La vénérable salle Ovale de la BNF, le restaurant Frank de la Fondation Louis Vuitton, ou encore L’École polytechnique fédérale de Lausanne et le Mucem de Marseille. Tous ces lieux de culture et de prestige ont un point commun, ou plutôt une chaise : Alki, en langue basque. Ces assises, aux silhouettes fluides et élégantes, bien éloignées des cartes postales habituelles aux couleurs rouges et vertes, sont façonnées dans un atelier niché à Itxassou au Pays Basque. Un atelier embaumé par l’odeur du bois, où retentit le bruit des machines et où les gestes sûrs se déploient. Un atelier dont le maître des lieux, Eñaut Jolimon de Haraneder aimerait bien pousser les murs.
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A l’origine d’Alki
C’est dans ces mêmes ateliers, aujourd’hui bien étriqués pour ses 44 coopérateurs, que naît Alki en 1981. « Il y avait une forte volonté de se prendre en main, de vivre et travailler au pays» raconte le jeune PDG de 33 ans, « à mi-chemin entre la côte et l’intérieur du Pays Basque». Les cinq fondateurs se tournent vers le travail du bois, qui est pratiqué de manière artisanale dans la région. La future maison d’édition prend alors le statut de coopérative, faisant de ses membres des salariés et des associés. L’heure est alors au traditionnel, au rustique qui mélange bois et fer forgé… mais qui va passer de mode.
En 2005, l’un des fondateurs d’Alki, Peio Uhalde, va se rapprocher d’un designer industriel, comme lui enfant du pays, Jean-Louis Iratzoki, passé par l’Ecole Boulle. Il est alors question de se réinventer. « Tout est transformé, un changement radical !» souligne le PDG. Et pour cause : Alki adopte le design industriel et se tourne vers une esthétique beaucoup plus contemporaine, « mais toujours en travaillant le bois, le chêne massif principalement et cintré, car il s’agit d’une de nos spécialités».
Deux ans plus tard, naît la collection «Emea», tout premier modèle contemporain développé par la maison. « Très fine, elle demande beaucoup de travail manuel» insiste Eñaut Jolimon de Haraneder.
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En 2021, soit quatorze ans plus tard, cette même assise fait l’objet d’une des plus grandes commandes d’Alki pour un groupe hôtelier. « Il ne s’agit pas d’un coup d’éclat, de design qui fonctionne parce que c’est la tendance. C’est un modèle qui vit encore.» Une affirmation qui fait office de principe. Car même si Alki a ouvert la porte à d’autres designers comme Patrick Norguet ou les Suédois de Form Us with love, l’intemporalité, la pérennité restent au cœur de leur projet.
Parmi les autres vertues chères à l’entreprise, il y a également l’écologie mais aussi la valorisation des savoir-faire locaux qui ont pris forme à travers deux collections : « Kuskoa Bi», la toute première chaise du marché fabriquée en bioplastique, mais aussi la gamme « Lur», une série de pièces de céramique conçue avec la Poterie Goicoechea, qui travaille la terre cuite depuis trois générations, à quelques kilomètres de la coopérative.
Une nouvelle page
Une centaine de produits Alki, plus de 20 collections, une pandémie et un showroom parisien plus tard, la coopérative d’Itxassou souhaite monter en puissance. Pas question d’aller au-delà des frontières du Pays Basque mais à quelques kilomètres, dans la commune de Larressore. En quittant les 4000 mètres carrés d’atelier des fondateurs, la coopérative compte s’installer dans un espace de 10 000 mètres carrés.
Au programme ? Evidemment l’atelier, mais aussi des bureaux et un showroom. « Notre atelier actuel a plus de 40 ans, il est d’un autre temps. Il était nécessaire de passer ce cap pour des raisons de capacité mais aussi de conditions de travail. C’est une réflexion que nous avons depuis 2015» explique Eñaut Jolimon de Haraneder. Parmi les impératifs de ce nouvel espace, il y a la dimension environnementale mais aussi la pérennité. « Nous sommes de passage dans cette entreprise, ce nouvel atelier, nous le faisons pour nous, mais aussi pour les générations à venir». Suite à un concours, c’est le cabinet bordelais Leibar Seigneurin qui s’est vu confier le projet.
L’atelier du futur ?
« Nous sommes à mi-chemin entre le monde artisanal et le monde industriel» explique Xavier Leibar, ce qui a fortement déterminé la silhouette de la bâtisse. Une typologie classique aurait imposé un bâtiment étroit et long, avec un showroom indépendant. Mais difficile de la faire coïncider avec les problématiques que sont le prix du foncier local et la topographie.
Pour résoudre la première, un plan carré — « plus économe et plus compact» souligne l’architecte — a été choisi. Pour ce qui est du dénivelé de sept mètres, il a été mis à profit en logeant un parking sous le bâtiment et le showroom face à la vallée, là où « la vue est la plus magique, la plus puissante».
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Vient ensuite la question de la dépense énergétique. « Il fallait s’inscrire dans une démarche pour répondre aux impératifs énergétiques et environnementaux actuels» explique Anne Deu-Tannière de chez Leibar Seigneurin. Grâce aux coopérateurs d’Alki acceptant de travailler dans une amplitude thermique large allant de 10 à 30 degrés, les architectes ont pu « aller chercher des systèmes constructifs très intéressants». En offrant à l’édifice une isolation bien plus puissante qu’un bâtiment traditionnel, « nous avons réduit drastiquement les besoins de chauffage, dont l’utilisation sur une année devient très ponctuelle».
Quant à la toiture à faible pente, elle est « un support parfait, pour la mise en place de panneaux photovoltaïques, dont la production annuelle atteint les consommations projetées de l’atelier. Ce qui permet de prôner une usine zéro énergie à l’année».
Dentelle d’aluminium sur socle de pierres
Autre contrainte, la lumière. Nécessaire mais véritable danger pour les artisans en cas d’éblouissement, l’ensoleillement du site a été passé au crible pour trouver la meilleure solution possible. « Il s’agissait de faire ce qu’utilisaient les anciens, à savoir un volet fixe, qui permet de maintenir de l’ombre tout en laissant la vue accessible» commente Leibar. « Ces volets dont l’angle d’ouverture et la longueur varient en fonction des orientations» ont permis de « dessiner une écriture de façade, une enveloppe lisse plane avec des ouïes», qui se pare d’une élégante robe d’écailles argentées en aluminium.
« C’est une matière fine, délicate, qui change de couleur en fonction de la lumière et du ciel. Il n’y aura jamais deux fois la même couleur car, au Pays Basque, la lumière est extrêmement changeante.» Cela donne lieu à une dentelle métallique posée sur un socle minéral de béton et de pierre. « Nous l’avons traité comme le sont ici les édifices, avec une espèce de rapport au sol plus minéral.»
Une double écriture, qui rend le bâtiment moins brutal, plus élégant et restitue cette dualité de la maison basque : à la fois ancrée dans son territoire et ses valeurs mais qui embrasse la ligne du contemporain et de son temps.
Avant d’inaugurer d’ici la fin de l’année 2023 ce nouvel atelier, Alki présentera à Milan de nouvelles assises, dont la version grand public d’«Orria», la chaise pensée pour la BNF.
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