India Mahdavi relooke la Villa Médicis

L’architecte et designeuse India Mahdavi remet six pièces historiques de l’institution au goût du jour et s’insère dans une mission portée à la fois par un souci de préservation du patrimoine et par la nécessité d’ancrer le palazzo dans le monde contemporain.

Fondée en 1666 à l’initiative du ministre Colbert, l’Académie de France à Rome adopte plusieurs adresses avant de s’installer au sommet de la colline du Pincio, en 1803, dans l’ancien palais de villégiature du cardinal Ferdinand Ier de Médicis (1549-1609). C’est dans ce cadre qui a accueilli Ingres, Debussy et Balthus, aujourd’hui rattaché au ministère de la Culture, que l’architecte et designeuse India Mahdavi est invitée à intervenir pour repenser six pièces patrimoniales (trois chambres dites « d’hôtes » et trois autres des anciens appartements du cardinal).

India Mahdavi à la Villa Médicis.
India Mahdavi à la Villa Médicis. Alessia Calzecchi

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© Daniele Molajoli.
© Daniele Molajoli.

Comment apporter sa touche à une institution qui a traversé l’Histoire, tel un site archéologique dont il faut décider quelle couche préserver ? « On fait confiance à son intuition, avoue la créatrice. Je me suis plongée dans les tableaux de la Renaissance de Piero della Francesca, de Fra Angelico et de Fra Filippo Lippi. Des historiens de la villa étaient aussi là pour nous aiguiller », raconte-t-elle.

Dans les nouveaux espaces, l’influence du Quattrocento s’immisce sous forme de jeux visuels, évoqués par le biais de motifs géométriques en trompe-l’œil, leitmotiv du mobilier dessiné par India Mahdavi pour la Villa Médicis. Dans les chambres rebaptisées du nom de leur illustre occupant, Galilée ou Debussy, l’intérêt pour la perspective s’exprime à travers des lits en marqueterie posés sur un socle.

La palette acidulée de la chambre Debussy (à gauche), dotée d’un point d’écoute pour s’immerger dans l’univers du compositeur, contraste avec celle de Galilée (à droite), aux tons plus contenus remarqués sur les carreaux de céramique de la salle de bains et sur les rideaux du baldaquin confectionnés pour l’occasion par Dedar.
La palette acidulée de la chambre Debussy (à gauche), dotée d’un point d’écoute pour s’immerger dans l’univers du compositeur, contraste avec celle de Galilée (à droite), aux tons plus contenus remarqués sur les carreaux de céramique de la salle de bains et sur les rideaux du baldaquin confectionnés pour l’occasion par Dedar. Daniele Molajoli

« La structure est pensée comme une mini-architecture qui forme une sorte de piédestal. Les fenêtres sont très hautes, surélever les volumes permettait aussi d’établir un dialogue avec l’extérieur. Je voulais que l’on puisse apercevoir l’extraordinaire vue sur la ville sans avoir à sortir du lit! » détaille la designeuse.


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Le mobilier des XVIIe et XVIIIe siècles ancre la mise en espace des volumes dans un contexte artistique plus large. Dans la salle adjacente, l’antichambre a été transformée en salon Lili Boulanger selon la même formule qui consiste à mêler pièces historiques et savoir-faire contemporain haut de gamme.

Le salon Lili Boulanger, l’une des trois chambres d’hôtes dans lesquelles est intervenue India Mahdavi, avec celles vouées à Debussy et à Galilée. La pétulance du jaune des assises prêtées par le Mobilier national et recouvertes de tissu Dedar, la maison italienne de tissus d’ameublement, fait directement écho aux dorures du tableau ou à celles des décors en trompe-l’œil.
Le salon Lili Boulanger, l’une des trois chambres d’hôtes dans lesquelles est intervenue India Mahdavi, avec celles vouées à Debussy et à Galilée. La pétulance du jaune des assises prêtées par le Mobilier national et recouvertes de tissu Dedar, la maison italienne de tissus d’ameublement, fait directement écho aux dorures du tableau ou à celles des décors en trompe-l’œil.

« Le piano de Debussy a été accordé et nous avons sélectionné des assises empruntées au Mobilier national. Les fauteuils ont été retapissés avec du tissu jaune signé Dedar pour faire vibrer l’espace », souligne India Mahdavi.

L’installation sonore a été conçue en partenariat avec Devialet, spécialiste en la matière. « Les plus belles maisons de création françaises et italiennes ont collaboré au projet. Mon rôle était un peu celui d’une cheffe d’orchestre. »

© Daniele Molajoli.
© Daniele Molajoli.

Une statue de Vénus et des lampes de l’artiste Balthus, ancien directeur de l’institution (1961-1977), complètent la décoration de ce lieu réservé aux résidents et à des invités triés sur le volet.

À l’étage supérieur, les appartements du cardinal de Médicis, point d’orgue de la visite accessible au public, ont été dépouillés de leur mobilier pour privilégier un jeu de regards croisés avec le spectateur.


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© Daniele Molajoli.
© Daniele Molajoli.

Une relecture du passé

L’intervention d’India Mahdavi à la Villa Médicis s’insère dans le projet « Réenchanter la Villa Médicis », lancé en 2022 à l’initiative de son directeur, Sam Stourdzé, avec le Mobilier national et le soutien de la Fondation Bettencourt Schueller. Un premier volet a permis la réfection des six salons de réception au rez-de-jardin en collaboration avec la maison Fendi (voir IDEAT #159).

« Pour les chambres historiques, deuxième étape du programme, il fallait quelqu’un qui soit capable de s’engager et de faire face au riche passé du lieu, pour en offrir une nouvelle lecture. India est une agenceuse et une fabuleuse coloriste. Elle était la personne la mieux placée pour mener à bien le projet », relève Sam Stourdzé.

© Alessia Calzecchi.
© Alessia Calzecchi.

Le dernier volet comprend le réaménagement de neuf autres chambres d’hôtes via des appels à projets destinés à des designers, des architectes et des artistes qui travaillent en collaboration avec des artisans d’art. Les projets Camera Fantasia, de Studio GGSV, de Paper Factor et de Matthieu Lemarié, et Studiolo, imaginé par le studio Pool et l’Atelier Veneer, viennent d’être nommés pour remodeler deux des chambres dites « de la passerelle ».

La tourneuse sur métal Mylinh Nguyen et le duo de designers Caterina et Marc Aurel inaugurent en parallèle les premières résidences consacrées aux métiers d’arts. Une résidence tournée vers l’art culinaire et une autre spécialisée dans la réalité virtuelle s’ajoutent au programme des seize pensionnaires sélectionnés sur dossier.

« Le monde change et nous voulons que la Villa Médicis, forte des trois cent cinquante ans d’histoire qui ont fait sa renommée, soit également une institution du XXIe  siècle, inscrite dans des problématiques contemporaines. Nous avons la volonté d’être plus en dialogue avec les disciplines et œuvrons pour un établissement utile à sa communauté », résume Sam Stourdzé.


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