Les designers au service de l’enfance au Centre Pompidou

Jusqu'au 12 août 2024, le Centre Pompidou rend hommage à un mobilier pendant longtemps négligé : celui destiné aux plus petits. Des bancs d'école au mobilier ludique et modulaire, l'exposition « L’enfance du design, un siècle de mobilier pour enfant » retrace l'évolution passionnante d'une création à haute valeur ajoutée.

Lorsque l’on devient parent, l’aménagement d’un espace confortable, adapté aux besoins de son cher bambin, est indispensable. Bonus si celui-ci est aussi agréable à regarder que pratique à utiliser.  L’exposition « L’enfance du design, un siècle de mobilier pour enfant », jusqu’au 12 août au Centre Pompidou, dont le parcours à la fois chronologique et thématique a été imaginé par les commissaires Marie-Ange Brayer et Céline Saraiva, plonge le visiteur dans l’histoire, méconnue, du mobilier pour enfants à travers 130 œuvres. Immersion au cœur de l’univers du beau et ludique pour mini pouces.


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La créativité au fil de l’histoire

Le saviez-vous ? Si nombre de marques et designers ont aujourd’hui investi le champ de l’enfance pour répondre à cette demande, avant le début du XX ème siècle, les petites têtes blondes n’avaient pas droit à leur chambre dédiée. Détail surprenant de la vie quotidienne que nous découvrons au début de l’exposition « L’enfance du design, un siècle de mobilier pour enfant », jusqu’au 12 août au Centre Pompidou. Au premier étage, le regard est attiré par « ces petits espaces » cloisonnés, richement illustrés, qui récréent les intérieurs de différentes périodes avec pour point de départ «l’invention de la chambre d’enfant».

Jacques Hitier, Chaise « MCA 300 », 1949. Tube métal, chêne contreplaqué. Table « MCA 321 ». Tube métal, chêne contreplaqué. © Fondation Jacques Hitier. Crédit photo : Philippe Migeat – Centre Pompidou, MNAM-CCI/Dist. RMN-GP
Jacques Hitier, Chaise « MCA 300 », 1949. Tube métal, chêne contreplaqué. Table « MCA 321 ». Tube métal, chêne contreplaqué. © Fondation Jacques Hitier. Crédit photo : Philippe Migeat – Centre Pompidou, MNAM-CCI/Dist. RMN-GP

«Les théories éducatives déjà présentes à la fin du XIXe siècle, portées en Allemagne par Friedrich Fröbel, en Italie par Maria Montessori et en France par Célestin Freinet, se diffusent et influencent la modernité naissante de cette idée de progrès social, où on accorde effectivement une place plus importante à l’enfant qu’auparavant, explique Marie-Ange Brayer, la commissaire. Ces théories de l’apprentissage et de l’éducation s’incarnent dans l’espace domestique à travers la chambre d’enfant.» Ansi, Pierre Chareau surprend le public au Salon des artistes décorateurs en 1923 en présentant son « coin pour enfant » composé notamment d’une « table à jouets », meuble astucieux sur lequel des tiroirs-corbeilles en filet sont fixés aux extrémités pour ranger cubes et autres poupées.

Au fil de l’exposition, les réflexions des visiteurs fusent : « C’était déjà bien pensé, ça n’a pas tellement évolué, c’est totalement à la mode de nos jours… » Sous nos yeux, les pièces mises en scène n’ont, pour la plupart, quasiment pas vieilli. En témoignent l’ensemble MC 300, composé d’une chaise et d’un bureau en métal tubulaire produit en 1949 par Jacques Hitier pour Mullca, spécialiste du mobilier scolaire, ou encore la chaise Peter de Hans J.Wegner, cadeau offert en 1944 au fils de son confrère et ami Borge Mogensen, prénommé Peter. Constituée de quatre pièces, l’assise se présente comme un jeu et ne nécessite aucun outil pour l’assemblage.

Tous ces objets font écho à un contexte historique jalonné par deux guerres mondiales. Les architectes et designers ont d’abord répondu à la massification de la scolarisation au début du XXe siècle avant de repartir d’une page blanche : «Après la seconde guerre mondiale, on assiste à une première vague de démocratisation du design. Puisqu’il fallait tout reconstruire et remeubler, plusieurs designers ont été chargés de concevoir de nouveaux ensembles et équipement», argumente Marie-Ange Brayer. Des créateurs français à l’instar de René Gabriel, Marcel Gascoin ou Jacques Hitier vont ainsi imaginer du mobilier en utilisant des matériaux émergeants, tel que le métal tubulaire, produit en série pour le programme de la reconstruction.

Vue de l’exposition « L’enfance du design, un siècle de mobilier pour enfant ». © Centre Pompidou. Janeth Rodriguez-Garcia
Vue de l’exposition « L’enfance du design, un siècle de mobilier pour enfant ». © Centre Pompidou. Janeth Rodriguez-Garcia

Le jeu comme fondement

La notion de jeu est indissociable de l’histoire du mobilier pour enfant. Les designers l’ont très tôt intégré à leur création pour que l’objet dépasse le spectre de la simple fonctionnalité. Les trente glorieuses marquent un tournant : les enfants deviennent l’emblème du progrès, du futur. De plus en plus multifonctionnel, transformable et évolutif, les meubles sont conçus pour qu’ils se les approprient : « Étudier le comportement de l’enfant et s’axer sur la dimension d’expérience avec l’objet, voici ce que les années 60 ont apporté, permettant ainsi de repenser totalement le mobilier pour enfant », précise la commissaire de l’exposition.

À travers la série Trissen, encore culte aujourd’hui au Danemark, Nana Ditzel invente en 1962 un nouvel objet dont la forme de bobine permet différents usages : s’asseoir dessus, le faire rouler ou encore l’empiler. Les sixties sont aussi les années pop où l’essor des matières plastiques ouvre la voie à un mobilier flexible et léger de couleurs vives, primaires, régressives.

Les designers contemporains sont quant à eux mis à l’honneur en fin de parcours. L’éditeur italien Magis fait appel en 2004 aux plus grands designers, Enzo Mari, Eero Aarnio, Marcel Wanders, Javier Mariscal, Philippe Starck, entre autres, afin de produire en grande série du mobilier et des accessoires pour les petits : «Pour réaliser la collection Me too, basée sur l’idée du bestiaire, de l’animal comme compagnon de jeu, Javier Mariscal met au point pour Magis le chien Julian le retravaillant pour en faire une assise qui deviendra emblématique», souligne la commissaire. Le créateur catalan excelle à renouer avec l’imaginaire de l’enfant dans ses créations.

Marc Berthier, « Twenty tube » (Ensemble), 1973. Acier tubulaire laqué jaune, toile de coton. © Droits réservés. Crédit photo : Audrey Laurans – Centre Pompidou, MNAM-CCI/Dist. RMN-GP
Marc Berthier, « Twenty tube » (Ensemble), 1973. Acier tubulaire laqué jaune, toile de coton. © Droits réservés. Crédit photo : Audrey Laurans – Centre Pompidou, MNAM-CCI/Dist. RMN-GP

Au XXI ème siècle, des designers engagés pour l’enfance

Certaines personnalités livrent une approche plus sociale et globale du design pour enfants. Parmi eux, Matali Crasset avec qui nous avons eu la chance d’échanger : « J’aime bien créer des espaces pour les enfants parce que c’est à cette période-là qu’on peut faire passer des messages assez forts, notamment celui de la générosité via des structures particulières. Mais aussi pour leur dire que nous créons les structures et le monde qui est autour de nous, nous pouvons donc agir dessus », confie la designeuse. Cet engagement se concrétise à travers de nombreuses réalisations, notamment à Trébedan, en terre bretonne, où la designer a dessiné l’architecture et le mobilier de l’école du village baptisée Le blé en herbe.

Initié dans le cadre du programme « les nouveaux commanditaires » de la Fondation de France, ce projet de longue haleine n’aurait pu voir le jour sans la participation des habitants et des enseignants, une démarche collaborative que Matali Crasset a retranscrit dans ce lieu : « La façon de concevoir des écoles consiste à privilégier des fenêtres en partie haute pour garder l’attention des enfants. Au contraire, j’ai tout ouvert parce que je pense que le village représente leur plateforme de développement. D’ailleurs dans cette école, ils sortent énormément : le vivant leur permet de comprendre le monde. C’était important pour moi d’ouvrir l’école sur le village. »

Dans les classes, tous les éléments ont été pensés pour que les enfants s’approprient l’espace et laissent place à leur créativité : les meubles sont reconfigurables et multifonctionnel, s’adaptant à l’âge et aux activités, et les chaises possèdent un « casier à doudou » pour l’avoir toujours sous la main. Une réalisation bienveillante, généreuse, intégrant le vivre-ensemble dont tous les parents rêveraient pour leur enfant.

Vue de l’exposition « L’enfance du design, un siècle de mobilier pour enfant » © Centre Pompidou. Janeth Rodriguez-Garcia
Vue de l’exposition « L’enfance du design, un siècle de mobilier pour enfant » © Centre Pompidou. Janeth Rodriguez-Garcia

Dans les pas de Matali Crasset, Martial Marquet crée son studio en 2015 et se met à l’échelle des plus petits à travers divers projets. Son credo : « Impliquer le public au sens large, c’est donner de la durabilité aux choses que l’on produit.» Accompagné de ses collaborateurs, il imagine des aires de jeu, des foyers pour enfant mais aussi des structures inédites comme ses kits des 1000 premiers jours permettant la rencontre de jeunes parents avec des associations et la La Protection maternelle et infantile en Seine-Saint-Denis. « Je ne suis pas dans la représentation des choses. Les objets se trouvant dans l’espace public doivent être intéressants pour tous, pour que chacun puisse y trouver son degré de lecture.» Une conviction du créateur ancrée dans son processus de fabrication. Martial comme Matali, qu’il considère comme son mentor, sont avant tout des designers de l’humain, à l’écoute du public visé par leur création.

L’enfance convoque l’insouciance, l’imaginaire, les souvenirs mais aussi l’apprentissage. Un grand nombre de designers se sont emparés de ce sujet fascinant pour en donner leur propre interprétation à travers des meubles, objets et lieux. Un voyage fascinant.

> Exposition « L’enfance du design – Un siècle de mobilier pour enfants », jusqu’au 12 août 2024 au Centre Pompidou, Place Georges-Pompidou, Paris 4. Plus d’informations ici.


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