Aujourd’hui, la question de l’environnement est centrale. Mais au milieu des années 90, quand Isabel Van Haute était étudiante à l’École d’architecture Saint-Luc, à Gand, et Thomas à l’École spéciale d’architecture, à Paris, le sujet n’était évoqué qu’à propos d’architectes très spécialisés dans le bioclimatique. Les étudiants et les jeunes architectes faisaient alors selon leur culture et leur sensibilité.
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Tout juste diplômés, Isabel et Thomas se rencontrent au début des années 2000 chez SCAU, une grande agence parisienne. Le duo, hypersensible aux espaces et aux lieux, privilégie l’ancrage des projets sur un territoire donné ainsi que leur lisibilité, essentielle pour que leurs usagers se l’approprient.
Leur but : créer des lieux excitants à construire et qui font rêver, rien de moins. Comme la maroquinerie de la Sormonne, à Tournes, dans les Ardennes, édifiée cette année pour Hermès et conçue comme un village d’artisans : 5 900 m2 plantés dans la prairie, coiffés d’une suite de toits pentus qui dessine dans le ciel le profil d’une petite chaîne de montagnes.
Les grandes baies vitrées laissent entrer la lumière naturelle nécessaire aux artisans, mais aussi la beauté du paysage. La manufacture a été placée sur la parcelle de façon à bénéficier du maximum d’ensoleillement pour, concrètement, obtenir un bilan énergétique positif.
Le bâtiment n’use d’aucune énergie fossile ; les matériaux utilisés, du bois principalement, ont été choisis en vue de réduire son empreinte carbone et aucun d’eux n’a été acheminé depuis plus de 400 kilomètres alentour.
Une attention à la planète qui va de pair avec celle accordée aux personnes. Un équilibre soutenu par Olivier Fournier, directeur chargé du développement durable chez Hermès, pour qui il est primordial de « maintenir des sites à dimension humaine ; pas plus de 250 artisans, regroupés en pôles régionaux pour la transmission et l’essaimage de notre savoir-faire ».
Si le bâtiment s’élève sur le haut de la parcelle, c’est pour laisser, d’une part, passer la faune et, d’autre part, pousser la flore.Aux panneaux photovoltaïques s’ajoute un système de géothermie qui récupère les calories stockées sous terre. Après une unité à Louviers, en Normandie, une à Tournes, Coldefy en réalise actuellement une troisième, tout près, à Charleville-Mézières.
Avec déjà plus de soixante programmes à leur actif, les Coldefy renvoient une image de discrets réservés. Et pourtant… Flashback : 2004, New York, Isabel, supposée en vacances, téléphone directement à celui chez qui elle veut travailler… et ça marche ! Quand elle entend: « Oui, Richard à l’appareil », son interlocuteur n’est autre que le grand architecte américain Richard Meier.
Thomas, de son côté, après avoir activé un contact rencontré à l’école, travaillera deux ans dans le célèbre studio Kohn Pedersen Fox, également à New York. Objectifs atteints, en 2006, le couple fonde sa propre agence en France, à Lille. Cinq ans plus tard, le duo remporte le concours de l’Institut du design de Hongkong devant 161 projets.
Ce campus (42 000 m2) réunit quatre départements universitaires, un centre éducatif, des espaces d’exposition, un auditorium, un restaurant et un café. Pour Thomas, le bâtiment se devait d’avoir un espace social avec jardin, place et diner. Au centre de leur projet, il y a souvent « un espace central, plus vide », fait-il remarquer.
À Hongkong, cela se concrétise par un atrium abrité et frais ; une alternative conviviale à la pluie ou à la moiteur. Toujours pour pallier la chaleur, la structure favorise les courants d’air.
Au-dessus d’un premier niveau, les salles de cours sont incorporées dans des « piliers de l’éducation » qui portent l’institut et ses services. L’architecture vernaculaire représente aussi pour le couple une bonne source d’inspiration.
Cette année, le projet Oasis, un programme résidentiel mixte à Montpellier, puise par exemple dans l’architecture méditerranéenne. Coldefy a fixé sur le bâtiment des « casquettes » solaires en bambou issu de la bambouseraie d’Anduze, située à une soixantaine de kilomètres. Pour le duo, les scénarios liés à l’environnement ne sont pas plus difficiles, ils relèvent surtout du défi permanent de faire de meilleurs bâtiments.
Au lieu de bunkers climatisés, Coldefy recherche plutôt des solutions innovantes. Et, justement, l’agence a été consultée cette année par des experts en ingénierie bioclimatique dans le cadre du projet Archisobre, de Bouygues. Il s’agit d’un concept de building très bas carbone, divisant potentiellement par trois l’impact environnemental d’un immeuble du tertiaire.
Résultat : en forme de riad contemporain, le bâtiment dispose d’un patio fertile, végétalisé et bioclimatique. L’air frais y est capté par des « tours à vent » placées en son sommet qui vont servir à rafraîchir les bureaux.
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Les coursives sont également végétalisées et ornées d’esthétiques et efficaces brise-soleil. Mais plutôt que d’en parler en termes purement techniques, Thomas Coldefy et Isabel Van Haute préfèrent « ajouter du rêve ». Ils sont sensibles à l’idée que l’architecture, au-delà de ses fonctions, délivre des messages.
À Bruxelles, siège du Parlement européen, Coldefy rénove, modernise et végétalise actuellement, avec un collège d’architectes européens, le bâtiment Paul-Henri Spaak (inauguré en 1993). Celui-ci donnera dorénavant sur une place publique. Dans l’hémicycle, les fonctionnaires vont ainsi délibérer « reliés au monde » grâce à une baie vitrée ouverte sur la ville.
Les visiteurs accèderont aussi à un rooftop planté, encadrant un gigantesque oculus avec vue sur la salle des parlementaires. Plus forte encore est la charge narrative de leur projet américain en cours de réalisation pour le National Pulse Memorial&Museum.
Comment rendre hommage aux victimes de la tuerie homophobe d’Orlando de 2016 ? Le jury, en partie composé de personnes affectées par ce drame, a été convaincu par le projet et le profil de l’agence Coldefy, rivalisant avec des studios du calibre du néerlandais MRDV ou de celui de l’Américain Daniel Libeskind. Résultat : sur le site, la boîte de nuit Pulse a été conservée.
Autour pousse un jardin planté de 49 arbres, avec un bassin dont le fond se pare de 49 couleurs mises au point par l’artiste français Xavier Veilhan : un arbre/ une nuance pour chaque disparu. La fondation One Pulse disposera d’un musée et d’un centre éducatif conçu en spirale, avec des jardins verticaux et un rooftop.
Dans l’entrée de l’agence, on peut voir trôner une maquette. C’est la préfiguration du centre culturel et artistique de Bao’an que le studio livrera à Shenzhen (Chine), en janvier prochain. Le bâtiment abritera un musée, une galerie d’art et un hall d’exposition, le tout offrant un large point de vue sur la ville. Au rez-de-chaussée, un lobby citadin dessert commerces et métro.
En étage, un deuxième lobby, en extérieur et suspendu, accueillera des espaces végétalisés. Si Coldefy a été choisie là aussi parmi un grand nombre de concurrents, c’est qu’elle a su exprimer l’idée d’un centre culturel accessible à tous et où la préoccupation du bien-être est visible.
Il en va de même avec la Fondation de Chine, l’écocampus réalisé à Paris sur le site de la Cité internationale universitaire, où 300 étudiants intégreront bientôt leurs chambres. La gageure ? Les loger certes dans un parc, mais en bordure du périphérique. Surprise : une fois les doubles-fenêtres fermées, le silence est d’or. Et qui sort de sa chambre sur les coursives est comme protégé par une paroi de bois comparable à un caillebotis.
Les escaliers fonctionnent comme une colonne vertébrale et ménagent des espaces de rencontre. Au grand jardin du rez de- chaussée s’ajoute un second aménagé sur le toit, qui bénéficie d’une vue panoramique sur la capitale.
La façade de brique française d’un gris qui rappelle les murs de Pékin s’inspire de l’architecture défensive des tulou chinois (une forme d’architecture communautaire traditionnelle, NDLR)… On décèle la fusion concrète de deux cultures au travers de la collaboration de deux agences, puisque Coldefy a travaillé ici avec l’Atelier FCJZ, de Pékin.
Confrontés à la complexité des contraintes contemporaines, nos deux architectes demeurent optimistes et sensibles à tout ce qui relève de la création. L’absence de rêve? Ce serait pour eux comme une panne de carburant.
C’est simple, Coldefy s’intéresse aux fonctions, aux performances, mais ne perd jamais de vue la paix ressentie une fois qu’on ferme la porte de son logis ou le message qu’un bâtiment public doit véhiculer aux yeux de tous. Plus que de « machines à habiter », il s’agit plutôt pour eux de créer des machines à ressentir.
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