Sur les réseaux sociaux, des compositions florales aux allures de sculptures végétales poussent comme des marguerites dans l’herbe sauvage. Alors que les bouquets conventionnels voient leur côte en berne, de nouveaux fleuristes donnent un coup de fouet à cet art séculaire, rivalisant de créativité, imaginant des arrangements toujours plus spectaculaires. Décryptage de cet art floral 2.0.
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Sculptures végétales
Ne soyons pas mauvaise langue : les compositions traditionnelles n’ont pas complètement disparu. Les bouquets de roses ont encore de beaux jours devant eux, mais l’art floral ne peut nier le souffle d’air frais qui lui secoue les pétales. La tendance prend ses marques sur les réseaux sociaux, démontrant un désir de la part des fleuristes de pousser cet artisanat dans une nouvelle direction.
Pionnière de ce renouveau, Ruby Barber, fondatrice du studio Mary Lennox, est sans équivoque la figure de proue de cet art floral 2.0. L’Australienne aujourd’hui installée à Berlin multiplie les campagnes de publicité pour les plus grandes maisons de luxe, de Hermès – pour qui elle imaginait, il y a quelques années, une imposante suspension dans le cadre de son Saut au Grand Palais – à Loro Piana, en passant par Cartier et Prada. La créatrice a même pensé pour la griffe italienne un pique-fleur logotypé tandis que dans les boutiques, des sabots de Vénus étaient disponibles à la vente, tels des accessoires éphémères.
La discipline a le vent en poupe et ses créateurs ont le statut de véritables stars, à l’instar de Jeff Leatham. Cet ancien mannequin suivi aujourd’hui par plus d’1,3 millions de personnes sur Instagram signe l’univers fleuri du Georges V, à Paris, mais également celui d’événements organisés par Kim Kardashian.
L’art floral, un art avant tout
La créatrice Ruby Barber se distingue par ses compositions voluptueuses et sculpturales qui font d’elle une artiste à part entière, affectionnant tout particulièrement les brassées suspendues, plébiscitant des végétaux autrefois boudés des fleuristes. Formes étonnantes, à-plats de couleurs affirmés, herbes folles et fleurs monochromes se côtoient dans des nuages fleuris dont l’allure rappelle plus la sculpture que le simple bouquet.
Edénique De Beaumont, fleuriste installée aux Pays-Bas et coqueluche d’Instagram le dit d’ailleurs sans détour : à ses yeux, ses créations sont de véritables sculptures. «Cela me fait toujours sourire quand les gens me disent que mes compositions sont des œuvres d’art. C’est exactement ce que je cherche à créer. Des formes étranges, sculpturales, des combinaisons surprenantes, des fleurs inattendues.»
Les bougeoirs confectionnés à partir de pétales d’endives ou de délicats pissenlits s’enchaînent sur son compte aux côtés d’arrangements toujours plus exubérants : une suspension mêlant une palette dragée, allant du rose pâle au blanc cassé en passant par le vert feuille, des cascades monochromatiques jouant sur les textures, des centres de table vertigineux… Edénique De Beaumont l’avoue volontiers, l’art reste une inspiration centrale dans ses compositions.
Créativités croisées
Selon Kasia Borowiecka, alias Cosmos&Plums, l’ikebana, cet art floral japonais s’appuyant sur la recherche du raffinement, est l’une des principales influences de ce changement d’esthétique. Des bouquets épurés, un jeu sur les différences de niveaux, un dialogue entre le contenant et la composition… Tant d’éléments qui se retrouvent aujourd’hui chez de nombreux fleuristes à travers le monde. « Je considère mon travail comme une forme d’art. Lorsque je compose, j’essaye de créer une sculpture, de faire passer une émotion à travers ma création. L’art est sans équivoque une source d’inspiration capitale pour moi », affirme-t-elle.
Une esthétique nouvelle voit ainsi le jour, jouant sur l’épure et le monochrome, mais aussi sur le mélange des médiums. Les fleurs cohabitent avec fruits, légumes et champignons, autant d’éléments plébiscités pour leurs textures, leurs formes et leurs couleurs, mais également pour leur originalité. Et cela plaît. La preuve : l’une des publications les plus aimées sur le compte Instagram de Cosmos&Plums est un bouquet d’arums, de raisins et de salade de Trévise !
Ce renouveau de l’art floral est dû en partie à l’échange constant qui se fait désormais entre les différentes disciplines créatives. Parmi les fleuristes les plus en vue, il est commun de retrouver des designers d’intérieur, des personnalités issues de la mode ou encore des architectes. Pour Kasia Borowiecka, la variété de ces milieux a permis de donner un nouveau souffle à l’art floral, influencé par des univers créatifs aux codes différents. « Je crois qu’il est aussi important de rappeler que la création, quelle qu’elle soit, est un moyen d’expression personnelle. Beaucoup de créatifs considèrent aujourd’hui les fleurs comme ils considèrent l’argile ou la peinture ».
Si la renaissance de l’art floral se base en grande partie sur un renouveau esthétique, la durabilité est également plus présente aujourd’hui. Respect de la saisonnalité et approvisionnement en fleurs locales font désormais partie intégrante du travail de nombreux fleuristes, désireux de réduire l’impact néfaste de leur art éphémère sur la planète.
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