Lorsque François Chatillon se voit confier la réfection de la Grande Nef de l’Île-des-Vannes, il hérite d’une infrastructure insalubre, abandonnée aux tagueurs et aux squatters. Ce grand complexe multisports construit en 1971 sur la pointe sud de l’Île-Saint-Denis, dans le nord de Paris fut pourtant des années durant l’une des plus importantes salles de la capitale, théâtre de concerts mythiques de Pink Floyd et Led Zepplin, de meetings politiques et de compétitions internationales. Labellisé « Patrimoine du XXe siècle » et inscrit à l’inventaire des monuments historiques, la Grande Nef tombe pourtant en obsolescence avant de fermer en 2018 et de servir de décors de « zone » pour quelques films de gangsters de série B.
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Un site emblématique
Amoureux de cette architecture XXe siècle, François Chatillon entreprend une rénovation d’envergure chiffrée à 12,6 millions d’euros pour redonner à la Grande Nef de l’Île-des-Vannes son sens et ses couleurs initiales, et la rendre universellement accessible par l’ajout d’ascenseurs et de rampes.
Une réhabilitation permise par les Jeux de Paris 2024 – le site ayant servi de lieu d’entrainement pour les nageurs olympiques et paralympiques – le tout sous la houlette de la SOLIDEO, ici maître d’ouvrage. «Le bâtiment était connu de spécialistes de la période, il fallait reconquérir cet espace très beau en proue sur la Seine», explique ainsi le fondateur de Chatillon Architectes, studio d’urbanisme, d’architecture et de design d’intérieur.
L’édifice est aisément identifiable par sa silhouette courbée et son toit parabolique, qui prend des airs de barque renversée en bordure de Seine. Il se compose de deux arcs de béton obliques sous-tendus sous le sol par des câbles et soutenus par des poteaux en métal qui rythment la façade.
«On pense que c’est un bâtiment tout béton, mais ce n’est pas le cas, reprend l’architecte. Le béton est finalement assez minoritaire. La toiture à double courbure est uniquement faite de câbles sur lesquels sont posés des plaques d’acier avec un peu d’isolent. Ces façades de polycarbonate étaient de peu de qualité et percées, efficientes ni sur le plan thermique ni sur le plan acoustiques et les poteaux métalliques étaient rouillés à la base ».
La Grande Nef de l’Île-des-Vannes : une architecture complexe
Une restauration complète a donc été opérée, à commencer par les bétons, les arcs ayant subi la carbonatation, maladie classique du béton armé qui atteint l’acier au sein des portants. «À cause de l’eau, les agrégats à l’intérieur deviennent acides, la neutralité du pH ne les protège plus et le métal s’oxyde».
Des pressions internes qui sont telles que la structure de béton casse. Le studio a donc effectué pour certaines parties des traitements par électrolyse qui modifient le pH à l’intérieur et protègent à nouveau les aciers. Côté isolation, un complexe assez épais de polycarbonate alvéolaire à triple paroi de 10 centimètres d’épaisseur a été posé sur les façades latérales pour gagner en confort thermique et acoustique.
«La grande fragilité de cette architecture du XXe siècle est qu’elle est faite a priori avec des matériaux qui ne coutent pas chers mais dont l’emploi n’a pas été fait au hasard par les architectes, note François Chatillon. Moins les matériaux sont chers, plus les rapports de proportion, la forme, les dimensions et la couleur sont importants. Autrement il n’y a plus d’architecture.»
Faire renaître la polychromie d’origine
Aujourd’hui, la Grande Nef peut accueillir 1 500 personnes assises et 4 500 personnes debout. La hauteur sous plafond exceptionnelle de 25 mètres donne ici une forte impression, avec une salle principale de 3000 mètres carrés où ont été posés un nouveau sol sportif de pointe, des luminaires LED et des sièges d’un jaune vif flambant neufs rappelant les couleurs d’origine du bâtiment.
«La polychromie a été un sujet. Le maitre d’ouvrage ne voulait pas de ces couleurs années 1970, de ces bleus ou de ces jaunes cramoisis pourtant magnifiques, reprend l’architecte. Mais comme le bâtiment est inscrit à l’inventaire des monuments historiques, nous avons, grâce à la complicité des bâtiments de France, tout de même réussi à redonner à voir ces teintes d’origine.
Si on les respecte de bout en bout, celles-ci donnent une harmonie visuelle particulière qui a valeur dans l’histoire du design, des goûts et des idées. Quand on restaure un patrimoine du XXe siècle, le résultat est toujours supérieur à l’idée que l’on se fait du projet : on redécouvre un choc architectural et esthétique, une architecture qui recèle une énorme force, une capacité à nous faire rêver. Les gens sont frappés par une spatialité, une forme de beauté de la lumière qui rappelle immédiatement une dimension supérieure à la simple mesure matérielle ou utilitaire.» Tout est dit.
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