Architecture de la lumière, ou comment révéler l’invisible 

« Voir la musique et entendre la lumière », disait John Cage (1912-1992), compositeur et pionnier des installations multimédia. Une phrase qui prend tout son sens quand on se retrouve immergé dans les installations immersives imaginées par 1024 Architecture et Visual System. 

L’architecture sans lumière, c’est un tableau sans couleurs. Elle sculpte les volumes, accentue les lignes, donne du relief aux espaces et insuffle une âme aux bâtiments. Avec l’essor des LED programmables, des lasers et des interfaces interactives, elle est devenue une matière à façonner, un medium artistique où la technologie et les arts visuels et sonores s’entrelacent pour ouvrir de nouvelles perspectives architecturales et sensorielles. À l’œuvre depuis 2007, les collectifs 1024 Architecture et Visual System ne cessent d’expérimenter les notions d’espace, de mouvement et l’interaction.


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1024 Architecture : la pulsation des espaces

Depuis sa création en 2007 marqué par le projet Square Cube, une architecture qui danse au rythme de la musique réalisée pour les live d’Etienne de Crécy, 1024 Architecture, le collectif parisien fondé par Pier Schneider et François Wunschel redéfinit les frontières entre l’art, l’architecture et la technologie.

« Square Cube », 1024 Architecture.
« Square Cube », 1024 Architecture.

Des concerts de Vitalic à la Biennale de Venise en passant par Nuit blanche et de multiples installations éphémères dans l’espace public, le duo a fait de la lumière un acteur à part entière. Issus de la club culture, ceux qui se sont rencontrés sur les bancs de l’école d’architecture de Strasbourg ne conçoivent pas la lumière sans le son. Alors, pour donner vie à leurs visions et à leurs envies, ils développent leurs propres outils, MadMapper et l’extension MadLaser, des logiciels devenus aujourd’hui des références mondiales dans l’univers des arts immersifs.

Leur signature ? Des environnements à l’esthétique minimaliste en constante mutation, où la technologie vient sculpter le vide et redéfinir les limites de l’espace. La Gaîté lyrique, toujours fermée à l’heure actuelle (depuis le mois de décembre, l’institution abrite des jeunes migrants qui n’ont à ce jour aucune solution de logement), a convié ces deux geeks à investir ses espaces pour leur toute première rétrospective. L’ensemble des installations invite ainsi le corps à se mettre dans tous ses états : danser, contempler, jouer, et l’esprit à s’interroger sur le vivant et la nature que l’homme s’échine à détériorer.

Exposition « Electro », 2019, 1024 architecture. © 1024 architecture / photo Gil Lefauconnier
Exposition « Electro », 2019, 1024 architecture. © 1024 architecture / photo Gil Lefauconnier

L’immersion commence avec Pulse, qui donne son nom à l’exposition, et qui est comme une piste de lancement dans l’univers 1024 : une onde lumineuse et sonore qui réagit aux déplacements et qui nous propulse dans le monde magique du pixel, de la physique quantique, de l’intelligence artificielle et du détournement technologique.

De Core, conçue pour la grande exposition « Electro » (2019) à la Philharmonie de Paris, à la monumentale Space Beat dans une salle immersive ; du Walking Cube, micro architecture qui apprend à danser, à Volume composée d’écrans transparents de leds qui génèrent l’image, jamais identique, d’un étrange organisme bioluminescent, les expériences sont multiples. « Notre métier est d’aller gratter tout au fond du terrier pour essayer de déterrer l’émotion » et dans cet univers où la lumière devient organique, entre monde réel et virtuel, la poésie technologique fait vibrer les imaginaires.

Visual System : Narrations chromatiques

« Cousins » de 1024 Architecture, qu’ils connaissent bien car ils occupent notamment leurs anciens locaux parisiens, les artistes pluridisciplinaires de Visual System explorent aussi la relation entre perception et architecture guidés par l’idée que la lumière est un langage universel. « La lumière touche tout le monde. Pas besoin de parler la même langue pour en comprendre les codes », explique Valère Terrier, l’un de ses quatre membres fondateurs avec Pierre Gufflet, Julien Guinard et Ambroise Mouline.

« Centrale », Visual System. © Lio Photography
« Centrale », Visual System. © Lio Photography

La LED, par sa faible consommation et sa flexibilité, leur permet de traiter la lumière comme un pixel vidéo, de la programmer et de la modeler pour transformer des lieux existants en environnements vivants. Ce travail, qui dépasse la simple mise en lumière architecturale, inscrit Visual System dans une démarche où la technologie est au service d’une narration spatiale et sensorielle. Durant toute cette année, différentes installations sont ainsi à découvrir et expérimenter.

À Labanque, à Béthune, l’exposition « Chroniques » retrace 17 ans de recherches sur la dimension narrative de la lumière. Le parcours immersif met en avant la manière dont la couleur et le mouvement redessinent un espace. Les visiteurs sont ainsi confrontés à un environnement en constante évolution, qui modifie son rapport aux volumes et aux formes. Cette lecture dynamique de l’architecture s’invite aussi, une nouvelle fois, dans les espaces futuristes de l’Atomium à Bruxelles avec Crossing, une œuvre symphonique et tridimensionnelle.

« Look Up », Visual System. © Atomium / Lio Photography
« Look Up », Visual System. © Atomium / Lio Photography

Conçue telle une structure arachnéenne et organique, l’installation, mise en musique par Thomas Vaquié, s’aventure au-delà de la sphère, sur 2 niveaux, et vient altérer et magnifier la perception du lieu. Deux installations pérennes viennent aussi transformer les sphères (Centrale) et l’ascenseur au plafond de verre (Look Up) de l’Atomium en une constellation sensorielle comme autant de narrations psychiques. Lumière, vitesse et couleurs se mêlent dans une harmonie hypnotique pour donner chair à des espaces improbables, impossibles ou impensables. Le collectif est aussi invité à participer, aux côtés de onze autres artistes lumière, à la nouvelle exposition d’envergure de La Villette, Into The Light qui ouvrira ses portes le 9 avril.

Vers un urbanisme lumineux ?

En intégrant capteurs, intelligence artificielle et algorithmes génératifs, 1024 Architecture et Visual System posent les bases d’un urbanisme où la lumière devient un acteur dynamique du paysage urbain. Bien plus qu’un simple jeu d’ombres et de reflets, elle s’impose comme une force capable de remodeler notre relation à l’espace et au design tout en offrant des expériences esthétiques et émotionnelles.

« Pulse », 2016, 1024 architecture. © 1024 architecture
« Pulse », 2016, 1024 architecture. © 1024 architecture

D’ailleurs, ces pratiques ne se limitent pas aux musées et aux festivals. L’architecture lumineuse, à travers les media buildings notamment en Asie, redessine peu à peu nos villes la nuit, offrant un nouveau terrain d’expression aux designers et artistes numériques tout en ouvrant des réflexions sur l’impact d’une surexploitation lumineuse qui nuirait aux écosystèmes urbains et à la biodiversité.

> « Pulse », jusqu’au 13 juillet à la Gaîté lyrique, Paris,

> « Chroniques », jusqu’au 5 octobre, Labanque, Béthunes

> « Crossing », jusqu’à janvier 2026, l’Atomium, Bruxelles.

> « Into the light, voyage au cœur de la lumière », du 9 avril au 31 août 2025, La Grande Halle de La Villette, Paris


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