Dans le monde du commerce de détail – le retail –, où le client est en contact physique avec l’univers d’une marque, et plus encore dans celui du luxe, la standardisation est désormais honnie. À l’image du secteur de l’hospitalité, qui personnalise l’expérience de l’hôte, sont imaginés des scénarios architecturaux très singuliers valorisant tant l’identité d’une griffe que celle du lieu visité. Les grandes signatures s’y distinguent.
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Laura Gonzalez, parure d’intimité pour Cartier
Les meilleurs fruits sont souvent ceux qui naissent de divers bouturages. C’est ce que démontre, après deux ans de fermeture, la rénovation de la boutique Cartier, la vitrine phare du 13, rue de la Paix, à Paris (IIe), réalisée par les agences d’architecture intérieure Moinard Bétaille (qui oeuvre pour la marque depuis 1996) et Studioparisien, et par l’architecte d’intérieur Laura Gonzalez (voir aussi IDEAT #160).
Le challenge, qui consistait à opérer une synergie entre des univers variés, est amplement remporté. Soit six niveaux réorchestrés dans leur intégralité, dont un jardin d’hiver, un fonds enfermant les archives de la maison, sans compter une résidence située au cinquième étage, et dont Laura Gonzalez s’est occupée.
« Pour cette partie mansardée, j’ai souhaité reconstituer l’atmosphère d’un appartement privé, avec une salle à manger, un parquet en marqueterie, des portes en verre donnant sur un patio, une verrière intérieure et des voilages », explique celle qui collabore avec Cartier depuis plus de dix ans – en témoignent entre autres l’une des adresses londoniennes en 2018, celle de la place Vendôme, à Paris, en 2019, ou celle de Chengdu, en Chine, en 2022…
« On a travaillé avec des matières précieuses, posé des tapis tissés sur mesure, décoré avec du mobilier, des objets et des livres minutieusement choisis, éclairé de manière indirecte. L’idée a été d’unifier les volumes, de les rendre plus intimes, de diffuser une notion de bien-être immédiat. »
À travers cette rénovation subtile, il s’est surtout agi de fuir l’uniformité et les impératifs des espaces de retail habituels, et de réécrire le lieu à partir d’approches personnalisées. Pour un ensemble plus lumineux et lisible qui n’oublie pas la valorisation du patrimoine et les codes de la marque, chacun a donc fait référence, à sa manière, aux conventions, aux motifs et aux couleurs emblématiques de la maison et particulièrement aux symboles de la création joaillière, la flore et la faune, à travers notamment le bestiaire de Jeanne Toussaint (1887-1976), qui lança le leitmotiv de la panthère.
D’où ce fil conducteur résidant dans un mélange de codes classiques et de touches contemporaines, dans la réinterprétation des motifs d’archives et dans le travail des artisans d’art : Béatrice Serre, qui a réalisé une table en cristal, Pierre Mesguich, un sol en mosaïque, David Roma, une fresque murale, et les Ateliers Gohard et la brodeuse Lucie Touré, qui se sont retrouvés autour d’un paravent conçu par Laura Gonzalez. S.G.
Valentino, le couturier qui rhabille Paris
La maison de couture italienne Valentino révèle sa nouvelle adresse parisienne au 35, avenue Montaigne (VIIIe), à quelques pas de son précédent emplacement. Si l’architecte David Chipperfield s’était vu confier plusieurs réalisations par le passé, c’est cette fois en interne qu’a été imaginé le lieu, par le directeur général de Valentino en personne, Jacopo Venturini, et par le directeur créatif, Pierpaolo Piccioli, afin d’être au plus près des codes de la griffe.
Enjeu de marché et de visibilité, ce nouveau showroom parisien de 1 200 m2 se déploie sur trois niveaux, entre prêt-à-porter pour la femme, pour l’homme sur un étage entier, et les accessoires. L’espace mêle aux inspirations parisiennes celles de la marque : références aux arts décoratifs, clin d’œil aux années 70 et à la haute couture, escalier spectaculaire, matériaux précieux…
Le rouge, couleur signature de Valentino, vient ponctuer les volumes et s’installe dans une « Red room » dévolue au prêt-à-porter et aux accessoires pour la femme. L’artisanat est aussi célébré à travers les vitrines en laiton martelé de Fabio Cinti, les poignées en céramique de Massimiliano Pipolo et les lustres en plâtre du Parisien Alexandre Logé. Lieu de vie, la boutique a également vocation à accueillir de l’art, à l’exemple de Gioele Amaro, qui y expose du 15 juin au 15 juillet. O.W.
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Nocod écrit les codes du néo-luxe d’Amiri
Fondée en 2013 à Los Angeles, la griffe Amiri véhicule un luxe cool, inspiré de la culture skate et street, typiquement californienne. Floriane et Baptiste Dosne, diplômés respectivement de l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville et de celle de Paris-La Villette, fondent en 2015 leur studio, Nocod, dont la spécificité est de posséder une filière retail.
Ils s’appliquent depuis à mettre en forme une narration pérenne ou éphémère pour les maisons de luxe. Quand Amiri cherche à asseoir sa vision, c’est au duo français qu’elle fait appel. « Ils sont venus nous solliciter pour notre habitude à collaborer avec des maisons historiques et notre capacité à aider celles-ci à développer leur dimension statutaire », explique Baptiste.
De fait, Nocod collabore avec Vuitton à travers une « time capsule », un projet dont elle imagine à la fois le pavillon et la scénographie, décliné en 17 versions sur trois ans. Pour dessiner le vocabulaire architectural des boutiques d’Amiri, l’agence s’est emparée de la notion du luxe chère à la griffe, mais pas seulement : « Nous avons conçu un subtil équilibre entre les codes du luxe californien décontracté d’Amiri et une inscription dans la singularité des pays où la marque s’installe, à rebours de la culture des “boutiques d’aéroport” », détaille Baptiste.
Après une adresse à Las Vegas ont ainsi suivi New York, Miami et enfin Shanghai, dans un spectaculaire ensemble de 600 m2. La prochaine ? Rien moins que le flagship historique d’Amiri, sur Rodeo Drive, dans Beverly Hills. M.G.
> Nocod.fr
Gilles & Boissier, sur les pentes de la fidélité avec Moncler
Dorothée Boissier et Patrick Gilles ont réalisé pas moins de 300 boutiques Moncler dans le monde, à raison de 10 flagships en moyenne par an ! Les plus récentes sont celles de Pékin et de Shanghai, cette dernière s’étendant sur trois étages. La prochaine est prévue à Londres. Celle de Paris, rue du Faubourg-Saint-Honoré (VIIIe), la première en France, doit être refaite après les Jeux olympiques de 2024.
Si le positionnement est à chaque fois différent, un fil conducteur consiste à donner à chaque adresse la sensation d’être un lieu privé, en mettant l’accent sur l’importance des boiseries et des moulures et sur la technologie – comme utiliser un écran en tant qu’élément architectural. Tout a commencé il y a près de deux décennies.
« J’ai rencontré Remo Ruffini dans la station de Saint-Moritz, raconte Patrick Gilles. Il venait de racheter Moncler et c’est d’ailleurs là, en Suisse, que nous avons réalisé notre première boutique, qui a donné naissance à d’autres déclinaisons dans des stations de ski italiennes. L’orientation de la marque était alors de faire d’un accessoire de montagne un accessoire de ville. D’où notre travail en étroite corrélation avec la mode, avec la culture du lieu où le point de vente voit le jour, avec une certaine mise en scène, un sens du spectacle aussi. Contenant et contenu enferment donc un état d’esprit, un message, une émotion. Au fil des années, les flagships sont devenus de plus en plus luxueux, à l’image des vêtements. »
Et la fidélité du duo dans cette collaboration s’exprime jusque dans les résidences privées qu’il réalise pour Remo Ruffini et sa famille, à Rome et à Marrakech, entre autres… « Si le positionnement a changé, la personne que j’ai connue il y a vingt ans est toujours la même. Notre aventure est une histoire forte qui s’inscrit dans le temps. » S.G.
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Snarkitecture élargit les horizons de GANT
Suite logique à un repositionnement opéré depuis plusieurs saisons, la marque réinvente ses points de vente avec un concept, les GANT Studios, qui repousse les standards du retail. Entre héritage et progressisme, elle renouvelle ainsi son image sans rompre avec une identité forte, empruntée à l’Ivy League (ces universités privées du nord-est des États-Unis).
Conservant les codes stylistiques qui font son ADN, l’enseigne américaine de prêt-à-porter fondée en 1949 poursuit une mutation stratégique impulsée par son directeur artistique, Christopher Bastin, et sa vice-présidente exécutive, Eleonore Säll. Après des collaborations remarquées avec des ambassadrices dans l’air du temps (l’actrice et chroniqueuse Mathilde Warnier, le mannequin et DJ Agathe Mougin…) et une exposition itinérante de pièces d’archives passée par Paris au printemps dernier, l’entreprise inaugurait en mai ses premiers GANT Studios à New York et à Stockholm.
Présentées par Eleonore Säll comme « des espaces “expérientiels” servant de carrefour créatif », les deux adresses ne se contentent pas de vendre au détail, mais hébergent aussi « des expositions, des événements sociaux et d’autres initiatives inspirantes rapprochant les habitants et les clients, tout en mettant en valeur les collections ».
Mélangeant le patrimoine universitaire de GANT avec une conception plus futuriste du sportswear américain, chaque studio puise également quelques éléments d’architecture suggérés par sa ville d’implantation. Mais alors que celui de New York a été conçu en interne, le flagship de Stockholm a été entièrement réagencé par les très pointus créateurs de Snarkitecture.
Articulé entre un salon, un vestiaire, un coin lounge, une bibliothèque et une salle de récréation, le cœur du projet reste toutefois le studio : un lieu flexible et multifonctionnel qui favorise les interactions. « L’idée est de créer du lien avec nos visiteurs d’une manière différente mais authentique, résume Eleonore Säll. Nous aimons penser ce nouveau type de magasins comme la manifestation physique de la marque GANT et de sa personnalité. » P.L.
Atelier du Pont ressuscite Rouvenat
En 1851, le joaillier Léon Rouvenat saisit l’opportunité de l’Exposition universelle, organisée au Crystal Palace, à Londres, pour y présenter plusieurs de ses créations. Le succès est au rendez-vous, ce qui le conduit, l’année suivante, à inaugurer sa propre manufacture à Paris, actant les débuts officiels de la marque. Faute d’héritier, l’histoire se délite jusqu’à s’éteindre avant que ne soit exhumé un fonds exceptionnel de 3 000 gouaches révélant le souffle du fondateur.
Ainsi, cent soixante-dix ans plus tard, en 2022, Rouvenat renaît de ses cendres, ouvrant la voie à l’écojoaillerie. Inspirée par ces précieuses archives, réinventées par la directrice artistique Sandrine de Laage, la collection recourt à l’or et à l’argent recyclés pour revisiter les iconiques bijoux-rosaces qui ont forgé la réussite de Rouvenat. Au 416, rue Saint-Honoré, dans le VIIIe arrondissement parisien, la nouvelle adresse est signée Atelier du Pont.
Les architectes ont travaillé autour des valeurs défendues par la marque : circularité, upcycling (recyclage) et artisanat. À quelques encablures de la place Vendôme, le 416 est discrètement installé au fond d’une très belle cour, sous une verrière et derrière une vitrine d’époque au dessin soigné. L’architecture exprime l’identité de Rouvenat, recourant notamment aux matériaux naturels.
Tous les murs sont badigeonnés à la chaux blanche. Au sol, les architectes ont opté pour le RCE, un revêtement continu écologique offrant une alternative green au béton ciré. Des tapis sur mesure en soie végétale réchauffent l’atmosphère par des teintes naturelles, terracotta et curry. Cet écrin est volontairement sobre et délicat pour que soient mises en valeur les créations.
Telles des sculptures jaillissant du sol, elles symbolisent la renaissance de la marque en sommeil. L’espace de la boutique est séparé des bureaux par d’anciennes portes-fenêtres vitrées issues du réemploi. Elles proviennent d’un hôtel et d’un appartement du sud-ouest de la France datant de la Belle Époque, illustrant la démarche d’upcycling chère au joaillier, qui propose également à ses clients de donner une seconde vie à leurs pierres en les intégrant dans de nouvelles créations. M.Q.
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