentiel de développement et des enjeux qui se dessinent pour la pratique de l’architecture en Chine, le couple décide, en 2008, de revenir s’installer à Pékin pour fonder sa propre agence. 

Remettre en question les idées reçues

Le choix du nom Open traduit parfaitement cette volonté d’ouverture des projets, mais plus encore celle d’échapper à tout schéma préétabli qui figerait les propositions. « Notre parcours en Occident et en Asie nous a démontré qu’au-delà des différences culturelles, les envies et les besoins des personnes sont similaires : donner une éducation à ses enfants, respecter son environnement, mieux vivre ensemble, s’assurer une certaine prospérité… » Aussi, Li et Huang s’intéressent le plus souvent aux commandes qui leur permettent de rechercher, de découvrir, d’apprendre, d’inventer et d’innover. Tous les deux sont attirés par les problèmes complexes et les nouveaux défis. Que ce soit par le biais d’un design novateur ou d’un engagement réfléchi, leurs propositions réexaminent les idées reçues, ainsi que leurs propres hypothèses. L’agence se fait notamment remarquer en 2014 par la réhabilitation d’un ancien site de stockage d’essence dans un aéroport désaffecté, à la périphérie de Shanghai.

A gauche : Intérieur du campus de l’école international Quingpu Pinghe, à Shanghai. A droite : Salle qui se trouve dans la bibliothèque du Pinghe Bibliotheater à Shanghai.
A gauche : Intérieur du campus de l’école international Quingpu Pinghe, à Shanghai. A droite : Salle qui se trouve dans la bibliothèque du Pinghe Bibliotheater à Shanghai. Wu Quingshan / Jonathan Leijonhufvud

Plutôt que d’être démantelées, les cuves sont gardées intactes et recyclées en galeries, restaurants, cafés tandis que le lieu devient un parc où le public est invité à déambuler. « En Chine, dans la gestion des projets culturels, il n’y a pas vraiment de distinction entre public et privé. De même, il existe une dynamique énorme pour tenter de se remettre à un niveau international, ce qui a surtout provoqué l’apparition de musées et de théâtres. Pour autant, il faut être vigilant afin que ces équipements ne deviennent pas très vite des bâtiments fantômes », précisent-ils.

La Chapel of Sound est située à Chengde, dans une vallée au nord de Pékin.
La Chapel of Sound est située à Chengde, dans une vallée au nord de Pékin. DR

Le projet Chapel of Sound, que l’agence vient de livrer à deux heures de route de Pékin, s’inscrit dans cet élan culturel valorisant. Cet auditorium ouvert au public a été financé par des fonds privés, comme désormais 95 % des projets culturels en Chine. « Bien qu’étant situé dans l’immédiate proximité de la Grande Muraille, cet ouvrage est implanté dans une zone qui a subi un énorme exode rural. Aujourd’hui, la population qui est restée là est relativement pauvre et le périmètre manque terriblement de structures d’accueil (hôtels, restaurants, centres culturels) pour attirer les visiteurs, et donc générer une économie », expliquent Li et Huang. 

La Chapel Of Sound, un auditorium minéral et ouvert, perdu dans une vallée désertée à deux heures de route de Pékin.
La Chapel Of Sound, un auditorium minéral et ouvert, perdu dans une vallée désertée à deux heures de route de Pékin. © JONATHAN LEIJONHUFVUD

Radicalisme et fondamentaux

Cette réalisation est en fait la première étape d’un projet de requalification du territoire dont les caractéristiques naturelles ont été un élément de réflexion fort. Ainsi, son aspect évasé évoque celui d’une énorme roche qui se serait détachée des collines environnantes. Pouvant recevoir jusqu’à 150 personnes, le complexe semble avoir été creusé de l’intérieur afin d’ouvrir des points de vue sur l’extérieur. Ouvrir est le terme juste, car il n’existe pas de fenêtres, ni réellement de toit, et donc ni système de chauffage ni climatisation : « Encore une fois, il ne s’agissait pas de poser une forme gratuite ou hétérogène dans le paysage par pur souci d’ériger un marqueur », insiste le couple.

Si le matériau de construction choisi s’avère du béton, c’est avant tout pour sa qualité durable et sa facilité de mise en forme dans un tel endroit. Il a été pigmenté dans la même teinte que la pierre locale et le bâtiment, conçu selon un principe de coffrage superposé relativement rudimentaire. « Les couches successives qui en résultent déterminent la forme de l’enveloppe en même temps qu’elles dialoguent parfaitement avec la caractéristique structurelle de la roche. De surcroît, elles favorisent grandement l’acoustique. »

Une terrasse de l’UCCA Dune Art Museum à Quinhuangdao.
Une terrasse de l’UCCA Dune Art Museum à Quinhuangdao. Wu Quingshan

Outre l’espace intérieur, l’architecture propose également une scène extérieure idéale pour les concerts de musique amplifiée. Et si cet usage initial est prévu pour les beaux jours, le couple ne s’interdit pas de penser que des concerts puissent être organisés sous la pluie, voire la neige : « C’est aussi un lieu pour rentrer en communion avec la nature. Alors, pourquoi ne pas tirer parti du bruit de l’eau tombant dans l’auditorium ? » Huang Wenjing et Li Hu croient en cette charge poétique – et radicale – qui permet de faire communier l’architecture et la nature. Ils ont à ce titre déjà éprouvé cette tentative en réalisant, en 2020, une annexe du musée d’Art contemporain UCCA, à Pékin, sur les rivages de la baie de Bohai : le Dune Art Museum.

Sur une baie de Bohai, dans le nord de la Chine, ce musée semble sculpté dans d’immenses dunes, dans lesquelles il disparaît littéralement.
Sur une baie de Bohai, dans le nord de la Chine, ce musée semble sculpté dans d’immenses dunes, dans lesquelles il disparaît littéralement. Wu Quingshan

Ici, l’architecture disparaît sous les dunes de la plage. Seules quelques ouvertures éparses laissent envisager l’activité qui s’y trame. Détail intéressant, le commanditaire de ce programme est le même que celui investi dans Chapel of Sound : « La création artistique est essentielle pour emmener les gens en dehors de leur zone de confort. Et notamment à travers des démarches parfois radicales, de les ramener au contact de fondamentaux comme vivre en harmonie avec la nature. Dans le même temps, ne nous coupons pas des réalités. Si les réseaux sociaux peuvent aider à communiquer sur un projet intelligent, mais plus encore à relancer l’économie d’une région, d’un village… ce serait vraiment idiot de s’en passer. » 

> Découvrir les projets de Huang Wenjing et Li Hu sur openarch.com

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