Le retour écolo du lino avec la designeuse Lina Chi

A l’occasion de la dernière édition de la Dutch Design Week, la designer française diplômée de la vénérable Design Academy d’Eindhoven a dévoilé une collection de mobiliers conçue à partir d’un matériau plutôt inattendu, le linoléum.

Vous avez forcément marché dessus une fois dans votre vie. Écoles, aéroports, hôpitaux, le linoléum ou « lino » est un revêtement quasi omniprésent en architecture, qui souffre pourtant d’une mauvaise réputation. Une gageure qu’a souhaité rectifier Lina Chi dans le cadre de sa collaboration avec Forbo Flooring, géant de la discipline, non pas en tapissant un sol mais en créant une gamme de mobilier. Rencontre.

Le lino, un matériau résistant …

La designeuse française a transformé l’usage habituel de ce revêtement éco-responsable pour en faire du mobilier. Elle présentait son travail lors de la design week d’Eindhoven.
La designeuse française a transformé l’usage habituel de ce revêtement éco-responsable pour en faire du mobilier. Elle présentait son travail lors de la design week d’Eindhoven. Ronal Smits

2017, Lina Chi entre à la Design Academy d’Eindhoven. Née et élevée en France, la designeuse d’origine chinoise est « arrivée au design par le dessin et la peinture (qu’elle a) pratiqués très jeune. Étant obligée de passer (ses) étés en Chine dans une campagne qui était assez pauvre en activité, (sa) grand-mère (l)’a amenée dans l’atelier de (sa) tante, professeure de dessin. Là, (elle a) appris les fondamentaux de l’observation et de l’analyse d’objets nécessaires à la nature morte. En dessinant et composant sur papier, (elle a) développé un regard sur les formes des objets de (leur) quotidien.»

Suite à l’obtention d’un bac général à Paris, Lina Chi choisit le design car « c’est un chemin qui valorise le croisement entre le sensible, la production, les sciences sociales, l’économie». Après un BTS en design d’espace à l’Ensaama elle décide « de quitter Paris à la recherche de compétences complémentaires à la théorie enseignée par l’académie française. Eindhoven valorise l’apprendre par le faire, et n’hésite pas à questionner les disciplines pour créer un design en métamorphose.» raconte-t-elle.

C’est dans cette même école, deux ans plus tard, qu’elle récupère des chutes de linoléum d’un ancien étudiant. Elle reconnaît qu’elle ne « connaissait pas grand-chose à ce matériau», si ce n’est « son odeur très forte et distincte», qui lui évoquait des souvenirs de la maternelle. « Il y avait du linoléum dans notre aire de jeux et je me souviens de la sensation de ce matériau. (…) J’ai commencé à expérimenter ses propriétés avec un autre étudiant, Mathis Broussot. À l’époque, nous l’avions combiné avec d’autres matériaux, comme du métal, afin de le renforcer pour un usage domestique, mais n’avions pas pris en compte la résistance interne du linoléum seul.»

En effet, la jeune créatrice découvre que le lino était, par nature, étonnamment résistant. «Il devient plus rigide avec le froid et plus souple avec la chaleur. Comme d’autres matériaux naturels, l’environnement influence ses propriétés. Par exemple, la lumière du soleil peut tanner sa surface. Au cours du processus, j’ai beaucoup expérimenté avec le pliage et la courbure du papier pour trouver un nouveau langage pour le linoléum. Cela m’a amené à le traiter de la même manière que le carton ondulé, en utilisant des ondulations pour donner une forme et de la force.»

… et biodégradable

La même année, Lina Chi contacte Forbo Flooring aux Pays-Bas pour poursuivre ses recherches sur le fameux matériau et visite leur usine à Assendelft. « Je les ai recontactés en 2021 pour mon projet de fin d’études. Ils s’intéressaient à mon travail, pour montrer sa durabilité ainsi que ses propriétés naturelles.»

Car, derrière la mauvaise réputation qui colle à ce revêtement de sol se cache « un matériau biodégradable à base d’huile de lin, de jute, de résine d’arbre, de farine de bois, de calcaire» explique la créatrice. « Même s’il est composé de produits naturels, il est souvent confondu avec son homologue en PVC. Je souhaitais créer un dialogue autour de la matière en suggérant une nouvelle possibilité au sein de l’ espace contemporain. Mon expérimentation m’a amenée à découvrir un ensemble spécifique de force et d’esthétique. En créant cette collection, j’espère attirer l’attention sur son sens tactile et sa forme sculpturale.»

Une silhouette sculpturale et très organique

Souple et facilement malléable, ce matériau étonne par sa solidité.
Souple et facilement malléable, ce matériau étonne par sa solidité. Sarah Collins

«Lorsque j’expérimentais avec le matériau, je le laissais se courber, tomber. Le poids naturel et la courbe guidaient la forme. Grâce à cette exploration, j’ai trouvé un résultat très organique et sculptural, soit des qualités inattendues. C’est pourquoi j’ai décidé de rehausser cet aspect», notamment en choisissant la teinte Concrete Vénus dans le catalogue de Forbo « une couleur qui traduirait au mieux une recette naturelle et durable», explique-t-elle.

«Afin de garder la nature biodégradable du matériau, j’ai utilisé des fixations temporaires comme des boulons et des écrous qui maintiennent le matériel en place. Par la suite, les pièces peuvent être démêlées, réassemblées ou recyclées.»

Revêtement conspué, le linoléum pourrait être de ces matériaux dont notre époque a cruellement besoin, à la fois respectueux de l’environnement, polyvalent, et véritable terrain de jeux pour les designers.