Rome : la Villa Médicis se réinvente sans perdre de sa superbe

La Villa Médicis, joyau de la Renaissance, résidence d’artistes et centre d’art contemporain à Rome, poursuit sa métamorphose à travers le programme « Réenchanter la villa ». Entre patrimoine et création contemporaine, le haut-lieu romain du design devient un terrain d’expérimentation où passé et présent s’entrelacent avec panache.

Si la Villa Médicis trône depuis la Renaissance au sommet du mont Pincio, surplombant avec superbe la ville de Rome, et qu’elle semble immuable avec sa façade blanche ornée de deux tours, « cet édifice est en perpétuelle évolution depuis sa fondation en 1564, rappelle Sam Stourdzé, son actuel directeur. Et en réalité, en proposant des aménagements contemporains des jardins, des chambres d’hôtes et des salons, nous ne faisons que perpétuer la tradition ».


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Villa Médicis : le réenchantement par le design

En 2022, l’Académie de France à Rome a lancé « Réenchanter la villa », un programme de transformation de ses espaces, qui a démarré avec les salons de réception revus par les stylistes Kim Jones et Silvia Venturini Fendi, puis les chambres historiques revisitées par l’architecte et designeuse India Mahdavi en 2023. Cette année, ce sont les six chambres d’hôtes et deux des jardins de la Villa Médicis qui deviennent des supports de la création et du design contemporain.

La chambre Stratus surprisus revue par la designeuse Constance Guisset, dont chaque mètre carré a été astucieusement aménagé.
La chambre Stratus surprisus revue par la designeuse Constance Guisset, dont chaque mètre carré a été astucieusement aménagé. Daniele Molajoli

C’est d’ailleurs dans l’un d’eux, le jardin des parterres, qui s’étend devant la façade théâtrale de la villa, que, sous un soleil de plomb romain, démarre la visite du chantier, tout juste achevé. Renouant avec l’héritage de Ferdinand de Médicis et sa passion pour les agrumes, vingt citronniers, sélectionnés parmi des variétés historiques, ont été plantés dans des pots d’argile rouge décorés par l’artiste Natsuko Uchino. Un travail d’ornement qui s’inscrit à la fois dans l’histoire par sa technique et dans le XXIe siècle par ses motifs.

Plus discret, le jardin des citronniers, en forme de triangle, au pied de l’aile sud de l’édifice, offre une vue panoramique sur Rome. Il a été entièrement repensé par l’architecte paysagiste Bas Smets. Sur la pelouse trônent pots de citronniers et d’orangers amers, et au bout de celle-ci, côté ville, l’ancienne petite pergola a été agrandie.

Dans le jardin des citronniers, la collection « Cosimo de Medici », signée du duo Muller van Severen, est un hommage au format triangulaire de cet espace enclavé.
Dans le jardin des citronniers, la collection « Cosimo de Medici », signée du duo Muller van Severen, est un hommage au format triangulaire de cet espace enclavé. Daniele Molajoli

Elle accueille désormais une série de tables et de fauteuils minimalistes et colorés de la cafétéria attenante. Un ensemble dessiné par le duo Muller van Severen, mécéné par Tectona – et également vendu au grand public – dont les lattes de métal s’achèvent sur une forme de triangle évoquant celle du jardin.

À Rome, la Villa Médicis devient laboratoire créatif

C’est d’ailleurs au premier étage de cette aile sud que se trouvent les chambres d’hôtes (ouvertes à la location au public), toutes en duplex et avec cuisine équipée, entièrement réaménagées par des équipes mixtes de designers et d’artisans d’art. Associant figures montantes et personnalités du design contemporain, la Villa Médicis a aussi convié Français et Italiens en les associant: « Promouvoir ces métiers, c’est l’une des richesses que partagent la France et l’Italie », souligne Sam Stourdzé.

La chambre Isola, du studio Sabourin Costes, avec sa spectaculaire table en mélèze, son sofa maçonné et ses poignées en résine jaune, signature du duo de designeuses Paola Sabourin et Zoé Costes. Une chambre minimaliste et chaleureuse imaginée comme un atelier d’artiste.
La chambre Isola, du studio Sabourin Costes, avec sa spectaculaire table en mélèze, son sofa maçonné et ses poignées en résine jaune, signature du duo de designeuses Paola Sabourin et Zoé Costes. Une chambre minimaliste et chaleureuse imaginée comme un atelier d’artiste. Daniele Molajoli

La première d’entre elles, Isola (« Île », en italien), dessinée par le studio Sabourin Costes, « est inspirée des grands ateliers d’artistes, avec son immense table en bois de mélèze brossé et sa cuisine équipée à la façade en mélèze cérusé. Les motifs des carrelages verts de la salle de bains rappellent l’ombre des arbres », explique Zoé Costes.

La suivante, Status surprisus, investie par Constance Guisset, est la plus petite de la villa. La designeuse a choisi de l’aborder comme une cabine de bateau et s’est concentrée sur les usages et les gestes. C’est un cocon empli de secrets et de significations, en référence à l’histoire du lieu, comme les cinq boules lumineuses qui ornent un angle de mur, référence au blason des Médicis; la peinture légèrement pailletée évoquant les flous du peintre Balthus (ancien directeur de la villa); la penderie et les poignées en bronze inspirées du mobilier en fer à béton du peintre et designer italien Richard Peduzzi (qui a également dirigé la villa); ou encore le miroir de la salle de bains imprimé en dégradé de bleus.

La sublime table en bois brûlée fabriquée par les artisans Daniel et Georges de Belder pour la chambre Pars pro toto, du duo Éliane Le Roux et Miza Mucciarelli. Le sol n’a pas été modifié et la lampe est signée du peintre Balthus, ancien directeur de la villa.
La sublime table en bois brûlée fabriquée par les artisans Daniel et Georges de Belder pour la chambre Pars pro toto, du duo Éliane Le Roux et Miza Mucciarelli. Le sol n’a pas été modifié et la lampe est signée du peintre Balthus, ancien directeur de la villa. Daniele Molajoli

Suite de la visite avec Pars pro toto (« Une partie pour le tout », en latin), imaginée par les architectes Éliane Le Roux et Miza Mucciarelli. Ils ont conçu une chambre assez minimaliste, tout en arches, composée d’un entrelacs de courbes et d’un travail d’enduits qui, avec sa table en bois brûlé aux accents rustiques, prodigue une atmosphère sereine.

Quant à la chambre Il cielo in una stanza (« Le ciel dans une chambre »), elle a été créée par le célèbre duo Zanellato/Bortotto. Il s’est associé à des éditeurs comme Moroso pour produire une pièce céleste, mais qui s’inscrit aussi dans l’histoire romaine, puisque les carreaux émaillés de la douche sont creusés de sillons représentant le jaillissement de l’eau des fontaines de la ville de Rome.

Vue d’ensemble de la chambre Camera Fantasia, par le studio GGSV, la création la plus onirique de ce nouveau réenchantement de la Villa Médicis.
Vue d’ensemble de la chambre Camera Fantasia, par le studio GGSV, la création la plus onirique de ce nouveau réenchantement de la Villa Médicis. Daniele Molajoli

Le voyage se poursuit dans la Camera Fantasia, du studio GGSV, ancien pensionnaire de la villa, réalisée en collaboration avec le peintre décorateur Matthieu Lemarié et le spécialiste du meuble en papier Paper Factor. « Nous souhaitions produire une expérience esthétique sensorielle. Pour cela, nous avons convoqué la peinture, puissant agent de transformation de l’existant, afin d’agrandir l’espace et de faire de cette pièce un élément de contemplation dans laquelle le regard se perd. Un cadre onirique renforcé par l’usage de la pâte à papier qui vient notamment recouvrir la cuisine existante. D’ailleurs, la fresque peinte au mur et le motif de la pâte à papier se rejoignent et s’entremêlent pour un effet qui se déploie dans tout l’espace. Même le tapis sous le bureau est un clin d’œil à la composition de marbre de la piazzale – l’espace au sol en marbre – de la villa, qui se trouve entre la façade et le jardin », explique la designeuse Gaëlle Gabillet.

Fin de la visite dans l’étonnante Studiolo du studio Pool (Sébastien Kieffer et Léa Padovani). Inspiré du tableau Saint Jérôme dans son étude, peint par Antonello de Messine en 1475, et dont les références puisent dans la Renaissance, notamment le studiolo (petit cabinet d’études d’œuvres) de Ferdinand de Médicis, situé dans les jardins de la villa. Une chambre imaginée avec les ébénistes de l’Atelier Veneer, qui ont surtout utilisé du bois provenant de chutes de chantiers.

La chambre Studiolo, de studio Pool, imaginée avec les ébénistes de l’Atelier Veneer, qui ont notamment utilisé du bois provenant de chutes de chantiers.
La chambre Studiolo, de studio Pool, imaginée avec les ébénistes de l’Atelier Veneer, qui ont notamment utilisé du bois provenant de chutes de chantiers. Daniele Molajoli

« Le projet incarne parfaitement le dialogue entre artisanat d’art et design contemporain que l’on avait imaginé dès le départ, avec notamment la valorisation de savoir-faire rares et le travail de matières (peinture en décor, émail, brique réfractaire…). Dans les chambres sont inscrits les noms de ces créateurs afin de les valoriser auprès des visiteurs. Au-delà de leur marque dans cet écrin merveilleux, ces dialogues permettent aux artisans et aux designers d’effectuer de la recherche sur les matériaux et les usages », détaille Hedwige Gronier, de la Fondation Bettencourt-Schueller, mécène de la villa. Un dialogue amené à se poursuivre dans les années à venir, divulgue Sam Stourdzé: « Ne vous inquiétez pas, il reste encore des espaces à réenchanter. »


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