Les stations de première génération, nées au début du siècle dernier, s’appuyaient sur des habitats existants que l’on modernisait (à Chamonix, Megève, Morzine), avec quelques exceptions faites d’hôtels d’un genre très urbain similaires à ceux rencontrés dans les stations thermales. Celles dites de deuxième génération, construites dans l’immédiat après-guerre, imagineront des implantations dans des espaces encore vierges, a fortiori en plus haute altitude.
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L’ère de la montagne
Les plus connues sont Courchevel, Les Deux Alpes et l’Alpe d’Huez. Le modèle architectural s’y traduit par l’essor de gros chalets résidentiels, dont l’architecte René Faublée sera l’un des meilleurs promoteurs, avec notamment l’adoption de toit-terrasse ou à un seul pan. Cette rupture stylistique amorcée, au profit notamment de la pratique du ski, sera entérinée avec l’arrivée des stations de troisième génération, qui voient le jour dans les années 60.
La période des Trente Glorieuses est alors à son apogée et le plan neige, lancé par le général de Gaulle en 1964 pour encourager la pratique du ski, favorise l’essor de stations de sports d’hiver. On monte encore plus haut en altitude et les projets architecturaux sont désormais globalisants.
À l’image de la station Arc 1600 de Flaine, portée par l’Atelier d’architecture en montagne (AAM), auquel la designer Charlotte Perriand s’est vite jointe, imaginée par l’architecte du Bauhaus Marcel Breuer, ou encore de La Plagne avec le projet de la résidence Aime 2000, véritable « paquebot des neiges » projeté par l’architecte Michel Bezançon.
Dans un entretien avec l’anthropologue Valentina Zingari, celle-ci déclarait d’ailleurs: « L’élite qui reconstruisait la France, qui croyait au progrès, ce sont ceux qui ont acheté des appartements à La Plagne. Ils vivaient en ville dans des appartements bourgeois du XIXe siècle et, pour eux, le dépaysement, c’était le futur. Un futur détaché du monde, avec ses utopies. »
Les gens d’une classe sociale aisée acceptent alors de venir passer leurs vacances dans ces ensembles organisés comme un quartier, où l’on trouve à portée de main tout le nécessaire pour pouvoir passer un maximum de temps sur les pistes, ou tout du moins en extérieur. Car n’oublions pas qu’au départ Flaine et Les Arcs ont été conçues pour une vie estivale, avec force propositions sportives et culturelles à même d’attirer ses résidents… secondaires.
L’heure des désillusions
Malheureusement, les années 70 vont connaître leur lot de désenchantements: crise du pétrole, chute des taux de croissance et, surtout, retour à un certain individualisme. Les projets de vie en communauté sont rejetés et les citadins usagers de la montagne veulent un habitat individuel. Les ensembles architecturaux innovants cités ci-avant sont alors boudés au profit de projets immobiliers basés sur la figure du chalet…
Au détail près que les opérateurs, moins éduqués que des personnalités comme Roger Godino, Pierre Borrione, Éric et Sylvie Boissonnas, qui ont porté des projets de stations intégrées (respectivement Les Arcs, La Plagne et Flaine), vont vite céder aux pastiches montagnards et à la construction à bas coût.
Adieu la modernité, le « vrai-faux » fait sensation tandis que les grands ensembles sont comparés aux cités des banlieues. N’a-t-on pas surnommé Les Ménuires la « Sarcelles des neiges » ? L’architecte Alireza Razavi, sollicité dans la récente décennie pour réaliser des projets de maisons en montagne, s’est heurté plus d’une fois, au-delà des règles du plan local d’urbanisme (PLU), aux a priori des pouvoirs publics, en grande partie générés par cette période de rejet de l’architecture contemporaine.
« Ce qui est incroyable, c’est qu’il suffit de partir à 100, 200 ou 300 km plus à l’est, dans des pays voisins comme la Suisse, l’Italie et l’Autriche, pour voir que ces préjugés n’ont pas lieu d’être. L’architecture contemporaine y côtoie sans encombre les édifices patrimoniaux », fait-il remarquer.
Le land autrichien Vorarlberg ou la province italienne du Sud-Tyrol figurent parmi les territoires les plus exemplaires de cette cohabitation, avec une scène architecturale locale forte, portée par un souhait d’innover tout en faisant évoluer l’écriture régionale.
« Qu’on ne se méprenne pas: les règles en matière de construction ne sont pas plus simples ici qu’ailleurs. Chaque commune a même les siennes, mais il est indéniable que l’on bénéficie d’une relative éducation du grand public, à commencer par les hôteliers », souligne l’architecte autrichien Much Untertrifaller, auteur dans les années 90 d’un hôtel de montagne, le Silvretta, qui a posé les bases d’une nouvelle approche.
Au même titre que les thermes de Vals par Peter Zumthor, achevées en 1996 et devenus lieu de pèlerinage pour tout architecte depuis lors. On se demande donc forcément si l’émergence des stations intégrées (troisième génération) n’a pas été jugée trop brutale, trop utopique, au regard des situations italienne, autrichienne et suisse, qui n’ont pas connu ce type de projets ex nihilo. Dans ces pays, les propositions ne vont pas créer de rupture, ni de clivages, perpétuant notamment l’emploi du bois et rendant ainsi leur lecture plus évidente pour un public éloigné de la chose architecturale.
Nouvelle vision, nouvel élan
Pour autant, cette modernité que l’on a un temps rejetée profite aujourd’hui de l’air du temps et de ses effets de mode. Ainsi, la vogue du design vintage et la « panthéonisation » par le marché de l’art de créateurs tels que Charlotte Perriand et Marcel Breuer conduisent à reconsidérer leur production, d’ailleurs classée Patrimoine architectural du XXe siècle.
La station des Arcs a notamment lancé un programme de visites, ainsi qu’un festival qui réunit des experts pour apporter des clés de lecture aux vacanciers. Flaine a inauguré l’hiver dernier un nouvel ensemble immobilier sur le forum historique de la station, qui ne cherche surtout pas la rupture.
« Après plusieurs interventions à Flaine, qui m’ont amené à bien connaître la station, j’ai été missionné pour réfléchir à un projet hôtelier qui questionne la possibilité d’extension de ce que Breuer avait projeté comme quelque chose de clos. Loin de moi l’idée de jouer la carte du mimétisme. J’ai proposé des lignes et des formes en résonance qui ouvrent de nouvelles perspectives », explique Guillaume Relier de R Architecture, qui a conçu les bâtiments d’Hôtels et Résidences Alhéna.
À La Plagne, un projet de requalification d’Aime 2000 est actuellement en réflexion avec l’agence Wilmotte & Associés. « L’idée n’est pas de construire à tout crin mais, à travers un projet architectural innovant, de corriger les défauts cumulés depuis les années 80 dans cette partie de la station et qui ont rendu cette cité radieuse montagnarde économiquement non viable », explique la maire d’Aime-La Plagne, Corine Maironi-Gonthier, qui a par ailleurs mené une longue carrière d’architecte.
Et ce serait sans compter sur la réflexion enclenchée par la Fédération française des clubs alpins et de montagne (FFCAM) au sujet de la rénovation des refuges. Ces formes d’habitat de l’extrême font désormais l’objet de développements très poussés quant aux usages et à la durabilité des modes de construction adoptés.
Ils pourraient bien devenir des modèles pour un habitat plus standard. Cependant, le réchauffement climatique et, par ricochet, l’absence de plus en plus récurrente de neige dans nombre de stations, ne doit pas exonérer les professionnels de la montagne de se poser les bonnes questions.
Plus concrètement, le colossal projet d’extension lancé à Val Thorens, qui mise sur la très haute altitude de la station (2300-3200 mètres) pour garantir la poudreuse, coche-t-il bien toutes les cases d’un point de vue de la responsabilité environnementale ? Faute de réponse, difficile d’être rassuré. Une chose est sûre, la montagne ne doit plus être « consommée » comme elle l’a été jusqu’à présent. Elle doit s’ouvrir et se préparer encore davantage à une fréquentation estivale.
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