Portrait : qui est Garance Vallée, la designer incontournable du moment ?

À la fois architecte, designeuse et artiste, ancrée dans la contemporanéité, Garance Vallée conjugue la théâtralité des créations 80’s au minimalisme des années 1990, le tout saupoudré d’influences modernistes. Attendue pour sa collection chez Monoprix, annonçant une série de meubles chez Monde Singulier, elle creuse un sillon zigzagant pour devenir incontournable.

Devant l’atelier qu’elle partage avec son mari, l’artiste textile Franck Pellegrino, une plaque sur la façade annonce : « Clinique du musicien et de la performance musicale ». Le nom de cette maison de santé destinée aux artistes, située dans l’arrière-cour de leur immeuble, fait sourire, quand on sait que la jeune Garance Vallée, alors en master d’architecture à l’ENSA Paris-La Villette, a réfléchi, dans son mémoire, à l’idée de calculs liés au mouvement pour les plans : « Pourquoi sont-ils si rigides alors qu’on construit un bâti pour y vivre et y bouger ? », se remémore-t-elle.


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Inclassable Garance Vallée

Elle proposait par exemple le rond de jambe de 90 degrés comme unité de mesure. « Cette pensée autour du corps et de la construction pour le vivant, j’essaie de ne jamais m’en déconnecter. » Pour beaucoup, Garance Vallée est aussi une figure des réseaux sociaux. Elle y poste ses voyages, ses tenues, ses dessins ou ses projets. Avec 105000 abonnés, elle parle même de « communauté », et revendique l’idée qu’Instagram est « une plateforme où mon bagage de scénographie a été primordial. C’est moi qui décide de ce que je veux dire et je peux y développer la question de la représentation de mon œuvre ».

L’installation en fer forgé de la designer pour  Perrier-Jouët.
L’installation en fer forgé de la designer pour  Perrier-Jouët. Ludovic Balay

Cette touche-à-tout ne laisse rien au hasard. Ayant grandi avec un père artiste-peintre et une mère devenue son agente « par la force des choses », elle s’endort tous les soirs au son du pinceau de Christian Vallée – dit « Kriki » – sur la toile, dont l’atelier est de l’autre côté du mur de sa chambre. Elle assiste surtout à la « construction de la pensée » paternelle, et sait combien l’idée prévaut sur l’image.

Les premiers temps, nombreux lui ont demandé de choisir entre design, art et architecture. Elle se sert alors d’Instagram pour présenter toutes les facettes de son travail : « Même lorsqu’il n’y avait pas de projet, hop! je postais un objet, hop! je pondais une toile, hop! je fabriquais une maquette. Cela a été une clé pour poser mon univers. »

Chandelier, verre, vase et céramiques pour Monoprix.
Chandelier, verre, vase et céramiques pour Monoprix. Ludovic Balay

À la faveur d’un stage à New York en 2016 dans l’agence d’architecture Lot-Ek, elle découvre qu’il est possible d’être à la fois renommée pour son architecture et son art. En rentrant, encouragée par la directrice du studio, elle expose ses dessins à Paris. Des croquis, qui recèlent déjà des grottes et des courbes, comme des « graines de futurs volumes », sourit-elle.

C’est aussi ce que pense Martina Gamboni, directrice d’une influente agence de presse qui découvre son travail. « “J’adore tes dessins, peux-tu les faire en vrai?” m’a-t-elle demandé. Et j’ai foncé. J’ai emprunté la perceuse de mon père, j’ai bouché mon évier en coulant des pièces en béton, j’ai travaillé pendant dix mois pour réaliser ma première installation nommée Terra lors de la Design Week de Milan 2018.” » À partir de cette carte blanche, tout s’enchaîne. Elle démontre que ses mises en scène peuvent devenir réelles. En 2019, les parfums Margiela la contactent pour créer une installation.

Scénographie à la galerie Almine Rech, à Paris, pour son exposition solo, intitulée « Tous ces objets qui n’en sont pas »: La chaise treillis et Une table pas si basse (2023).
Scénographie à la galerie Almine Rech, à Paris, pour son exposition solo, intitulée « Tous ces objets qui n’en sont pas »: La chaise treillis et Une table pas si basse (2023). DR

En 2020, elle signe une collection de papiers peints pour Elitis et un packaging, puis un décor, pour Nike. Cette même année, elle présente ses meubles de design de collection à Unique Design Shanghai. Déjà, ses tapis y sont troués, son fauteuil triangle trône, tout d’acier vêtu, et son chandelier en fer forgé, rassemblant trois tiges de formes diverses, fait office d’icône. En 2021, elle collabore avec la galerie Garcé&Dimofski sur ses premiers luminaires. Puis, en 2022, c’est Perrier-Jouët qui la contacte pour créer une installation immersive où des sculptures miroirs subliment le fer forgé.

À la frontière du design et de l’art

Ensuite, tout s’accélère, la création d’une paire de chaussures pour Paraboot, des fauteuils pour l’éditeur Bisa, son exposition personnelle, en 2023, à la galerie Almine Rech, à Paris, la plaçant définitivement à la frontière du design et de l’art. Durant cette période, elle découvre le travail avec les artisans, « ces mains qui interprètent mon dessin et le rendent vivant », se réjouit-elle.

En 2020, au Unique Design Shanghai, les tapis troués aux angles transformés, de Garance Vallée, édités par Nordic Knots et fabriqués à partir de laine néozélandaise.
En 2020, au Unique Design Shanghai, les tapis troués aux angles transformés, de Garance Vallée, édités par Nordic Knots et fabriqués à partir de laine néozélandaise. Ludovic Balay

Elle cite par exemple Joël Guillaume, ferronnier d’art, capable de faire vibrer la matière. « J’adore m’entourer de tous ces savoirs. Je peux garder une fraîcheur presque enfantine dans mon dessin et ne me soucier de la faisabilité qu’ensuite, avec eux. » Une osmose qu’elle ressent également lorsqu’elle travaille avec Garcé&Dimofski, « une galerie qui s’appuie sur les nombreux savoir-faire portugais ».

À Milan, cette année, elle présentera sa collection pour l’éditeur Monde Singulier axée sur l’Inox, la résine et la laque, dans une scénographie qu’elle a voulue mi-japonisante, mi-Stanley Kubrick 2.0. Tentée d’innover pour repousser ses codes, elle a préféré se concentrer sur son « langage de formes ». « J’ai pensé : qu’est-ce qui fait que c’est du Garance? J’ai réuni les éléments qui se répètent pour asseoir mon vocabulaire et présenter quelque chose d’intemporel », décrit-elle.

Céramiques de Garance Vallée pour Monoprix.
Céramiques de Garance Vallée pour Monoprix. Ludovic Balay

De l’autre côté du spectre, elle signe une collection d’arts de la table pour Monoprix, en boutiques le 23 avril. « Sur mon bureau, il y a toujours beaucoup de maquettes, de volumes. J’ai voulu transposer cette échelle sur une table de salle à manger imaginaire », raconte celle qui avait à cœur de « parler à sa génération » et de faire en sorte que « ceux qui font que mon travail a des résonances partout dans le monde aient un peu de moi chez eux ».

Résultat : des plateaux, des coupes à fruits, des assiettes, un chandelier, des bols, des plats, des mugs, un pichet, une théière et des verres à pied aussi réussis que sculpturaux, positionnant Garance Vallée dans une identité forte et reconnaissable entre mille. Sans compter la scénographie, qu’elle travaille, pour que ceux qui achètent ses objets aient l’impression de s’offrir un bien « précieux », précise-t-elle. Car le bijou ne va jamais sans l’écrin : « Quand je pense un objet, je pense à sa famille, puis je pense à sa maison. Qui sont ses cousins? Et dans quel environnement va-t-il vivre? »

Scénographie pour La Maison d’en face, le spectacle du danseur Léo Walk et sa compagnie La Marche Bleue.
Scénographie pour La Maison d’en face, le spectacle du danseur Léo Walk et sa compagnie La Marche Bleue. Ludovic Balay

Inutile donc de conter sa joie lorsque le danseur Léo Walk l’a contactée pour réaliser la scénographie de son spectacle, La Maison d’en face. Pour cette ancienne danseuse, c’était « un projet fantastique ». Elle a imaginé une maison moderniste, blanche et évanescente, s’ouvrant face au public, dans laquelle dix chaises s’emboîtaient pour accueillir un seul et même banc puis se dissocier, s’entremêler et, enfin, s’empiler pour former une sculpture.

Des « décors dansés », résonnant avec la Parisienne de 31 ans qui réfléchit de plus en plus à des projets « performatifs ». Ne surtout rien s’interdire, « pas même une collection de mode ou travailler avec un musicien: ce serait intéressant de designer de la musique ». Après tout, nous sommes à deux pas de la clinique des musiciens.


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