Les Rencontres d'Arles en questions avec leur directeur Sam Stourdzé

Récemment nommé directeur de l’incontournable rendez-vous annuel de la photographie, Sam Stourdzé nous explique sa passion, ses intentions et son programme étendu pour Arles 2016.

Cette 47e édition est dédiée à Michel Tournier (1924-2016), écrivain cofondateur des Rencontres avec le photographe Lucien Clergue, en 1968. Quel est votre premier souvenir des Rencontres ?
C’était au début des années 90, j’avais un peu plus de 20 ans et je rêvais d’y aller, c’était pour moi le graal de la photo. Je travaillais dans des galeries et une dizaine d’entre elles y exposaient. Je leur ai donc proposé de m’occuper de transporter leurs photos jusqu’à Arles. J’avais négocié qu’on me paie le camion, l’essence, une nuit d’hôtel et un billet de train pour le retour. J’ai fait la route d’une traite et suis arrivé à 8 heures du matin, complètement sonné… Là, un commissaire m’a convié à la terrasse d’un café et m’a commandé un pastis. À notre table, « Ralph » et « Helmut » se passaient de l’eau : Ralph Gibson et Helmut Newton…

Qu’est-ce qui différencie les Rencontres d’Arles des autres événements sur la photographie ?
Il s’agit du plus grand festival de photo au monde qui a réussi le pari d’être une radioscopie annuelle de la création, une caisse de résonance des pratiques : un état des lieux au plus près des artistes pour comprendre ce qu’est la photographie aujourd’hui. C’est aussi un rendez-vous social pendant la semaine d’ouverture avec plus de 13 500 professionnels accrédités. Le milieu se retrouve et s’élargit aux gens qui aiment l’image. Quand je dirigeais le musée de l’Élysée, en Suisse, je savais que j’économisais plusieurs voyages dans l’année en venant à Arles quelques jours, car je pouvais y voir tout le monde en un même lieu.

Les Rencontres se présentent comme un « observatoire de la création actuelle ». Comment avez-vous conçu votre programmation pour 2016 ?
C’est une bonne question, car il est impossible de placer le festival sous une thématique générale. Nous avons donc préféré l’idée d’un programme séquencé, pour que le visiteur puisse naturellement tisser des liens entres les projets. La photographie permet cette transversalité car elle parle du monde de différentes manières.

Le parcours que vous proposez lie l’histoire de la photo aux pratiques contemporaines de cette discipline. Pourquoi ?
C’est nécessaire, car le grand public est attentif à un sujet tandis que les spécialistes sont attentifs au regard que véhiculent les expositions. « Lady Liberty – La Fabrique photographique d’une icône » (Musée départemental Arles antique), sur l’influence de la statue de la Liberté, et le show consacré à Sid Grossman (Espace Van Gogh), dans la séquence « Street. La Photographie de rue revisitée », peuvent ainsi paraître comme des archives ou comme de la photo vintage, mais le commissaire d’exposition y met en avant la fascination actuelle pour ces images.

Vous accordez aussi une grande part à la pratique de la « relecture » en photographie, voire de la fantaisie…
C’est une vraie tendance. Il y a quelques années, le plus beau compliment que l’on pouvait faire à une photo était de la comparer à un tableau. Maintenant, la photo se cale plus que jamais sur l’histoire de l’art et la société. Beaucoup d’artistes se réapproprient donc des corpus préexistants pour donner une lecture et un sens différents aux photos des autres, aux images dites « pauvres », déclarant dans la lignée de Duchamp que ce n’est pas tant l’acte de fabrication de l’image qui compte que son acte d’activation. La collection de Sébastien Lifshitz, « Mauvais Genre » (Atelier des forges) – environ 150 photos de travestis amateurs produites pour des albums privés –, crée ainsi un témoignage frais sur cette pratique et contre-culture.

Comment avez-vous trouvé ces collections que vous exposez ?
Les Rencontres ont une équipe de rabatteurs et de fidèles – exactement comme un journal avec ses correspondants ! – qui nous suivent et émettent des suggestions. Trente-neuf commissaires ont ainsi été invités pour cette édition. Je passe mon temps à voyager et à évaluer la pertinence des courants et des projets porteurs d’un nouveau regard sur l’image pour les mettre en avant. On nous en propose aussi parfois par hasard. Le résultat est donc une alchimie qui brasse cette moisson des possibles pour qu’elle fasse sens.

Cinq nouveaux lieux en ville, plus de 40 expositions, beaucoup d’autres dans toute la région (Grand Arles Express)… En quoi élargir ainsi Les Rencontres vous motive-t-il ?
Il n’y a pas d’autres endroits où faire une expo à côté d’une autre, quarante fois. Le collège Mistral, Ground Control, l’Atelier de la mécanique… on n’a jamais eu autant de possibilités à Arles. Et, ici, le public vient chercher l’expérience de la ville : la fusion du patrimoine et de la culture contemporaine dans l’esprit voulu par Jean-Maurice Rouquette, conservateur et grande figure locale liée à la création des Rencontres, avec Michel Tournier, lui-même créateur de Chambre noire, première émission télé dédiée à la photo. C’est cette dynamique ouverte et collective, associée à notre ancrage en Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui est unique en Europe. Au-delà des expos au Grand Arles Express, celles dans les musées et les centres d’art emblématiques, depuis Nîmes jusqu’à Marseille, sont, pour le visiteur, des portes d’entrée vers les Rencontres. De plus, les institutions se sont regroupées sous l’association A3-Art (Aix-en-Provence, Avignon, Arles) dont le manifeste est reproduit en ouverture du catalogue des Rencontres.

Enfin, l’autre aspect clé des Rencontres est l’éducation et l’aide à la production…
En plus de notre résidence de création et du prix Découverte, avec LUMA, les stages photo entre le public praticien et les plus grands professionnels existent depuis le début des Rencontres. Cet outil de formation est complété par la Rentrée en images : un programme gratuit accueillant dix milliers de scolaires. L’Atelier des photographes, une nouveauté, offre pour sa part d’accéder à distance à l’enseignement de la photographie, de télécharger des fiches d’apprentissage pour les utiliser offline. Les images, comme le texte, ont une lecture et une grammaire dont nous avons la responsabilité pour former les jeunes générations qui doivent apprendre à décrypter les images qui les entourent. Les Rencontres ne sont pas simplement là pour divertir, elles doivent être un terreau fertile pour la réflexion.

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