L’International Design Expeditions passe à table

Chaque année depuis quatre ans, la designer Mathilde Bretillot emmène en voyage de jeunes créateurs internationaux pour une immersion totale dans un pays. Le sujet : la céramique et l’art culinaire, dans lesquels se lit l’âme d’une civilisation. De leur travail avec les artisans locaux naissent des créations hybrides totalement inédites, qui questionnent notre façon de passer à table.

Designer et enseignante, Mathilde Bretillot place l’humain au cœur de sa démarche créative. Pour elle, pratiquer ce métier a un sens, l’imagination se nourrit de culture, elle est stimulée par les rencontres et par les transmissions. C’est ainsi qu’il y a quatre ans elle montait sa première expédition en terre inconnue. Depuis, International Design Expeditions (IDE) emmène chaque année un groupe de designers rencontrer une autre civilisation.


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Mathilde Bretillot : « Nous sommes partis cuisiner des objets« 

 Dégustation partagée pour le lancement de France Design Week 2023 au château de Sainte-Colombe-en-Auxois (Bourgogne).
Dégustation partagée pour le lancement de France Design Week 2023 au château de Sainte-Colombe-en-Auxois (Bourgogne). DR

La première fois, direction les Pouilles, en Italie, suivie de la Pologne, puis du Cambodge. Bientôt la Suède. Le sujet se concentre sur un art ancestral et universel : la céramique. Durant son séjour, l’équipe collabore avec des artisans pour produire des objets originaux.

En parallèle, le groupe visite, observe, interroge des conservateurs de musées et de lieux historiques. Il découvre la cuisine locale, l’un des meilleurs moyens de s’imprégner de l’esprit d’un terroir. Toutes deux issues de la terre, la glaise et l’alimentation sont intimement liées. Ensemble, elles participent aux rituels qui forgent une civilisation.

Une performance proposée par le designer culinaire Marc Bretillot (photo) et la céramiste Marcela Paz Undurraga Quilodoran.
Une performance proposée par le designer culinaire Marc Bretillot (photo) et la céramiste Marcela Paz Undurraga Quilodoran. DR

« Que l’on cuise du pain ou de la céramique, le geste est pratiquement le même, dit Mathilde Bretillot. Après le pétrissage, on met au four. Où que l’on soit dans le monde, le sujet est universel. Nous sommes partis cuisiner des objets. » Dans l’équipe figure son frère, Marc Bretillot. Aussi passionné par le contenant que par le contenu d’une assiette, il est à l’origine de la première section de design culinaire de l’École supérieure d’art et de design de Reims, inaugurée au début des années 2000.

« Il y a beaucoup de choses en commun entre le design et la cuisine, dit-il. Dès la découpe, il faut respecter le sens du muscle de la viande… comme on respecte la veine d’un bois. Dans les pays où des traditions très anciennes se perpétuent, on remarque une grande cohérence entre les formes, les façons de préparer les plats et les gestes. C’est pratiquement anthropologique. »

 À Siem Reap (Cambodge), les objets des designers sortis du four avant l’émaillage dans l’atelier familial Morodock. Différentes inspirations : une feuille exotique, les lentilles d’eau…
À Siem Reap (Cambodge), les objets des designers sortis du four avant l’émaillage dans l’atelier familial Morodock. Différentes inspirations : une feuille exotique, les lentilles d’eau… DR

C’est ainsi que l’Irlandaise Eimear Ryan-Rateau a participé à la session polonaise, à Varsovie. Elle s’est imprégnée de l’architecture brutaliste de la ville, presque entièrement détruite après la Seconde Guerre mondiale et reconstruite sous l’ère communiste. Monika Skorupska, la potière polonaise avec laquelle elle formait un binôme, et elle ont façonné à quatre mains un bol aux ondulations anguleuses, un service à café aux accents Art déco et des coupes constituées de demi-sphères assemblées qui figurent des pommes scindées… car ce fruit est un produit phare de l’agriculture polonaise.

« L’International Design Expeditions m’a appris que le design culinaire va bien au-delà de l’art décoratif »

La Française Marta Bakowski faisait partie de l’expédition inaugurale dans les Pouilles. « Un pays rustique, une terre rouge, des murs en pierre sèche et des champs d’oliviers, décrit-elle. La cuisine y est modeste, généreuse, on ne met pas les petits plats dans les grands : quelques fèves réduites en purée, de l’huile d’olive, un vin puissant et basta ! » Alors Marta a façonné un presse-citron dont la forme reprend celle des trulli, ces habitations aux toits coniques typiques des Pouilles. Et des bouteilles d’huile sur lesquelles se lisent en relief l’architecture locale et les couleurs de la nature environnante.

 Le bougeoir Thom, de Camillo Bernal (expédition au Cambodge), puise dans l’architecture des temples khmers d’Angkor. Il a été réalisé dans le cadre de l’International Design Expeditions.
Le bougeoir Thom, de Camillo Bernal (expédition au Cambodge), puise dans l’architecture des temples khmers d’Angkor. Il a été réalisé dans le cadre de l’International Design Expeditions. Luc Bertrand / Galerie Dina Vierny

Enfin, au Cambodge, Camillo Bernal, d’origine colombienne, a été subjugué par les rituels des populations proches des temples d’Angkor, qui déposent en offrande quelque nourriture terrestre à destination des esprits pour solliciter leur bienveillance. Les objets qu’il a imaginés pour la table s’utilisent ainsi comme les ustensiles d’une cérémonie et reprennent l’architecture des temples.

« L’International Design Expeditions m’a appris que le design culinaire va bien au-delà de l’art décoratif, confie-t-il. J’avoue qu’avant ce voyage je trouvais ce domaine assez superficiel et trop “pomponné”. Là, tout était différent. Il y a la main de l’artisan guidée par des techniques millénaires, l’acte primaire de manger, inné, de la culture par essence. C’est purement intuitif, et ce n’est pas de la décoration. »


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