« Christofle, c’est bien plus qu’un orfèvre : c’est une maison qui a su capter l’air du temps et anticiper les changements dans l’art de la table. » Audrey Gay-Mazuel, conservatrice du patrimoine en charge des collections XIXe siècle – Art nouveau du musée des Arts décoratifs, en rêvait depuis dix ans : raconter la success story de Christofle, icône du chic à la française. Cette rétrospective inédite propose un voyage immersif dans près de deux siècles d’innovations, de savoir-faire et de collaborations inattendues. À travers plus de 1000 pièces et grâce à une scénographie résolument contemporaine de Martin Michel, elle illustre toutes les évolutions stylistiques de la manufacture. Une flamboyante épopée où se croisent Napoléon III, Luc Lanel, Gio Ponti, César, Karl Lagerfeld, Andrée Putman, Aurélie Bidermann ou encore Pharrell Williams.
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L’argent vaut de l’or
Dès ses débuts, Charles Christofle affiche une ambition hors du commun. Apprenti bijoutier-joaillier chez son beau-frère, il reprend la petite entreprise familiale en 1830 et se lance dans l’orfèvrerie. En 1842, il acquiert les brevets de dorure et d’argenture électrolytique, une méthode qui permet de recouvrir des métaux communs d’une fine couche d’argent. Grâce à ce procédé, l’argenterie auparavant réservée aux cours royales, devient accessible à une bourgeoisie en pleine ascension.
« Charles Christofle avait le nez creux. En industrialisant ce procédé, il a transformé une entreprise artisanale en véritable puissance culturelle », affirme Audrey Gay-Mazuel. Et pour incarner cette audace visionnaire toujours d’actualité, l’exposition s’ouvre sur une sélection de pièces actuelles accrochées comme si elles étaient en lévitation sur un tapis moquette : boîte à préservatif, façade de consoles de jeux vidéo, boîte de sneakers…
Car si la maison est réputée pour ses couverts, dont le procédé de fabrication est ici mis en scène, tout comme l’atmosphère et le décor d’un atelier reconstitué, elle crée aussi des objets spectaculaires : centres de table monumentaux, jardinières, candélabres ou encore de ravissants services à thé. Ce qui frappe ? Cette capacité à toujours dialoguer avec son temps. Jamais has been, Christofle sait capter les styles en vogue.
Laboratoire créatif
« Depuis sa création, Christofle s’est associé à beaucoup de dessinateurs et de sculpteurs, aujourd’hui certes méconnus, mais dont les créations ont pourtant marqué les esprits, à l’instar du Deux poissons d’Emil Reiber (1874) et du service courge signé Léon Mallet (1891) », reprend la commissaire. Précurseur, Christofle a toujours su s’associer aux plus grands designers et artistes. Du service à thé Empire aux audaces d’Arman et Christian Lacroix, la maison a exploré tous les styles.
Lors de l’exposition universelle de 1925, la maison s’associe avec Baccarat pour créer des pièces Art déco, mariant argent et cristal. Lors de cet événement, Tony Bouilhet, qui dirige le petit empire de 1930 à 1969, rencontre Gio Ponti, qui crée ses premières pièces en 1928 avec la complicité de Léo Sabattini, l’orfèvre de la maison. Cette amitié est le point de départ d’une collaboration qui durera plus de cinquante ans. Véritable esthète et amateur d’art, c’est aussi sous « le règne » de Tony Bouilhet que le design scandinave est remis en lumière.
Également sous son impulsion, le magasin parisien se mue en galerie d’art pendant la Seconde Guerre mondiale, et même longtemps après, accueillant les œuvres de Cocteau, Man Ray, Vasarely (dont les assiettes peintes sont exposées). Un regard précurseur qui trouve, des décennies plus tard, un écho dans des partenariats fructueux avec Ora-ïto, Marcel Wanders, Martin Szekely et des interprétations pop (par Pharrell Williams ou encore Karl Lagerfeld) du Mood (2014), cette ménagère contemporaine au design épuré façon œuf d’autruche qui a su remettre au centre de la table la vénérable institution alors en perte de désirabilité.
Christofle, ambassadeur du luxe français
Depuis sa fondation, Christofle est LE fournisseur officiel des tables de prestige : du Second Empire – où l’impératrice Eugénie contribue à son succès – à l’Élysée, aux ministères et autres palaces, dont le Ritz et le Meurice. À bord du Normandie, de l’Orient-Express et du Concorde, ses créations font voyager et rayonner l’art de vivre à la française.
Grâce à une scénographie ingénieuse, utilisant notamment des caisses de voyage, l’on peut d’ailleurs s’immiscer dans certains de ces intérieurs reconstitués. Le parcours culmine avec une magistrale table opulente, où se côtoient pièces historiques et créations modernes, présentée en contrepoint avec le service Vertigo, d’Andrée Putman aux lignes pures, qui semble flotter au-dessus d’une table dédressée.
En guise de final : l’Ode aux origines, tout juste sorti des ateliers de Yainville (76) après un an et demi de travaux, dialogue avec le Dauphin de style Art déco, créé en 1925, qui réinventait, déjà en son temps, l’idée de ces grands centres de table, servant à la fois de décoration et de support pour disposer sel, poivre, plats de service, bougies et bouquets de fleurs. Toujours dans la tendance, jamais dans la même direction… Les secrets de la longévité ?
> « Christofle, une brillante histoire », jusqu’au 20 avril au MAD Paris. Plus de renseignements ici.
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