Bonn. Courtesy Galerie Suzanne Tarasiève

Expo : le photographe Boris Mikhaïlov raconte l’anti-héroïsme

Depuis plus de cinquante ans, l’artiste ukrainien né à Kharkiv en 1938 milite pour une résistance visuelle à travers ses photographies. Deux expositions parisiennes rendent compte de la pratique expérimentale d’un créateur engagé dans les problématiques sociétales et politiques de son pays.

Boris Mikhaïlov se lance à la fin des années 60, en répondant à des commandes de particuliers. Il retouche et peint à la main des clichés de couples, d’enfants ou de proches disparus au front. À cette époque, il va puiser dans la photographie soviétique d’alors des images qu’il détourne pour parodier les récits historiques du communisme.

De gauche à droite, les tirages «Red» et «Case History».
De gauche à droite, les tirages «Red» et «Case History». Bonn. Courtesy Galerie Suzanne Tarasiève

« Le travail d’un photographe est de toujours trouver cette frontière subtile et vague entre le permis et l’interdit. Cette frontière est en constante évolution comme la vie elle-même. » Cette citation illustre la conception d’une activité expérimentale pionnière. Jamais Boris Mikhaïlov n’a cherché à réaliser un beau tirage. Au contraire, il produit des images peu contrastées, floues, développées rapidement sur des papiers à bas prix.

Des photographies militantes

Tirage de la série « Yesterday’s Sandwich » (1966-1968).
Tirage de la série « Yesterday’s Sandwich » (1966-1968). Bonn. Courtesy Galerie Suzanne Tarasiève

Dans la série « Luriki 1971-1985 », il recouvre de couleurs criardes des clichés noir et blanc dupliqués pour caricaturer la propagande du gouvernement. Avec « Black Archive 1968-1979 », il documente le quotidien des habitants de Kharkiv et révèle la fracture entre sphère publique et privée. Les deux séries attestent d’une idée très personnelle de la beauté. Pour lui, un tirage impeccable ne peut refléter les épreuves de la vie.

Avec Viscidity 1982, Boris Mikhaïlov réalise un livre d’artiste composé de textes et d’images collées sur de simples feuilles de papier. Pour « By the Ground 1991 », il parcourt les rues avant et après la chute de l’URSS pour montrer le sort des démunis avec des clichés peints à la main en sépia et rehaussés de brun. Plus de vingt séries, soit 800 œuvres, alimentent ainsi la rétrospective présentée à la Maison européenne de la photographie, à Paris. Pour « At Dusk, 1993 », série exposée à la Bourse de commerce, Mikhaïlov suggère que ses prises de vue ont été capturées entre chien et loup.

Tirage de la série «Luriki».
Tirage de la série «Luriki». Bonn. Courtesy Galerie Suzanne Tarasiève

Il poursuit là son état des lieux de l’effondrement de l’ordre social au lendemain de la chute de l’URSS, avec des tirages bleu cobalt, couleur crépusculaire. Entre photographie documentaire et travail conceptuel, ses séries, puissantes et parfois glaçantes, traversent l’histoire de la tragédie du peuple ukrainien, plongé dans un conflit sanglant déclenché par le pouvoir russe.

> « Boris Mikhaïlov, journal ukrainien ». À la Maison européenne de la photographie, 5-7, rue de Fourcy, 75004 Paris, jusqu’au 15 janvier 2023. Mep-fr.org. « Boris Mikhaïlov, At Dusk ». À la Bourse de commerce, Pinault Collection, 2, rue de Viarmes, 75001 Paris, jusqu’au 16 janvier 2023. Pinaultcollection.com