Pour Martina Simeti, galeriste de formation, Milan symbolisait un retour à la terre promise. Elle y est née et y a vécu les vingt premières années de sa vie. Pour son compagnon, Abdourahman Waberi, originaire de Djibouti, écrivain et conférencier à Washington une partie de l’année, la cité lombarde représentait au contraire une étape parmi d’autres dans son mode de vie nomade. Et pour leur fille de 9 ans, Bérénice, c’était une nouvelle ville à découvrir.
L’art contemporain pour fil conducteur
Martina a grandi immergée dans le monde de l’art contemporain. Son père, Turi, peintre et sculpteur sicilien, a été l’un des protagonistes d’une période florissante, démarrée dans les années 60 avec la production d’œuvres abstraites, monochromes et géométriques, tandis que sa mère, Carla Ortelli, travaillait dans le théâtre d’avant-garde.
Ces années passées loin de Milan, que Martina a quittée après son baccalauréat, ont d’abord été pour elle l’occasion d’étudier l’histoire contemporaine à Bologne. Puis de beaucoup voyager : « Mes parents m’ont impliquée dans leur vie intellectuelle. Ils m’emmenaient partout, même pour assister à de très longues représentations théâtrales », se rappelle-t-elle.
Avant qu’elle n’intègre finalement l’Unesco, pour laquelle ses missions l’ont conduite quatre ans au Sénégal, puis quinze ans dans la capitale française. « À Milan, c’est la vingt-et-unième maison dans laquelle je vis », plaisante-t-elle ! Parmi ses nombreuses activités, il y a aussi la cocréation, à Rome, de la librairie Griot, spécialisée en littérature africaine et dans les questions de diaspora et de post-colonialisme.
Elle y a rencontré son compagnon, alors invité à présenter l’un de ses livres. « À Paris, j’occupais un deuxième étage, avec un horizon très limité devant mes fenêtres ! confie-t-elle. Mon souhait le plus cher, en m’installant à Milan, était d’avoir enfin une vue dégagée sur le ciel. Cet appartement des années 30, plein d’ouvertures, m’est apparu comme celui de mes rêves. » Peu après l’emménagement, Martina a déniché, tout près, l’adresse qui allait devenir le nouveau siège de sa galerie.
Un appartement pensé comme une galerie
Principalement intéressée par l’art contemporain, elle avait à cœur de soutenir de jeunes artistes qui interrogent les relations entre l’art et le réel. Pour optimiser les deux espaces – l’appartement et la galerie –, elle a demandé conseil à l’architecte Luciano Giorgi.
« Dans l’appartement, il n’y avait pas grand-chose à changer, explique celui-ci, à part la cuisine, qui a été complètement refaite. Ailleurs, les murs sont restés intacts, avec pour seule modification les couleurs et les motifs, associés à un ensemble de meubles composé de quelques éléments soigneusement sélectionnés. L’approche délicate du projet et l’intention de ne pas trop en faire ont donné naissance à un lieu de vie où l’espace est étroitement lié aux objets et aux êtres chers, en conservant tout ce qui pouvait l’être. »
La complicité entre l’architecte et la galeriste s’est nourrie de leurs affinités communes pour l’art. Une entente qui se matérialise dans le choix des couleurs. Celles-ci ne sont pas seulement décoratives, elles soulignent l’architecture et mettent en valeur les œuvres. Les teintes sable adoucissent la chambre à coucher et se prolongent dans une partie du couloir.
Dans la chambre de Bérénice, le bleu en fait de même de son côté. « Dans toute la maison, précise Luciano Giorgi, les couleurs donnent de la vie. Le fond gris neutre accueille les références africaines : le bleu des cieux, la terre crue de l’architecture typiquement malienne. Dans la salle de bains, le vert et le rose soulignent les nuances originelles des carreaux de majolique. » Dans les chambres, un espace est réservé aux artistes contemporains de la galerie, à côté de ceux de la collection personnelle de Martina et de ceux hérités de sa famille.
Avant que son lieu d’exposition ne soit sur les rails, elle avait assuré un premier accrochage collectif chez elle, en pleine pandémie, sur rendez-vous. En 2021, Turi Simeti est décédé des suites du Covid-19. Martina a créé une fondation qui lui est consacrée, rassemblant ainsi les impressionnantes archives laissées par son père. Un défi de taille qui ne pouvait se réaliser qu’à Milan et qui la pousse à rester plus longtemps dans la ville où tout a commencé.