Exposition : Paul Poiret, l’art total d’un couturier visionnaire

« Poiret vint et bouleversa tout. » Cette phrase de Christian Dior pourrait servir de fil conducteur à l’exposition "Paul Poiret, la mode est une fête", qui retrace l’épopée de ce créateur aussi fantasque qu’érudit, rêvant la mode comme un art total.

Il voulait tout réinventer : la femme, le vêtement, le parfum, l’intérieur, et même la société. En consacrant à Paul Poiret (1879-1944) une vaste rétrospective – la première à Paris depuis celle du musée Galliera en 1974 -, le Musée des Arts décoratifs rend justice à un génie inclassable, pionnier de la modernité en mode, mais aussi entrepreneur flamboyant, inventeur de l’image de marque et esthète à la vision globale. Une exposition aussi foisonnante que sa vie, portée par une scénographie ultra-maîtrisée où chaque élément fait écho à un autre. Découverte.


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Un véritable chef d’orchestre

Plus de 550 œuvres témoignent du génie polymorphe de Paul Poiret. Couturier, bien sûr – le premier à abolir le corset, à imaginer la robe-culotte et à moderniser les lignes Empire –, mais aussi directeur artistique avant l’heure, collectionneur d’art moderne, metteur en scène de fêtes mythiques, entrepreneur audacieux et pionnier du parfum de créateur. Il compose une œuvre totale où la mode s’entrelace avec la peinture, le théâtre, la danse, l’illustration, la musique et même la gastronomie.

Thérèse Bonney (1894-1978). Paul Poiret et le mannequin Renée dans les salons de sa maison de couture, 1 rond-point des Champs-Elysées. 1927. Tirage gélatino-bromure d’argent par l’ARCP, [198.], d’après le négatif. Bibliothèque historique de la Ville de Paris
Thérèse Bonney (1894-1978). Paul Poiret et le mannequin Renée dans les salons de sa maison de couture, 1 rond-point des Champs-Elysées. 1927. Tirage gélatino-bromure d’argent par l’ARCP, [198.], d’après le négatif. Bibliothèque historique de la Ville de Paris
L’exposition donne à voir les chefs-d’œuvre d’une silhouette nouvelle, libérée et sensuelle : la robe Joséphine de 1907, les créations brodées inspirées de ses voyages ou encore les collaborations avec Raoul Dufy, Georges Lepape ou Marie Vassilieff. Une section entière rend hommage à l’atelier Martine, sa fabrique de motifs décoratifs formant de jeunes filles aux métiers d’art. Cet insatiable bon vivant fut aussi un visionnaire du marketing, inventant les premiers défilés itinérants et lançant, bien avant ses successeurs, le principe des collaborations entre créateurs et artistes.

« Je suis un artiste, pas un couturier », affirmait-il. Le MAD prouve que la formule n’était pas une coquetterie : la mode devient ici récit global, capable de faire dialoguer textile, odeur, image, architecture et business plan. Autrement dit, l’expérience avant le produit. Un message qui trouve aujourd’hui toute sa résonance.

Les vitrines, souvent éclatées en blocs colorés, évoquent l’audace chromatique du couturier.
Les vitrines, souvent éclatées en blocs colorés, évoquent l’audace chromatique du couturier. Christophe Delliere

Un parcours à la hauteur de ce génie créatif

Dès l’entrée, on est saisi par la mise en scène orchestrée par Christopher Dessus et son studio Paf Atelier : un catwalk traverse les galeries telle une ligne temporelle faisant défiler la vie trépidante du « Magnifique ». Loin d’un simple accrochage chronologique, l’exposition propose un récit fluide, porté par la couleur, les jeux de lumière et le rythme. Les salles sont pensées comme des tableaux vivants, jouant des motifs, des teintes saturées et des effets de perspective.

George Barbier — Couverture du magazine « Les Modes », Avril 1912 Paris, Manzi, Joyant et Cie, 1912. Héliogravure
George Barbier — Couverture du magazine « Les Modes », Avril 1912 Paris, Manzi, Joyant et Cie, 1912. Héliogravure Les Arts Décoratifs

Cette scénographie cherche moins à recréer un décor historique qu’à faire dialoguer les inspirations du « Léonard de la mode » – comme le qualifiait Elsa Schiaparelli (1890-1973) – avec notre regard contemporain. Les vitrines, souvent éclatées en blocs colorés, évoquent l’audace chromatique du couturier, inspirée par les Fauves. Typographies sculpturales, motifs de pois et de rayures inspirés d’une valise Louis Vuitton lui ayant appartenu, signalétique mouvante : tout concourt à créer une esthétique immersive. Le cercle, emprunté à une rose stylisée de Paul Iribe, illustrateur et complice, devient symbole du mouvement et irrigue l’ensemble du parcours.

Un legs foisonnant

Tout au long de l’accrochage, ses modèles cultes dialoguent avec les créations de couturiers qu’il a inspirés. Dans ses mémoires En habillant l’époque (1930), alors qu’il connaît les affres de la banqueroute, Paul Poiret s’interrogeait sur sa postérité et n’imaginait sans doute pas qu’elle serait si rayonnante. Christian Dior le saluait comme « le rénovateur de la mode », Yves Saint Laurent revendiquait son influence en lançant Rive Gauche, Jean Paul Gaultier reprenait son goût du spectacle, Issey Miyake prolongeait ses recherches sur la fluidité tandis que John Galliano réactivait ses drapés orientalisants chez Dior.

Tout au long de l’accrochage, ses modèles cultes dialoguent avec les créations de couturiers qu’il a inspirés.
Tout au long de l’accrochage, ses modèles cultes dialoguent avec les créations de couturiers qu’il a inspirés. Christophe Delliere

Aujourd’hui encore, Dries Van Noten, Marine Serre, Harris Reed, Charles de Vilmorin perpétuent son audace, ses motifs et sa vision inclusive des silhouettes. Cette conclusion visuelle souligne d’autant plus l’ironie de son destin : celui qui avait libéré les corps féminins et inventé le marketing couture meurt ruiné en 1944, oublié d’une industrie qu’il avait pourtant révolutionnée.

> « Paul Poiret, la mode est une fête », jusqu’au 11 janvier 2026 au Musée des Arts décoratifs de Paris


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