Mexico, une métropole en pleine effervescence

Parmi les capitales d’Amérique latine, Mexico occupe une place éminente sur l’échiquier culturel international, grâce à sa faculté de conjuguer tradition et modernité. En l’espace de quelques années, cette métropole est aussi devenue une destination de premier ordre pour les amateurs de bonne chère, tant son offre de restauration s’est amplifiée et nourrie d’influences multiples. Si l’on y vient pour découvrir la « vraie » cuisine mexicaine, on s’y rend également pour déguster ses grands classiques revisités.

La direction du Guide Michelin l’a annoncé en octobre dernier : en 2024, il y aura une édition mexicaine du petit livre rouge recensant les meilleures tables de Mexico et de trois destinations touristiques du pays, Los Cabos, Oaxaca et Nuevo León. Cette communication arrive presque au même moment que la révélation de la parution d’un guide argentin (Buenos Aires et Mendoza) et d’un opus brésilien.


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Une flopée de découvertes culinaires

Amateurs de fruits de mer, les Mexicains viennent s’en régaler au restaurant Mi Compa Chava Marisquería.
Amateurs de fruits de mer, les Mexicains viennent s’en régaler au restaurant Mi Compa Chava Marisquería. Michel Figuet pour IDEAT

Doit on y voir la reconnaissance internationale de l’extraordinaire dynamique gastronomique de l’Amérique latine dont les acteurs ont su mettre au diapason actuel leurs traditions culinaires et les produits de leurs terroirs ?

Parmi les vingt-quatre pays de ce vaste continent qui compte plus d’un demi-milliard d’habitants, le Mexique joue sans conteste un rôle majeur dans la food culture et n’a d’ailleurs pas attendu le Guide Michelin pour le revendiquer. Déjà, en 2010, la cuisine mexicaine était inscrite par l’Unesco au patrimoine immatériel de l’humanité, attestant ainsi de sa longue histoire et de la richesse de ses produits et de ses techniques.

Dans le quartier de la Roma, la guest-house Casa Oliva occupe les murs d’une ancienne vecindad, ces résidences avec cour intérieure où des familles vivaient presque en communauté. Totalement rénovées, les habitations ont conservé leur typologie originale, notamment une cuisine comme celle d’un vrai pied-à-terre.
Dans le quartier de la Roma, la guest-house Casa Oliva occupe les murs d’une ancienne vecindad, ces résidences avec cour intérieure où des familles vivaient presque en communauté. Totalement rénovées, les habitations ont conservé leur typologie originale, notamment une cuisine comme celle d’un vrai pied-à-terre. Michel Figuet pour IDEAT

En 2015 et en 2016, les Latin America’s 50 Best Restaurants (extension régionale de The World’s 50 Best Restaurants) choisissaient Mexico pour y organiser la cérémonie dévoilant la liste des heureux élus. Et en 2023, la capitale compte trois établissements lauréats : Quintonil (neuvième), Pujol (treizième) et Rosetta (quarante-neuvième), dont, parallèlement, la cheffe Elena Reygadas a été élue en avril dernier meilleure cheffe du monde.

En l’espace d’une décennie, la métropole a en effet su af – cher une offre de restauration de premier plan comme peu de villes, excepté peut-être Lima et Copenhague, ont su le faire aussi vite. Si Mexico a toujours été une vitrine pour les différents terroirs du pays, y compris pour les produits de la pêche le long des 10 000 kilomètres de côtes (les Mexicains raffolent des fruits de mer), elle n’avait pas forcément cette ouverture sur les cuisines du monde.

L’établissement Quintonil, du chef Jorge Vallejo, fait partie des tables gastronomiques les plus prestigieuses. On y goûte une cuisine mexicaine sophistiquée qui puise néanmoins dans ses fondements, à l’image de ces tacos à garnir soi-même.
L’établissement Quintonil, du chef Jorge Vallejo, fait partie des tables gastronomiques les plus prestigieuses. On y goûte une cuisine mexicaine sophistiquée qui puise néanmoins dans ses fondements, à l’image de ces tacos à garnir soi-même. Michel Figuet pour IDEAT

Longtemps, la capitale a été considérée comme un lieu de transit, le temps de faire une excursion à Teotihuacan, une virée au Zócalo, place de la Constitution, ou au musée national d’Anthropologie, avant de rejoindre les sites balnéaires ou archéologiques. Bien sûr, les visiteurs se régalaient de tacos à bon prix dans une échoppe, mais sans réelle conscience de la tradition qu’ils véhiculaient.

Aujourd’hui, pléthore de restaurants aux cartes aussi variées que qualitatives attirent les foodies et digital nomads du monde entier. L’inscription à l’Unesco a sans doute été l’élément déclencheur d’une prise de conscience internationale, d’autant plus qu’elle est intervenue la même année que celle du repas gastronomique des Français. « Comment ? Placer au même niveau l’art culinaire français et la très populaire cuisine mexicaine ? » N’en déplaise à ceux qui ont limité leur expérience à un burrito ou à un chili con carne – purs produits de la culture américaine –, la cuisine mexicaine est le fruit d’une histoire séculaire.

La Roma fourmille de cafés et de restaurants ouverts sur la rue.
La Roma fourmille de cafés et de restaurants ouverts sur la rue. Michel Figuet pour IDEAT

Dès la civilisation olmèque (entre 1200 et 600 avant J.-C.), des produits comme le haricot rouge, le piment, mais surtout le maïs, sont les principaux ingrédients des recettes. Cette céréale va notamment être largement utilisée par les Mayas pour confectionner les fameuses galettes (tortillas) au travers de la nixtamalisation (procédé méso-américain de trempage et de cuisson des grains de maïs).

Les plats ancestraux à base d’avocat, de citron vert, de tomate et même de chocolat vont connaître l’influence espagnole (avec l’apport des laitages, du riz et de la viande de bétail) à partir du XVIe siècle et vont très vite s’hybrider, au gré des flux migratoires et au contact de recettes en provenance d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie. L’incontournable taco al pastor dont on peut se régaler dans toutes les bonnes taquerías de Mexico n’est ainsi pas très éloigné du chawarma des Libanais. Un chef en particulier a été le promoteur de la revalorisation des produits et des pratiques populaires. Formé à New York, Enrique Olvera est revenu à Mexico en 2000 pour ouvrir son premier restaurant, Pujol.

Sur le Paseo de la Reforma, aux abords du bois de Chapultepec, mélange des styles architecturaux (avec le building Reforma 412 à la structure décalée, conçu par Arditti+RDT Architects), à l’image de la gastronomie mexicaine contemporaine.
Sur le Paseo de la Reforma, aux abords du bois de Chapultepec, mélange des styles architecturaux (avec le building Reforma 412 à la structure décalée, conçu par Arditti+RDT Architects), à l’image de la gastronomie mexicaine contemporaine. Michel Figuet pour IDEAT

Soucieux de délivrer une cuisine précise apprise au Culinary Institute of America, il fait pourtant fausse route avant de se recentrer sur les fondamentaux de sa culture culinaire d’origine. Il se plonge alors dans l’étude des pratiques ancestrales et se met en quête des meilleurs produits pour faire perdurer ces savoir-faire et les ériger en plats d’exception. Son célèbre mole madre est un parfait exemple de ses expérimentations.

Le cuisinier s’est lancé voilà plus de huit ans dans la confection de sa fameuse sauce au chocolat et n’a jamais cessé depuis – en décembre 2023, sa préparation comptabilisait quelque 3 600 jours de cuisson continue – de la « nourrir » quotidiennement avec des produits de saison.

Au Mercado el 100, on vient chaque dimanche matin faire ses courses de produits bio, mais aussi prendre un desayuno (« petit déjeuner ») dans le cadre verdoyant du jardin Ramón López Velarde.
Au Mercado el 100, on vient chaque dimanche matin faire ses courses de produits bio, mais aussi prendre un desayuno (« petit déjeuner ») dans le cadre verdoyant du jardin Ramón López Velarde. Michel Figuet pour IDEAT

« Ce plat est à la fois très simple et très complexe. Surtout, il n’a pas droit à l’erreur d’un point de vue gustatif. Car s’il s’agit seulement d’une sauce servie avec une tortilla, sa cuisson perpétuelle révèle des saveurs inédites qui vont évoluer et sans cesse renouveler l’expérience de la dégustation », souligne dans un français parfait la directrice des relations publiques Patricia Guerrero, qui officie au côté du chef.

D’une certaine manière, Enrique Olvera a réussi à casser l’image d’une cuisine mexicaine essentiellement centrée sur celle de la rue. Ou plus exactement, il est parvenu à transformer des recettes populaires en véritables plats gastronomiques en même temps qu’il a ouvert la voie à d’autres cuisiniers comme Jorge Vallejo (Quintonil) ou, plus récemment, le couple Montero-Mejía (Siembra Comedor).

À Mexico, le mélange des genres va bon train

Une façade colorée typique de l’architecture résidentielle qui s’est développée au début du XXe siècle dans le quartier de la Roma.
Une façade colorée typique de l’architecture résidentielle qui s’est développée au début du XXe siècle dans le quartier de la Roma. Michel Figuet pour IDEAT

Si ces derniers ont choisi pour s’installer les beaux quartiers de Polanco, beaucoup ont opté pour celui plus historique de la Roma. Longtemps resté dans l’ombre de celui de la Condesa, qui a focalisé toutes les attentions dans les années 2000 avec ses adresses nocturnes, il offre un cadre plus authentique, plus apaisé, avec ses rues et ses places ombragées, ses bâtiments Art déco, ses boutiques et ses petites galeries d’art.

On ne compte plus le nombre de lieux où l’on voit parfois de longues files d’attente : Máximo, d’Eduardo García ; Rosetta et Panadería Rosetta, d’Elena Reygadas; EM et Martínez, de Lucho Martínez… Le mélange des genres va bon train.

« On voit aujourd’hui clairement se dégager une tendance très forte pour le bistrot dont les cartes proposent un mix de saveurs européennes et des vins bio, voire nature… Mais à la différence peut-être des “grands noms” qui résonnent à l’international, les jeunes tables (Cana, Pascal, Erre…) sont avant tout destinées à satisfaire un public local à la recherche d’autres saveurs que celles du Mexique », explique la critique culinaire Liliana Lopez.

Le quartier de la Roma, à Mexico, abrite encore des ateliers d’artisans toujours en activité.
Le quartier de la Roma, à Mexico, abrite encore des ateliers d’artisans toujours en activité. Michel Figuet pour IDEAT

Outre la formidable qualité de la cuisine qui y est servie, ces endroits ont souvent en commun d’afficher un design très contemporain, voire radical, comme le montre Expendio de Maíz, conçu par l’architecte Ludwig Godefroy (voir notre hors-série architecture #26, p. 198). Et très souvent, les tables n’hésitent pas à déborder sur l’espace urbain, soit sous la forme de larges terrasses, soit en s’épargnant une paroi en devanture.

On peut y voir une sorte d’extrapolation de la cuisine de rue, même s’il faut bien admettre que le climat de la ville, très clément une bonne partie de l’année, se prête volontiers à des agapes en extérieur. Aujourd’hui, devant la montée en puissance de la Roma, le mouvement gagne Juárez, au nord de l’avenue Chapultepec.

Ce quartier est d’abord devenu un territoire privilégié pour les enseignes de créateurs de mode, telles Carla Fernández ou Fábrica Social. Alors forcément, les « cantines » qui vont de pair avec le shopping y ont trouvé leur intérêt et proposent des cartes hybrides, comme en témoignent Masala y Maíz, qui mixe saveurs orientales, Cicatriz et son esprit californien, ou Havre 77, prompt à livrer une version encore plus française de la cuisine d’Eduardo García (le chef du Máximo).

Sur le toit-terrasse de sa boutique à Mexico, la créatrice de mode Carla Fernández se consacre à la préservation et à la revitalisation de l’héritage textile des communautés indigènes et métisses du Mexique. Très attachée aux savoir-faire manuels, sa marque prouve que la mode éthique peut être innovante, avantgardiste et progressiste.
Sur le toit-terrasse de sa boutique à Mexico, la créatrice de mode Carla Fernández se consacre à la préservation et à la revitalisation de l’héritage textile des communautés indigènes et métisses du Mexique. Très attachée aux savoir-faire manuels, sa marque prouve que la mode éthique peut être innovante, avantgardiste et progressiste. Michel Figuet pour IDEAT

Le souci du « bon » produit est aussi de mise, avec des approvisionnements auprès de producteurs aux pratiques durables, installés, par exemple, à Milpa Alta (2400 mètres d’altitude), dans le sud-est de la ville, ou plus proche du centre, dans les jardins flottants du quartier de Xochimilco.

Présent dans tous les guides, ce dernier abrite l’association Arca Tierra qui fait vivre la tradition potagère des chinampas, des surfaces cultivables créées du temps de l’empire aztèque sur des îlots fertiles du lac de la capitale Tenochtitlán, ancêtre de Mexico. Pour ceux qui n’ont pas le loisir de se rendre jusque-là, un marché de petits producteurs, Mercado el 100, s’installe le dimanche dans le jardin Ramón López Velarde.

Dans le quartier de Juárez, à Mexico, les boutiques de mode – pour l’essentiel des créateurs indépendants – occupent les appartements d’immeubles bourgeois du début du XXe.
Dans le quartier de Juárez, à Mexico, les boutiques de mode – pour l’essentiel des créateurs indépendants – occupent les appartements d’immeubles bourgeois du début du XXe. Michel Figuet pour IDEAT

Force est de constater que l’attractivité gastronomique de Mexico est aujourd’hui un vecteur culturel à part entière et qui, outre l’offre pléthorique de tables, connaît la mise en place d’événements, de résidences de chefs et même de food tours organisés par des agences.

La cuisine mexicaine a surtout profité d’une relecture de ses racines. Un phénomène identique à celui opéré par l’art et par l’architecture depuis plusieurs décennies afin de retrouver l’essence même de leur identité.


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