En quoi consiste votre travail de directeur du design ?
Je ne fais pas que développer des produits avec les designers. Je m’occupe aussi de la communication et donc de l’image d’Established & Sons dans le monde, des scénographies aux publications. Tout est lié. Ce n’est pas si compliqué parce que nous sommes une société de taille raisonnable. Mais nous avons beaucoup à faire et à dire !
Pourquoi insistez-vous pour que ce que vous présentez lors du Salon du meuble de Milan soit rapidement disponible ?
Parce que dès que les gens voient quelque chose, ils se projettent chez eux. Nous ne présentons pas des concepts, ce sont des pièces à livrer rapidement. Ceux qui exposent des prototypes au salon de Milan sans donner suite laissent penser qu’ils ne croient pas en leur produit.
L’agenda et les échéances des salons pressurent-ils la création et la production ?
Même si tout va plus vite qu’avant, les échéances du design ne sont pas aussi rapprochées que celles de la mode. Néanmoins, un produit que l’on ne fait pas exister rapidement, c’est comme s’il disparaissait. Alors que celui qui n’a eu aucun succès au début mais qui a le mérite d’exister peut finir par s’imposer au bout de dix ans.
La chaise Mauro ne fait-elle pas de l’ombre aux autres chaises du catalogue d’Established & Sons ?
Je suis très heureux de vous entendre poser cette question ! Son élégante praticité est ce que je visais. À savoir que cette chaise devait remplir le maximum de cases, par son apparence, son confort, son ergonomie, le fait qu’elle soit parfaitement empilable, et même par l’histoire de son processus de fabrication.
En 2018, les chaises en bois ont la fluidité du polypropylène. En 1976, la Mauro avait déjà cette fluidité.
Absolument. Si vous vous penchez sur l’histoire de son designer, Mauro Pasquinelli, c’était le parfait outsider. Il ne dessinait que des chaises, mais très sérieusement. Il n’est pas encombré par son ego, bien qu’auteur de créations remarquables.
Comment l’avez-vous rencontré, lui qui justement est si discret ?
J’étais tombé sur l’une de ses réalisations dans un atelier à Manzano (Italie). Elle m’avait séduit mais il m’a fallu plusieurs semaines pour en retrouver l’auteur. Lorsque nous nous sommes finalement rencontrés dans sa maison à Florence, il nous a montré une autre chaise qu’il avait conservée. Il la trouvait plus intéressante à éditer. A l’époque, je doutais car elle avait des points faibles. La réaliser telle quelle était risqué. Grâce aux artisans, nous avons largement surmonté toutes les contraintes. Elle est maintenant devant vous, parfaite pour le marché 2018.
Comment cette chaise Mauro a-t-elle été accueillie ?
Des amis qui sont dans le métier ont voulu me dissuader de la réaliser, la jugeant fragile. Mauro Pasquinelli, 89 ans, était sûr qu’il était possible de la produire industriellement. Et voilà le résultat ! J’ai encore une fois pu constater à quel point la souplesse des fabricants italiens leur permet de toujours trouver des solutions.
Vous avez conçu des lampes qui, elles, sont artisanales…
Je ne voulais pas de symétrie. Tout est fait main, donc si l’on compare deux lampes, les lignes du globe sont toujours différentes. Elles ne se rejoignent qu’en un seul point. Je trouve ça très beau. C’est le résultat d’une antique technique vénitienne de verre soufflé à la main, dont le savoir-faire est d’ailleurs jalousement gardé secret. Cela peut donner des créations presque kitsch donc on a donc fait attention.
Pourquoi avoir travaillé avec le jeune Dimitri Bähler ?
C’est un excellent designer, plein d’idées et promis à un bel avenir. Sa lampe est en fibre de carbone et papier washi. Je la trouve simple, apaisante, pure et sculpturale. C’est un objet fonctionnel qui ne manque pas de charme. On peut lire ou dîner à sa lumière. Dans le rush du salon de Milan, il fallait stopper les gens pour qu’ils puissent bien l’apprécier.
Comment évite-t-on de créer le canapé de trop ?
Nous avons toujours eu beaucoup de canapés rembourrés dans notre collection. Cela avait donc du sens d’en réaliser d’autres. Le travail de Konstantin Grcic et des frères Bouroullec, autant en matière de tapisserie que de design, est aussi passionnant que pertinent. De ces designers émane une vraie recherche sur ce que peut être un sofa, car tous deux cultivent une certaine liberté dans leur façon de s’attaquer à leur sujet… Ce qui nous va très bien. La question de savoir jusqu’à quel point le choix du tissu influe sur le résultat est souvent sous-estimée.
Qu’est-ce qui a changé ces dernières années dans le marché du design ?
À la fois le retail et le contract, qui sont devenus énormes. Il faut communiquer de la meilleure des façons, du numérique jusqu’aux foires, en passant par le lien direct avec nos clients. Nous devons continuer à réaliser des produits qui ont une voix et tiennent debout. Il faut réussir à être commercial tout en restant à la pointe de la créativité.