Bien qu’elle ne soit jamais totalement débarrassée de la subjectivité de ses auteurs, la photographie documentaire a le mérite de vouloir retenir ce qu’il y a de plus réel dans le monde et d’établir un état des lieux dans un espace-temps bien défini. Photographes à trois époques distinctes, Paul Strand, Chris Killip et Thomas Boivin livrent les fragments visuels d’une époque et de peuples sans aucune prétention.
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1. Petite histoire de la photographie avec Paul Strand
Assister à une exposition du photographe américain Paul Strand (1890-1976) revient à remonter le fil du temps pour en apprendre un peu plus sur la passionnante histoire de la photographie. En souhaitant s’émanciper du pictorialisme – pratique de la photographie qui accorde plus d’importance aux effets esthétiques qu’à l’acte en lui-même – Paul Strand devient l’un des pionniers de la straight photography (photographie pure).
Bien que ses premiers clichés soient imprégnés de la tendance formaliste de son mentor Alfred Stieglitz – un des premiers photographes à avoir hissé la photographie au rang d’art -, ils évolueront vers les enseignements sociaux reçus par Lewis Hine – éminent photographe et sociologue pour qui l’image se doit d’être le véhicule d’une réalité. Ces deux tendances que tout oppose se retrouvent dans l’exposition qui prend néanmoins le parti de mettre en lumière la dimension politique du travail de Paul Strand.
Ainsi, si quelques paysages naturels ou urbains ainsi que des images abstraites sont dévoilées, l’accent est mis sur les rencontres que le photographe a fait au cours de ses nombreux voyages. Égypte, Ghana, Maroc, Sicile, France… Autant de lieux foulés que de visages capturés dans ces environnements, au plus près du réel pour des échappées visuelles édifiantes.
2. Cap sur l’Angleterre avec Chris Killip
Il y a dans les photographies de Chris Killip (1946-2020) une telle intensité que détourner le regard de l’une d’entre elles semble impossible. La célèbre galerie Magnum dévoile pour la première fois quatre de ses séries emblématiques dans son espace d’exposition parisien. De ses premiers clichés où il s’est attaché à documenter le quotidien des habitants de son île de Man natale (Isle of Man, 1970-3) aux conséquences de la désindustrialisation capturées dans le nord de l’Angleterre (In Flagrante, 1973-85), il conservera une grande humilité et une volonté de raconter une histoire, en laisser une empreinte durable.
Ses images en noir et blanc, dont il effectue lui-même les tirages, sont donc aussi poignantes d’un point de vue esthétique que les sujets abordés le sont. Dans les années 1970-80, période la plus prolifique de sa carrière, il se rend dans le village de Lynemouth pour saisir au plus près l’intimité et les difficultés que les habitants, principalement récolteurs de charbon échoué sur les bords de mer, rencontrent. Pour la série qui en résulte, Seacoal (1976-84), il mettra six années à gagner la confiance de ce peuple insulaire et s’en approcher au plus près pour tirer des images dont émane une grande humanité.
> Exposition Chris Killip, An Anthology à Galerie Magnum, 68 rue Léon Frot, Paris 11ème, à voir jusqu’au 6 mai 2023
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3. Thomas Boivin documente le 19e arrondissement de Paris
La pratique photographique de Thomas Boivin (1983-) rappelle à bien des égards celle de la portraitiste américaine de renom Judith Joy Ross, qui avait un talent certain pour immortaliser les individus qu’elle croisait pendant ses pérégrinations. Ce parisien d’adoption développe un goût pour la déambulation urbaine, à la manière des situationnistes comme Guy Debord, qui arpentaient la ville non pas pour accroître leur connaissance de la géographie mais plutôt pour proposer une autre perception de l’espace basée sur les expériences sensorielles engendrées lors de leurs promenades.
Nourri de photographies emblématiques du 19ème arrondissement de Paris par Robert Doisneau ou encore Willy Ronis, Thomas Boivin se promène dans cet arrondissement et même au-delà en suivant un rituel précis : déambuler avec son appareil photo autour de son quartier Belleville, descendre jusqu’à la place de la République et s’attarder sur cet environnement. En ressortent des images sans artifices dans lesquelles les passants et les passantes se dévoilent en toute simplicité.
En capturant ce qu’il rencontre, des personnes au mobilier urbain en passant par les paysages, cet artiste tisse une relation d’égal à égal avec ce qui l’entoure et lui fait face. Sa posture d’observateur lui permet de tisser des liens sensibles avec le monde environnant, donnant ainsi lieu à des images sensibles, reflets d’un espace public vivant et pluriel.
> Exposition Thomas Boivin, Belleville à la Maison de la Photographie Robert Doisneau, Gentilly, à voir jusqu’au 4 juin 2023