Rien ne destinait Tiberio Lobo-Navia et Robert Wright, tous deux natifs des États-Unis, à créer une marque de tapis marocain design établie au Maroc. Encore moins à y adjoindre une manufacture en leur nom, regroupant dans un même lieu : showroom, atelier de tissage et studio de design. Bienvenue chez Beni Rugs.
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De Marrakech à Manhattan, la naissance d’une idée tissée main
« On était en 2015, raconte Robert Wright. Et à part une brève excursion lorsque j’étais étudiant à Paris, c’était ma première venue à Marrakech. À cette époque, je travaillais dans la mode et je venais de réaliser un shooting pour la marque d’espadrilles Soludos. Le matin de la séance photos, le propriétaire des lieux et son cousin nous ont conduits sur leurs motos dans les méandres de la médina, jusqu’à leur boutique de tapis. Là, je suis tombé amoureux. Au lieu de travailler, j’ai passé les premières heures à écouter le gérant parler de ses textiles, de la fabrication, en sirotant du thé à la menthe. »
Deux ans et demi après, Beni Rugs naissait. Après s’être informés sur le processus traditionnel de fabrication des tapis, ses deux fondateurs, Robert Wright et son compagnon Tiberio Lobo-Navia, alors dans l’hôtellerie, s’appuient sur un réseau de producteurs et de coopératives à travers tout le Maroc. Et ils apprennent. Devant le succès de leur marque aux États-Unis – où se déroule le principal de leurs ventes –, ils réfléchissent à aller plus loin. « Nous voulions notre propre production, pour avoir la main sur la qualité et proposer du sur-mesure, mais aussi mettre au centre de notre projet ces artisanes marocaines qui tissent nos tapis », expliquent-ils. En 2021, le Beni Studio est créé à Tameslouht, à trente minutes au sud de Marrakech. Rénové en 2024, il compte aujourd’hui 85 tisserandes, 55 métiers à tisser et 23 membres au sein de l’équipe de lavage des tapis, contrôle qualité et finitions main.
Le savoir-faire marocain au cœur des tapis Beni Rugs
Les rencontres ont largement participé au succès de l’entreprise. Grâce à son fournisseur de teintures, Tiberio Lobo-Navia fait la connaissance de Rachida Ouilki, qui devient la tisserande en chef. « On a appris plus tard, raconte Robert Wright, que l’un des vœux de Rachida était de diriger une équipe et d’attirer des jeunes femmes vers le tissage pour que cet artisanat traditionnel ne disparaisse pas. »
Elle possédait même un métier à tisser ancien, que l’équipe a transformé en prototype pour en confectionner d’autres. Pour réaliser un tapis, « tout commence par la matière première : la laine de mouton », développe le cofondateur. Celle-ci provient de troupeaux locaux, élevés et tondus dans les montagnes voisines. Elle est ensuite traitée (nettoyage, filage, teinture), à Rabat, par une entreprise familiale, avec qui Beni Rugs a développé des couleurs en exclusivité.
« Puis, quand un client passe commande, on crée une fiche technique personnalisée. Notre équipe graphique transforme la demande en schéma visuel pour la tisserande, et elle monte ainsi son métier en créant sa chaîne [structure verticale du tapis, NDLR]. » Selon la largeur du tapis, il peut s’agir d’une seule artisane ou d’une équipe de six ou sept personnes qui travaillent de manière synchronisée. Chez Beni Rugs, deux techniques sont utilisées : celle du tapis noué, réalisée, comme son nom l’indique, en nouant la laine autour des fils de chaîne pour un résultat plus épais et donc plus moelleux ; et celle du tapis tissé à plat, où la laine est simplement tissée à travers la chaîne, puis tassée avec un marteau pour un résultat très fin.
Une fois le textile créé, voici venu le temps du lavage : « On retire le tapis du métier et on brûle légèrement toute sa surface avec un chalumeau, pour éliminer les impuretés et ouvrir les fibres. Puis l’équipe le lave à la main, au savon et à l’eau, en brossant énergiquement. Ils alternent lavage et séchage jusqu’à cinq fois pour obtenir la bonne texture. » Inspectée, puis nettoyée et contrôlée, la pièce est emballée avant d’être expédiée. Pour un petit tapis (90 × 150 cm), il faut compter une à deux semaines de tissage. Pour un grand ? Le double ou le triple.
Dans les coulisses d’une manufacture contemporaine
À Tameslouht, passants comme clients peuvent pousser les portes de la manufacture. Évidemment, ils n’entrent pas directement dans les ateliers, mais ils peuvent découvrir le showroom, pensé par Colin King, le directeur artistique de la maison. « C’était important pour nous d’avoir un espace mixte où la production n’était pas à des kilomètres du studio de design. Pouvoir recevoir un client ici est un rêve ! » résume Robert Wright.
Tout le bâtiment est conçu autour d’une cour centrale, qui permet à chacun de s’entrapercevoir au travers d’immenses baies vitrées. L’ensemble des menuiseries sont peintes en vert sauge, référence à Bill Willis (1937-2009), l’architecte et décorateur de la villa Oasis, résidence d’Yves Saint-Laurent à Marrakech. Les murs en tadelakt marocain (une technique de plâtre à la chaux ancestrale) répondent aux sols en carreaux bejmat, également typiques du pays.
Dans cet écrin respectueux du territoire, la décoration se déploie, elle aussi. Des coffres antiques marocains font face à des lampadaires Art Déco, quand une chaise de Gerrit Thomas Rietveld, conçue en 1934, côtoie une paire de fauteuils en cuir de la designeuse moderniste cubaine Clara Porset. Harvey Guzzini, Mies van der Rohe ou Charlotte Perriand habillent les lieux, où d’autres designers, invités à collaborer, viennent s’inspirer. Dans la section « camaraderie créative » de son site, Beni Rugs cite des noms illustres : Frama, Studio KO, Garcé Dimofski ou Athena Calderone. Tous ont signé pour l’éditeur de tapis des collections contemporaines rendant hommage à la tradition marocaine.
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