Exposition : Thomas Schütte explore la condition humaine

Pour sa première rétrospective en France, le sculpteur allemand, récompensé du Lion d’or à la Biennale de Venise en 2005, va-t-il transformer l’hôtel de la Monnaie en décor de théâtre ? Réponse en « Trois actes » et une cinquantaine de pièces disséminées dans les cours et les salles de ce somptueux édifice du XVIIIe siècle situé le long de la Seine.

Unité de lieu (les huit salons en enfilade de ce site historique), unité de temps (de 1981 à 2018), mais pas de médiums : Thomas Schütte travaille indifféremment l’argile, la cire, la céramique, l’acier, le bronze ainsi que la peinture, le dessin et la photographie. Inclassable, il incarne néanmoins le renouveau de la sculpture. « Sa capacité à innover et son incroyable inventivité font de lui un artiste de la stature de Picasso », déclare Camille Morineau, commissaire de cette rétrospective et directrice des expositions et des collections de la Monnaie de Paris.

Le goût de Thomas Schütte pour les rapports d’échelles s’exprime dans des œuvres qui relèvent parfois de l’architecture, comme, ici, Kristall II (2014), une construction en cuivre et en bois qui s’inspire de la forme de ce verre précieux.
Le goût de Thomas Schütte pour les rapports d’échelles s’exprime dans des œuvres qui relèvent parfois de l’architecture, comme, ici, Kristall II (2014), une construction en cuivre et en bois qui s’inspire de la forme de ce verre précieux. Photo DR / ADAGP 2019

« J’en veux pour exemple la pièce récente montrée dans l’une des cours de l’institution et qui prend le contre-pied des trois axes de cette rétrospective : la figure humaine, l’au-delà et l’architecture. Lui dont l’œuvre se caractérise par un aspect nostalgique, presque tragique, vient de créer la plus amusante des sculptures : un animal fantastique, entre le dragon, la sirène et le chien, qui crache de la fumée. » Rien de commun donc avec son Mann im Wind, un personnage en bronze englué dans un bloc de glaise, qui culmine à plus de trois mètres de hauteur.

Mein Grab de Thomas Schütte (1981).
Mein Grab de Thomas Schütte (1981). © Ondrej Polak © Thomas Schütte - ADAGP

« Selon les critères académiques de représentation de celui qui détient le pouvoir, le héros est généralement montré debout. Chez Thomas Schütte, il s’enfonce. C’est la manière qu’a cet artiste d’interroger les stéréotypes », explique la commissaire. Un Mann im Wind qui évoque aussi de façon allégorique l’échec de l’homme, aliéné, isolé et vulnérable, à influer sur le cours de l’Histoire. Une leçon apprise auprès de Gerhard Richter, son professeur à la Kunstakademie de Düsseldorf, qui lui a transmis son intérêt pour l’Histoire, justement, le politique et, plus largement, le rôle de l’art dans la société.

Cette maquette, Skulpturenhalle III (Modell 1:20) (2012-2015), est ensuite devenue réalité. Un lieu d’exposition idéal pour accueillir des œuvres sculptées, qui a ouvert ses portes en 2016, non loin de Düsseldorf.
Cette maquette, Skulpturenhalle III (Modell 1:20) (2012-2015), est ensuite devenue réalité. Un lieu d’exposition idéal pour accueillir des œuvres sculptées, qui a ouvert ses portes en 2016, non loin de Düsseldorf. © Hans Schröder / Marta Herford GmbH

« Mes œuvres ont pour but d’introduire un point d’interrogation tordu dans le monde », aime répéter Thomas Schütte. Pari gagné : souvent, elles déconcertent autant qu’elles troublent. Dès l’âge de 19 ans, en 1973, l’artiste réalise des maquettes de projets de construction. « Ce qui le passionne, c’est le rapport entre l’infiniment grand et l’infiniment petit », ajoute Camille Morineau. Certains de ses travaux sont de la largeur d’une main, d’autres, comme Kristal II, une construction à l’échelle 1:1 inspirée de la forme asymétrique de ce verre précieux, relèvent plutôt de l’architecture.

Vater Staat (2010), sculpture exposée au Moderna Museet de Stockholm en 2016-2017.
Vater Staat (2010), sculpture exposée au Moderna Museet de Stockholm en 2016-2017. © Åsa Lundén / Moderna Museet

Comme le lieu d’accueil de quinze mètres de diamètre que Thomas Schütte s’apprête à édifier à Krefeld (Rhénanie-du-Nord–Westphalie, en Allemagne), dans le cadre du centenaire du Bauhaus, après avoir déjà supervisé l’édification de dix bâtiments fonctionnels, de la maison de vacances à un pavillon de thé. Miniatures ou grandeur nature, « dès le début, tout est là. Le reste n’est que déclinaison et évolution des dimensions ; ce qui induit la transformation de la forme, sa simplification avec des effets de zoom ou de pixellisation, même si le mot est impropre. À la Monnaie sera présentée pour la première fois une vitrine qui contient les sources de Thomas Schütte : collages ou objets modelés… Un répertoire de formes, sorte de Boîte-en-valise de Marcel Duchamp, qui révèle le caractère prospectif de son travail », précise la commissaire.

C’est l’année de l’obtention de son diplôme, en 1981, que Thomas Schütte crée Mein Grab, la pièce la plus ancienne de l’exposition. Cet ensemble composé d’une maquette, portant la date du 25 mars 1996, et d’une gravure représente sa propre tombe. « C’est à la fois son autoportrait en artiste mort et une vanité, ce genre qui illustre le passage du temps en histoire de l’art. Sa réflexion peut prendre des aspects différents : masques en céramique émaillée, aquarelles de fleurs fanées, urnes funéraires… Peut-être faut-il également considérer ses maquettes comme des mausolées ? » Fin du troisième acte.

> « Thomas Schütte. Trois actes ». À la Monnaie de Paris (VIe), jusqu’au 16 juin. Tél. : 01 40 46 56 66. 

United Enemies de Thomas Schütte (2011).
United Enemies de Thomas Schütte (2011). © Aurélien Mole - Monnaie de Paris © Thomas Schütte - ADAGP

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