Pourquoi avez-vous choisi de parler des ratés du design ?
Sylvie Sauvignet : Parce que c’est un sujet tabou en France, contrairement aux pays anglo-saxons où l’échec est valorisé. Dans la Silicon Valley, les startupers ont complètement intégré l’échec dans le processus de création d’une entreprise.
Comment le parcours de l’exposition est-il conçu ?
Nous avons constitué trois pôles d’objets : « Les Improbables » de Samuel West, « Les Introuvables » de Jacques Carelman et « Les Inconfortables » de Katerina Kamprani.
Qui est Samuel West ?
C’est un personnage assez drôle, collectionneur atypique et titulaire d’un doctorat en psychologie organisationnelle. Il a fondé en Suède le célèbre Museum of Failure, qui réunit les plus grands échecs commerciaux du XXe siècle en termes de design. Nous avons sélectionné 40 de ces objets, que nous nous sommes amusés à classer par type d’échec.
Des flops du design
Parmi ces Improbables, quels sont les objets ratés les plus marquants ?
L’un des plus beaux exemples est la Hot Bertaa de Philippe Starck, célèbre bouilloire éditée par la maison Alessi, dont le manche vous brûle car c’est par là que s’évapore la chaleur ! On trouve aussi une maquette de la voiture DeLorean, connue grâce au film Retour vers le futur. Cette voiture de sport évoquait la vitesse par ses formes, mais en réalité c’était un escargot ! D’autres objets sont des flops car ils font fi des principes moraux, comme la poupée No name (1965) qui fait la manche vêtue de haillons, ou Skipper, la petite sœur de Barbie dont les seins et les jambes poussent quand on tourne son bras.
Les objets Introuvables dessinés par Jacques Carelman sont irrésistibles…
Ce descendant des Surréalistes a créé un catalogue qui pastiche avec humour celui de Manufrance. En détournant de leur usage courant des objets usuels, il en fait des flops assurés. Ça va de la paire de pantoufles de ménage équipées d’un balai et d’une pelle, à la table de ping-pong ondulée, en passant par la fourchette à spaghettis dotée d’une manivelle. Carelman anticipe des besoins que nous n’avons pas en poussant l’objet jusqu’à l’absurdité !
« L’échec est une vue de l’esprit »
En quoi consistent les objets Inconfortables de Katerina Kamprani ?
Sylvie Sauvignet : Cette architecte grecque, qui n’a pas réussi à devenir designer, a rebondi en créant des objets inutiles, poétiques et surréalistes, qui ont pour point commun d’être inconfortables. Elle imagine des flûtes à champagne jumelles, une fourchette dont le manche est souple, un arrosoir avec un bec verseur replié, ou enlève le bout des bottes de pluie en caoutchouc… Au-delà de l’humour, c’est une affaire sérieuse de parler de ces objets qui ne fonctionnent pas, parce qu’on a l’habitude de prendre leur forme pour acquise.
Quel message souhaitez-vous faire passer avec cette exposition ?
Que l’échec est une vue de l’esprit. Qu’il est universel et inévitable, mais qu’il est aussi relatif et source d’apprentissage. Bien souvent, les success stories sont précédées d’un échec et c’est en l’acceptant que l’on arrive à des projets innovants réussis.
> Exposition « Flops ! Quand le design s’emmêle… » à la Cité du design jusqu’au 29 août 2021. 3, rue Javelin-Pagnon, 42000 Saint-Etienne. citedudeign.com