Au 2e étage de la Grande Épicerie de Paris, au Bon Marché, l’œil est attiré par un présentoir en métal tournant, désuet, qui semble tout droit sorti de nos souvenirs de vacances, enfants en quête de la carte postale idéale à envoyer aux amis pour ne pas qu’ils nous oublient. « Bons baisers de Saint-Tropez« , chatons trognons, patchwork de paysages frôlant le mauvais goût… Loin de ces kitcheries, de l’objet éphémère qui finit souvent froissé, tâché, jeté, ces cartes-là sont non seulement belles, mais précieuses. Fabriquées en porcelaine émaillée, les créations de Caroline Cutaia ouvrent des fenêtres sur la mer, y font rentrer le soleil, les mimosas et les palmiers, et nous transportent dans un été sans fin. Jusqu’au 18 août 2024, les œuvres colorées de la céramiste squattent le grand magasin parisien dans le cadre de leur exposition « Tous Fadas » hommage à la Cité Phocéenne. L’occasion rêvée de discuter avec la Marseillaise, jeune maman solaire qui crée comme elle respire.
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IDEAT : Enfant, comment s’exprimait votre créativité ?
Caroline Cutaia : J’ai parlé très tard, à 4 ans seulement. J’ai donc très rapidement saisi d’autres outils, notamment créatifs, pour m’exprimer. Je vis créatif. La création ne s’arrête pas lorsque je ferme la porte de mon atelier. Tout mon fonctionnement, même la façon dont je m’alimente, tout, fait partie d’un système créatif.
IDEAT : Avez-vous grandi au sein d’une famille qui encourageait la pratique artistique ?
Caroline Cutaia : Pas du tout ! Mes parents sont très sportifs. Mon père était commando et nous habitions dans une cité militaire. Ma mère, elle, était prof de sport. Notre famille était très axée sur le corps. Je faisais beaucoup de sport, mais je n’ai jamais pris de cours de dessin. Ma sœur est monteuse et réalisatrice. Ce sont des choix qui nous appartiennent, mais mes parents nous ont toujours encouragées et soutenues. Quand j’ai voulu en faire mon métier, étant donné qu’ils ne connaissaient pas du tout le milieu, ils n’avaient aucun a priori négatif qui justifierait qu’ils s’y opposent.
IDEAT : La pratique artistique, manuelle est donc une vocation ?
Caroline Cutaia : J’ai en effet toujours su que je travaillerai dans un domaine artistique. Et depuis la fin de mes études je n’ai fait que ça. Je dessinais beaucoup et j’avais des tas de rituels très singuliers. Je confectionnais des cartes postales, des enveloppes, créais des catalogues qui, avec le recul, me font penser à des moodboards. J’ai grandi dans une forêt près de la frontière allemande. J’y passais beaucoup de temps, je fabriquais beaucoup de choses dans la nature. Ma chambre ressemblait davantage à un cabinet de curiosité, entre mes créations et tout ce que je collectionnais.
IDEAT : Êtes-vous toujours une collectionneuse dans l’âme ?
Caroline Cutaia : Oui ! Celle qui m’est le plus chère aujourd’hui, ce sont mes cartes postales. J’ai tout un protocole autour de cet objet et une réflexion autour des babioles souvenirs.
IDEAT : La carte postale est un peu une obsession.
Caroline Cutaia : Dès que je suis dans un pays étranger, j’écume les brocanteurs dans l’espoir de trouver de vieilles cartes postales déjà écrites et cachetées et je réécris par dessus, remets un timbre… J’adore les cartes postales promotionnelles. J’ai mangé de la culture carte postale à tous les étages, que ce soit professionnel ou à travers des œuvres d’autres artistes. La carte postale incarne quelque chose que j’apprécie énormément. Il y a une double lecture : d’un côté l’adresse du destinataire, de l’autre on s’adresse à lui, on adresse une intention.
IDEAT : Quelle est votre relation à l’objet ?
Caroline Cutaia : J’ai très rapidement pris conscience que les objets ont une vie plus bien longue, plus épaisse que la notre. Ils en traverse plusieurs : on se les transmet, on les revend sur des vide-greniers, ils atterrissent dans des musées… Le potentiel narratif des objets est très fort.
IDEAT : Et à la matière ?
Caroline Cutaia : Je m’exprime dans le faire, je réfléchis en fabriquant. Ce n’est pas l’un puis l’autre : les deux vont ensemble. J’aime travailler la céramique, j’éprouve une certaine satisfaction à observer l’évolution de cette matière qui bascule d’un état à l’autre. Et, même si on la façonne avec nos mains, le four a le dernier mot.
IDEAT : Comment avez-vous découvert la céramique ?
Caroline Cutaia : En 2019, mon studio photo a été cambriolé et je me suis retrouvée au chômage technique. Juste à côté, il y avait un atelier de céramique et j’ai donc commencé à consacrer du temps à la fabrication d’objets. J’ai réfléchi aux histoires que l’on peut raconter grâce à cette matière et au pouvoir visuel de ces pièces. Lorsque j’explique que je fais de la céramique, on me demande quel type d’assiettes je façonne. Ce n’est pas mon propos : je conçois des objets qui ont une utilité, certes, mais je ne les fabrique pas pour qu’ils soient utilisés.
IDEAT : Quelle a été la première collection que vous avez lancée ?
Caroline Cutaia : J’ai commencé par la collection « Habiter en vacances ». Je ne savais pas comment monter un volume. J’ai donc trouvé une alternative et créé des cartes postales perennes, un objet plat et peu contraignant en termes de façonnages, mais qui véhicule une idée forte. Finalement, après des études de communication visuelle et une carrière débutée en tant que vidéaste et photographe, faire du graphisme qui passe au lave-vaisselle me ressemble bien. Et puis, j’ai le sentiment que la boucle est bouclée, que cette sorte d’obsession que j’ai toujours eu pour les cartes-postales n’était pas veine, que cet objet m’a suivie toute ma vie, pour une raison.
> Les objets de Carolina Cutaia sont à découvrir au 2e étage de la Grande Épicerie de Paris du Bon Marché Rive Gauche jusqu’au 18 août 2024. Plus d’informations ici.
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