La foire de design de collection Design Miami — petite soeur d’Art Basel Miami Beach — fêtait cette année ces 18 ans. L’âge, symbolique, de la majorité et donc, de la porte ouverte sur l’avenir ? C’est ce que laisse entendre le thème « The Golden Age : Looking to the Future », défini cette année par Maria Cristina Didero, directrice curatoriale de Design Miami 2022, en écho prospectif à celui de Bâle en juin (« The Golden Age : Rooted in the Past »). On ne peut s’empêcher d’y lire une métaphore culturelle et commerciale du nouveau continent versus le vieux continent…
D’autant plus que cette année, aux côtés de 50 galeries et stands façon cabinets de curiosités contemporains appelés « curios », les marques de luxe de mode, horlogerie et automobile multipliaient les partenariats et événements dans le in, comme dans le off. Et prouvaient à quel point culture, communication et commerce se mélangent joyeusement dans ce melting pot arty, sous le soleil de Floride que tout le monde nomme désormais Miami Art Week.
1 — Triclinium : Fendi x Lukas Gschwandtner
Partenaire historique de Design Miami depuis 2008, Fendi continue de soutenir avec audace le monde du design avec lequel la marque de luxe romaine a une authentique affinité. Pour Design Miami 2022, une carte blanche avait été offerte au jeune artiste autrichien Lukas Gschwandtner.
C’est en découvrant sa série Pillow Portraits, commissionnée en 2021 par la galerie bruxelloise Maniera, que Silvia Venturini Fendi a eu un coup de coeur instantané pour son travail. En résulte Triclinium, une interprétation onirique résolument contemporaine du lit à trois places en usage dans la Rome antique. Une seconde itération de la série Pillow Portraits y fait idéalement écho : des sculptures portables en toile écrue, l’un des matériaux de prédilection de Lukas Gschwandtner évoquant d’ailleurs le calico utilisé dans les ateliers de haute couture pour les premiers patronages.
Une fois endossées, ces sculptures, façon coussins en duvet soufflés, esquissent la silhouette des femmes au repos, à la romaine. Et, en particulier, ici le portrait de Pauline Bonaparte par Antonio Canova, celui d’Ariane Endormie ou Venus d’Urbino du Titien, ou encore Solitude de Giorgio de Chirico.
Dans cet espace de blancheur et silence, pur moment de respiration à Miami, la marque romaine a l’élégance de ne faire que chuchoter, ce qui donne encore plus de force à sa présence. Seul indice pour les initiés : un sac Peekaboo, déconstruit après avoir été rempli de plâtre, était posé à côté de son moulage immaculé. Respect.
2 — Come stai ? Gaetano Pesce x Bottega Veneta
La présence, pour la première fois, de Bottega Veneta au sein même de la foire, ne peut que confirmer l’ampleur de l’OPA des marques de mode sur Design Miami 2022 et leur ambition de brouiller plus encore la frontière entre culture, communication et commerce.
Bottega Veneta présentait ainsi « Come Stai ? » une installation de chaises en résine colorées, choisies parmi les 400 « toutes similaires mais pas identiques » créées par Gaetano Pesce pour le défilé printemps-été 2023 de la marque, à l’invitation de son directeur de création Mathieu Blazy.
Le maestro italien de 83 ans était venu de New York où il réside pour répondre avec son franc parler et son sens légendaire de la formule à une conférence animée par Maria Cristina Didero, ainsi que pour signer le livre relatant cette collaboration, dont chaque couverture en résine est unique.
3 — Trash Bag Sofa, Harry Nuriev/Crosby Studio
Installé à la fois à New York et à Paris (où il vient de ré-aménager une des chambres de l’hôtel la Louisiane), Harry Nuriev, directeur de création de Crosby Studio, est un habitué de Design Miami. Sa 6ème présentation solo à la foire lui a permis de réitérer, par curio interposé, son iconoclaste pop flirtant souvent avec le kitsch.
Après le canapé en vinyle transparent rembourré de vêtements invendus ou défectueux, réalisé en collaboration avec Balenciaga et exposé à Miami en 2019, il présentait cette année son Trash Bag Sofa.
Manifeste anti-surconsommation et hommage au mouvement radical italien auto-revendiqués, ce sofa est inspiré des sacs poubelles XXL que l’on croise au coin des rues new-yorkaises. Il est en fait constitué de 15 sacs en cuir noir brillant assemblés entre eux et remplis de mousse — une création assurément calibrée pour le buzz Instagram.
4 — Chronos : Objects of Common Interest/ Mr. Lawrence
Entre Brooklyn et Athènes, le duo de designers et architectes Eleni Petaloti et Leonidas Trampoukis, plus connus sous le nom d’Objects of Common Interest, a, en ce moment, les honneurs des galeries les plus pointues : Carwan à Athènes, Etage à Copenhague, Noguchi Museum à New-York en 2021 et Mr. Lawrence à Design Miami en 2022.
Seul nouveau curio invité à Design Miami 2022, la plateforme créative et curatoriale milanaise présentait l’installation Chronos d’OoCI. Les tabourets sur roulettes en gel acrylique Metamorphic Rock et les luminaires Tube Lights, sculpturales articulations lumineuses de l’espace, arrêtaient tous les regards : une jolie façon de suspendre le temps — chronos, en grec donc.
5 — Gallery Fumi
La toute première participation à Design Miami de la galerie londonienne Fumi a été incontestablement couronnée de succès, puisque la Gold Cleft Chair 3 de Max Lamb, exposée aux côtés de sa version platine, a remporté le « Design Miami Award for Best Contemporary Work ».
Une consécration pour une création emblématique du travail du designer britannique que Sam Pratt et Valerio Capo — les deux fondateurs de Fumi — soutiennent avec passion depuis leurs débuts.
Réalisée à la hache, fendant d’un coup en deux un bloc de châtaignier vert — un procédé qui surexpose la tactilité comme la vision du grain du bois — la Cleft Chair 3 a été recouverte de feuilles d’or 23,5 carat. Une parfaite illustration, au sens propre comme au sens figuré, du thème de Design Miami 2022 : « The Golden Age, Looking to the Future ».
6 — Sarah Myerscough Gallery
Sarah Myerscough a reçu le Best Gallery Presentation Award, partagé cette année avec la galerie new-yorkaise Magen H. Un prix amplement mérité pour cette installation immersive nommée « Material Shores » qui soulignait combien la respectueuse connexion avec la nature et les matériaux qu’elle nous offre, luxueux car simples, est aujourd’hui indispensable.
Tout en beiges et blonds, le stand était une antidote bienvenue au maximalisme parfois un peu trop volubile d’autres exposants, une attitude il est vrai tellement Miami…
Ré-affirmant ici le positionnement de sa galerie londonienne, Sarah Myerscough offrait une visibilité accrue aux designers-makers qui poussent les matériaux naturels dans des retranchements durables et poétiques inédits, et qu’elle n’a de cesse de soutenir.
Parmi les pièces les plus remarquées, figuraient la monumentale suspension d’Angela Damman réalisée en fibres de sanseveria avec le concours d’artisans du Yucatan, les poufs en sisal de Fernando Laposse, la très organique sculpture Big Knot en paille de riz de Mami Kato ainsi que la table et les armoires en multiples strates de bois façon orgues de pierre sculptés par la mer de Kristopher Kurz qui auraient rendus jaloux tous les maîtres de l’Art nouveau.
7 — Friedman Benda : coup de coeur pour Samuel Ross et Daniel Arsham
Galerie de design critique de référence aux USA, Friedman Benda présentait un group show démontrant de façon implacable son flair pour supporter des artistes expérimentaux et séduisants —ce dernier terme s’appliquant aussi bien à l’esthétique qu’au marché.
Parmi les artistes et designers exposés, coup de coeur pour le désormais bien connu Daniel Arsham et sa chaise Dino, ainsi que pour le britannique Samuel Ross, qui avait déjà eu droit à un solo show l’an dernier à Design Miami.
Fondateur du label de mode A-COLD-WALL et ex-collaborateur de Virgil Abloh pour OFF-WHITE, Samuel Ross explore le champ du design et de l’architecture d’intérieur via son studio SR_A, établi en 2019 à Londres. Très gender-fluid, son banc « Optimistic uncertainties solicit integration » en panneaux OSB et acier, brossé et laqué, était à Miami une parfaite démonstration de sa façon de mixer meubles archétypaux de l’Afrique de l’Ouest et brutalisme européen.
8 — USM NYC par Ben Ganz x PIN UP HOME
Même la sobriété suisse héritée du Bauhaus ne résiste pas à l’appel fun de Design Miami 2022 et donc du marché américain.
Ben Ganz, designer graphique suisse basé à New York et D.A. du magazine d’architecture et design PIN- UP, avait déjà collaboré avec Nike et Prada. Avec Felix Burrichter, et Kristin Hrycko, il a co-fondé la plateforme PIN-UP HOME dont USM est un des partenaires initiaux. D’où cette collection en édition limitée USM NYC, présentée à la foire — et hommage au passage au Tramonto à NYC de Gaetano Pesce que vient de rééditer Cassina.
Six configurations de rangement fonctionnels, ADN de la marque suisse USM, étaient ainsi montés sur une base à roulettes façon plaque de Lego XXL pour adultes et proposés en acier perforé laqué. Le tout colorié en bleu Uptown, jaune Soho et Rose Downtown. Des références évidentes à la skyline new-yorkaise qui font néanmoins écho à la palette de pastel des hôtels Art Deco de South Beach.
9 — Transcendence : Nada Debs x Kohler WasteLAB
Nada Debs est connue pour ses créations artisanales inclusives mêlant intimement épure japonaise, géométrie ornementale arabe et fonctionnalité contemporaine. Une approche nourrie par son éthique handmade and heartmade (fait main et fait avec le coeur).
La designer libanaise qui vient tout juste de fêter les 20 ans de son studio n’a, de fait, jamais cessé de se passionner et d’agir pour la sauvegarde des savoir-faire vernaculaires.
A Miami, à l’invitation de la marque américaine Kohler, elle a imaginé avec l’enthousiasme et le perfectionnisme qu’on lui connait, une version contemporaine du hammam. Une installation expérientielle dédiée au bien-être en trois actes ; trois pièces comme dans tout hammam traditionnel qui se respecte.
Tapissées de carreaux fabriqués spécialement à la main à partir des déchets récupérés par le laboratoire WasteLab de Kohler, ornés de motifs à la fois Art déco et géométrie optique 70 dessinés par Nada Debs. De quoi esquisser un âge d’or du futur, thème de Design Miami 2022.
10 — Nudo collection Kelly Wearstler/Arca
A Wynwood, en off de Design Miami 2022, le showroom du spécialiste mexicain des pierres naturelles Arca dévoilait 16 étonnantes pièces de mobilier. Sièges, bancs, tabourets, tables d’appoint, consoles en marbre et autres pierres rares de la collection Nudo ont ainsi été imaginés par Kelly Wearstler.
L’architecte d’intérieur star de la côte Ouest qui affirme souvent être inspirée par les courbes du design français et italien des années 1970 a joué sur le contraste entre le brut et le sophistiqué, l’antique et le contemporain, l’oeil et la main.
A la dureté des matériaux utilisés (marbres roses onyx arc-en-ciel, calcite bleue…) répond la douceur rassurante et la rondeur voluptueuse des formes, façon tricot en grosse laine câblée, tissage ou cordages noués. Le résultat ? A la fois sensuel et graphique, vaguement rétro et infiniment moderne. Et, avouons-le, très réussi.
